Le 5ème MASA
Abidjan, le 6 mars 2001. - Aura lieu, aura pas lieu ? C’est la question que beaucoup se posaient quelques jours encore avant l’ouverture du MASA (Marché des Arts du Spectacle Africain), 5ème du nom. Dans le contexte mouvementé qui est aujourd’hui celui de la Côte d’Ivoire, on pouvait légitimement s’interroger. Mais les festivités ont commencé à l’heure prévue, samedi dernier, et vont se poursuivre toute la semaine au bord de la lagune Ebrié.
Toute l’Afrique à Abidjan
Abidjan, le 6 mars 2001. - Aura lieu, aura pas lieu ? C’est la question que beaucoup se posaient quelques jours encore avant l’ouverture du MASA (Marché des Arts du Spectacle Africain), 5ème du nom. Dans le contexte mouvementé qui est aujourd’hui celui de la Côte d’Ivoire, on pouvait légitimement s’interroger. Mais les festivités ont commencé à l’heure prévue, samedi dernier, et vont se poursuivre toute la semaine au bord de la lagune Ebrié.
Il eut été dommage, en effet, que le rutilant palais de la Culture construit par les Chinois, et sentant encore la peinture fraîche, ait mal commencé sa carrière artistique. Notons au passage que les Chinois ont fait de gros progrès architecturaux. S’ils n’ont rien perdu de leur goût prononcé pour les escaliers monumentaux, ils ont adopté des matériaux et des couleurs qui adoucissent les imposants volumes de l’édifice. Une sorte de révolution culturelle qui donne un coup de vieux aux précédentes réalisations de la Chine éternelle en Afrique, comme les palais de Yaoundé ou Kinshasa.
En quittant le quartier un peu snob de Cocody pour le populaire Treichville, le premier MASA du nouveau siècle entendait aussi se rapprocher du peuple. D’où quelques initiatives nouvelles, comme celle d’ouvrir, pendant deux jours, les spectacles aux enfants des écoles primaires. Trouver l’équilibre entre le Masa « marché » et le Masa « festival » est en effet l’un des soucis des organisateurs de cette ambitieuse manifestation.
Pour ceux qui auraient raté les précédents épisodes, rappelons que le Masa est né il y a huit ans d’une volonté de doter l’Afrique d’une sorte de Midem continental. Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence de la Francophonie, se souvient même que le principe d’une telle manifestation avait été entériné à Liège, en 1990, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères et de la francophonie. « L’ensemble des ministres » précise Roger Dehaybe « avait réaffirmé le principe de la diversité culturelle que bien des gens utilisent aujourd’hui, en cette heure de mondialisation ».
Dans le projet initial, le Masa devait être itinérant. Mais, dès 1995, il parut acquis que la sagesse militait en faveur d’un endroit fixe, bien équipé en infrastructures, facile d’accès à la fois pour les Africains et les Européens et… politiquement stable. Bref, Abidjan se voyait intronisée capitale du show-bizz africain pour des siècles et des siècles.
Les récents événements jetèrent un froid sur ces belles certitudes. Aussi le président Gbagbo, venu inaugurer ce 5ème Masa samedi dernier, prit soin de mettre un terme aux rumeurs en déclarant sous les ovations : « Déplacer le Masa ? Jamais ! » Quelle meilleure occasion en effet de prouver que la Côte d’Ivoire est toujours aussi ouverte sur le monde, et que le procès en xénophobie qui lui est fait est injustifié ?
Les barrages militaires ont donc quitté les boulevards à quatre voies d’Abidjan –certains disent « jusqu’à lundi »- et le Masa s’est donc ouvert dans une cité parfaitement calme, aux yeux du visiteur étranger.
Vingt-deux pays d’Afrique se retrouvent donc sur la lagune, représentés par leurs musiciens, leurs comédiens, et leurs danseurs. Répartis sur cinquante-deux spectacles, ils viennent présenter leur patrimoine, qui s’étend de la Méditerranée au Cap. Car, autre évolution, le Masa a su sortir du seul cadre de la francophonie, ce qui paraissait essentiel pour prétendre véritablement représenter le continent.
Les incertitudes qui ont pesé sur ce Masa ont forcément eu des conséquences sur la programmation. De l’avis général, le niveau est un peu en baisse par rapport à la dernière édition de 1999 (le Masa se tient tous les deux ans). Pour un Pierre Akendengué dont le talent est intact –mais dont on peut se demander s’il est vraiment le prototype de l’artiste en développement- on a jusqu’à présent vu défiler des artistes et des groupes non pas dénués d’intérêt, mais que l’on voit mal s’imposer sur une scène internationale devenue très compétitive.
Quand on pense au mal qu’ont aujourd’hui les maisons de disques à installer des artistes aussi professionnels que Sally Nyollo, Geoffrey Oryema, ou même Youssou N’dour (dont les ventes du dernier disque sont décevantes), on voit mal tel ensemble folklorique Tunisien ou tel groupe traditionnel Ethiopien repartir d’Abidjan avec un contrat mirifique.
C’est que, peut-être, il y a un léger malentendu sur les objectifs. Qui sont exactement les professionnels venus écouter ces jeunes talents ? Beaucoup de responsables de festivals africains, en forte augmentation sur le continent. Et ça, c’est très bien. Qu’il y ait recentrage sud-sud n’est pas pour déplaire aux partisans d’un développement des industries culturelles pan-africaines, ceux-là même qui ont provoqué la naissance du Masa.
En revanche, les organisateurs de festivals européens venus faire leur marché, avaient jusqu’à présent l’air un peu déçu. Ils sont pourtant fidèles au rendez-vous, qui d’Ecosse, d’Allemagne, d’Italie, ou d’Espagne. Car si les Français sont un peu moins nombreux que d’habitude, les autres nationalités ne se sont pas laissé intimider par les Cassandre.
Quant aux maisons de disques occidentales, elles sont cruellement absentes. On peut certes leur reprocher leur manque de curiosité, mais on se demande quand même quel grain à moudre elle trouveraient ici, plus préoccupées qu’elles sont en ce moment à se défendre contre le MP3 qu’à rechercher de nouveaux talents à « développer ».
Et pourtant, il y a ici quelques perles à découvrir, à condition de savoir investir sur le long terme : citons pêle-mêle la séduisante Oumou Soumaré, pure et limpide ; le prometteur groupe sénégalais Penc ; les vibrillonnants camerounais de Macase… A la moitié de ce 5ème Masa , d’ores et déjà nul ne prétend être venu pour rien, même s’il faut peut-être un peu plus trier que d’habitude.
Parfaitement huilée, la machine Masa a su se mettre en route dans un contexte difficile. Superbe lieu d’accueil, très bonnes conditions techniques, spectacles à l’heure et sans anicroche, gentillesse et professionnalisme, tous les ingrédients sont réunis pour que la « Pépé Soup » soit bonne. Seul manque le piment mais, c’est promis, on est parti le chercher !
Jean-Jacques Dufayet
Reportage photos : Pierre René-Worms