Cosmophonies du maghreb
Marseille, le 12 mars 2001 - "Mes morceaux étaient déjà très connus des vieux comme moi. Maintenant ils seront connus des jeunes aussi !" se réjouit Maurice El Medioni. Et c’était bien là l’enjeu des Cosmophonies du Maghreb, ce pari musical - donner une lecture électronique à des morceaux traditionnels - lancé, il y a un an par Patrice Angosto, directeur de l’Espace Julien, incontournable scène marseillaise. Sur le papier, il s’agissait de "valoriser la mémoire et la transmission inter-générationnelle des héritages culturels constitutifs de la commune de Marseille et de sa région." Objectif atteint. Le résultat est beaucoup plus ludique et porteur que le discours qui l’a fait naître.
Quand les générations se marient en musique.
Marseille, le 12 mars 2001 - "Mes morceaux étaient déjà très connus des vieux comme moi. Maintenant ils seront connus des jeunes aussi !" se réjouit Maurice El Medioni. Et c’était bien là l’enjeu des Cosmophonies du Maghreb, ce pari musical - donner une lecture électronique à des morceaux traditionnels - lancé, il y a un an par Patrice Angosto, directeur de l’Espace Julien, incontournable scène marseillaise. Sur le papier, il s’agissait de "valoriser la mémoire et la transmission inter-générationnelle des héritages culturels constitutifs de la commune de Marseille et de sa région." Objectif atteint. Le résultat est beaucoup plus ludique et porteur que le discours qui l’a fait naître.
Le principe est simple. On sélectionne les grands noms de la musique traditionnelle implantés à Marseille. On fait écouter leurs compositions à de jeunes remixers non moins implantés. Ceux-ci choisissent un morceau et le retravaillent "à l’électronique". Et puis vient le moment de vérité, celui où le "créateur originel" découvre le mixage du "re-créateur". "A la première écoute, j’étais très sceptique", lâche le "papé" de la world music oranaise, Maurice El Medioni. "J’ai eu l’impression qu’on me rendait mon enfant habillé avec d’autres vêtements !", s’étonne Myriam Sultan, la petite dernière de la chanson arabe (mais première dans le cœur de la jeune génération). "Quand elle a entendu ça, ma mère m’a dit : il est où ton blouson en cuir ?!", gémit (pour rire) Renassia le Constantinois. Et c’est vrai qu’ils ont pris un sacré coup de frais, les classiques judéo-arabes ! Même si "les jeunes" (Sya Styles qui a remixé Ouari Sarahoui n’a que 19 ans) se sont tous attachés à coller au titre d’origine. Respect ! comme on dit ici.
A première vue aussi froid que sa spécialité professionnelle, l’expert en informatique musicale, Patrick Loubet a finalement littéralement flashé sur la voix de Myriam Sultan qui, dans ses propres compositions, jonglait déjà avec maalouf, chaâbi et rythmes tunisiens. Ouari Sarahoui a adoré "le tonnerre" hip hop avec lequel Sya Styles a foudroyé sa musique de mariage. Le groupe des Medahettes, version marseillaise des Meddhahates traditionnelles d’Oran, les chanteuses de mariage, ont éprouvé quelques difficultés à jouer séparément pour l’enregistrement multi-pistes qui devait servir de base de travail à DJ Kafra. Raoul Renassia a convaincu ses frères et son fils David d’engager leur réputation de brillants " noceurs " dans une virée high-tech sur les ordinateurs de Mourad Terreri. Un voyage virtuel pour lequel Terreri (qui ne recule devant rien depuis qu’il a travaillé avec Imhotep et Aktuel Force, entre autres) a transposé le tempo 6/8 traditionnel en 4/4, décomposant et reconstruisant pour ce faire la voix profonde d’un Renassia, rajeuni de vingt ans.
Quant au pianiste génial, Maurice El Medioni, il a accepté que Big Buddha et Alif Tree s’emparent de ses improvisations en concert pour créer ce qui constitue déjà LE tube des soirées marseillaises (Nefrah ouene Gnené). En échange, Maurice leur a réclamé des cours particuliers pour apprendre, à 72 ans, "à se servir de leurs machines". "T’as pas besoin de ça, toi, Maurice !", rétorque Big Buddha. "L’ambianceur trois de tension", comme on l’appelle ici, s’extasie (avec la modération qu’impose sa réputation…) devant le maître : "Toi, le multi-pistes, il est dans ton passé de pianiste de bar à Oran !" Medioni, dont l’oncle Saoud a formé Reinette l’Oranaise et Lili Boniche, confirme : "Quand j’étais jeune, je jouais dans les bars et les cabarets où les soldats américains passaient la nuit. Sur mon piano, les Noirs jouaient du boogie ; les Portoricains de la rumba. J’ai tout appris à l’oreille. Je ne connais toujours pas le solfège. C’est pour ça que je ne peux pas transmettre ma musique aux nouvelles générations autrement qu’en laissant les jeunes compositeurs retravailler mes morceaux." Lucide comme Medioni, résigné comme Renassia ou déjà branchée comme Myriam Sultan, les compositeurs d’origine ont, de toute façon, apprécié la rencontre.
Et, même si l’on sent qu’il a fallu bien du courage à ces musiciens de l'ancienne génération pour se jeter dans la gueule des jeunes loups de la house et autre dub, l’Espace Julien peut se féliciter de son initiative (soutenue d’ailleurs par le Fonds d’Action Social). D’une part, les bijoux obtenus font déjà se pencher au-dessus du berceau les producteurs parisiens. D’autres part, à ces rythmes-là, la musique du Maghreb a toutes les chances de faire encore longtemps swinguer les jeunes mariés.
Karine Bonjour
Cosmophonies du Maghreb, produit par Espace Julien et Plateforme Multimed.
A écouter sur
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Pour tout renseignement, visitez le site de l'Espace Julien.