Artistes en scène
Un groupe d'artistes, les Têtes Raides. Un artiste seul, Mano Solo. Leurs points communs ? Une certaine rage, une totale authenticité, un public quasi dévot, le dégoût du star-system, les arts plastiques omniprésents dans leur travail, et surtout, une présence le même soir, vendredi 16, sur une scène parisienne : le Bataclan pour les premiers, l'Olympia pour le second. Nous y étions.
Les Têtes Raides et Mano Solo
Un groupe d'artistes, les Têtes Raides. Un artiste seul, Mano Solo. Leurs points communs ? Une certaine rage, une totale authenticité, un public quasi dévot, le dégoût du star-system, les arts plastiques omniprésents dans leur travail, et surtout, une présence le même soir, vendredi 16, sur une scène parisienne : le Bataclan pour les premiers, l'Olympia pour le second. Nous y étions.
Accédez directement à l'article sur Mano Solo.
LES TÊTES RAIDES
En tournée française depuis janvier, les Têtes Raides ont choisi de visiter les Parisiens via trois salles différentes. L'affiche annonce "La Cigale : concert assis, le Bataclan : concert debout, le Palais des Sports : concert KO debout" ! Au Bataclan, le public est tellement debout, que du balcon, on ne distingue qu'un océan de têtes compactées. Cette foule des grands jours, habituelle pour les Têtes Raides, est plutôt jeune, leur auditoire semblant rajeunir avec le temps, comme celui d'un groupe au discours à la fois concret et poétique, universel et ancré dans le présent. Le lendemain, au Palais des Sports (assis et debout), la moyenne d'âge s'élève. Question de confort peut-être…
Christian Olivier, tête pensante de ces sept têtes bien faites, apparaît soudain. Eclairé d'un unique spot venu du ciel, il semble être arrivé là par les cintres. "A partir de maintenant je chante", démarre-t-il, tel leur dernier album Gratte Poil, sorti à l'automne dernier et qui frise ces jours-ci les 100.000 exemplaires écoulés. Puis la lumière illumine la scène. Ils sont tous là, tous en noir, tenue sobrement anarchiste. Pas d'apparat chez les Têtes Raides. Pas d'artifice. Sur scène, ils ne parlent pas au public, juste un "Bonsoir" et des "Merci" en fin de spectacle. La communion est ailleurs. Le seul décor est un rideau bien sûr noir qui, plus tard, s'ouvrira sur un fond blanc destiné à recevoir les ombres portées de ce qui se passe sur scène. Toujours ce goût de l'image, de l'animation.
Avec eux, la chanson populaire (plutôt Fréhel qu'Annie Cordy), dans toute sa noblesse, son urgence et sa verve, est célébrée par le public. Chansons des rues, de guinguette, de bistro, mais aussi chansons engagées, du peuple, du quotidien. Cet univers que l'on a dit recyclé et néo-réaliste, semble au contraire définitivement moderne. L'écho du public en est la preuve.
A eux sept, les Têtes Raides jouent d'au moins une quinzaine d'instruments. Sans arrêt, c'est un va-et-vient des musiciens : la pianiste (Edith) passe au trombone, le bassiste (Pascal dit Cali) à l'hélicon, le sax (Grégoire dit Iso) à l'accordéon, le guitariste (Serge) au sax baryton, le chanteur (Christian) migre de l'accordéon à la guitare, la violoncelliste (Anna-Gaëlle) est aussi contrebassiste. Et j'en passe. Mais surtout, ils chantent, tous. Avec bien sûr en étendard, la voix puissante et profonde de Christian Olivier.
Presque tout le dernier album y passe : Depêche-toi, Chapeau, Les Poupées, Ennemis (signé du poète Norge) ou Bibliothèque ("c'est lourd à porter sur le dos"), bref morceau leitmotiv, virgule assidue du spectacle. Mais on retrouve aussi les anciens disques à travers le politique Les Accords ("Samuel et Fatima couchent ensemble/vous trouvez pas qu'ils se ressemblent ?"), le maritime Emily ("Au café d'la marine/Y'a un capt'ain"), l'ensorcelé L'Amour tombé des nues ("Qu'elle était belle la sorcière").
Chez les Têtes Raides, on ouvre souvent la scène à des invités. Mais point de duos à paillettes, ce sont plutôt des potes qui passent : Titcho qui fait le chien sur Ennemis, Titi et son impro déjantée sur Dans la gueule, Samia et sa voix d'or sur Manuela, le petit chœur d'enfants sur Patalo au Palais des Sports. Dans cette dernière salle, point d'orgue de cette mini-tournée parisienne, gorgée de près de 5000 spectateurs, les Têtes accueillent cependant une figure connue, Yann Tiersen et son violon, avec lequel ils partagent le même goût des musiques instrumentales et des instruments inattendus. On attendait Bertrand Cantat de Noir Désir pour reprendre le génial duo d'Iditenté (extrait de Gratte Poil). En vain. Mais l'invité permanent reste Jean Corti, accordéoniste de Brel, première partie du groupe, vieux monsieur heureux au milieu de cette troupe qui reprend Les Vieux du Grand Jacques avec ferveur.
Quand sonne l'heure des rappels, au nombre de quatre ou cinq, le public réclame Ginette, chanson fétiche, extraite de leur tout premier album en 89. Ginette, c'est une valse entêtante, belle à pleurer, histoire de ce personnage ivre par désespoir, et qui danse, danse. Pour elle, symboliquement, Christian Olivier envoie vers le public la fameuse lampe pendue au bout d'un long fil, tel un trapèze fou, rituel grisant et désormais incontournable de chacun de leur concert. Des concerts qui, entre tendresse austère et exaltation quasi slave parfois, laissent au final un implacable sentiment de vrai, plutôt rare dans le monde du spectacle.
Catherine Pouplain
Gratte Poil (Tôt ou Tard/WEA)
Ginette : dix ans de Têtes Raides (Tôt ou Tard/WEA)
Les Têtes Raides aux Bouffes du Nord (Paris) en juin 2002.
Un site complet sur les Têtes Raides.
Le site officiel, si vous aimez leur graphisme seulement...
C’est le second soir de suite que l’Olympia affiche complet pour l’enfant sombre de la chanson française. Mano solo avait pourtant prouvé sur son dernier album Dehors (août 2000) que la tristesse et la douleur n’étaient plus tout à fait à l’ordre de son jour. Il restait à savoir si la scène allait suivre le grand virage.
Du jamais vu de la part de Mano Solo ! Les habitués en sont restés pantois et les fanatiques en ont redemandé. Tout commence par l’intervention d’un jeune rappeur nommé Rachid avec un court métrage représentant un match de boxe pour toile de fond. Le jeune homme scande une litanie sur ses pensées au cours du combat : "Je suis seul et pourtant il faut que je sois le winner". L’ambiance monte, le public chauffe, la mise en bouche finit par fonctionner. S’ensuit la longue attente de la star. Longue, très longue, trop longue.
Quand l’espéré finit enfin par apparaître ce n’est que pour bousculer habitudes sur coutumes. Troquant son éternel habit de noir contre un pantalon gris, dédaignant la chaise de bar dont il n’avait jusque-là que rarement décollé, il entame la prestation par Des pays et Je taille ma route. Si ces deux titres restent vocalement moyennement assurés, ils ont le mérite d’afficher le ton d’emblée : les cuivres swinguent, les percussions envoûtent, la fête est de mise. Il est donc hors de question d’intégrer au répertoire les succès déchirés comme Au creux de ton bras ou les testaments ultimes tel que Je suis venu vous voir. La meilleure place sera tenue par les chansons du dernier album, et même lorsqu’une Julie ou un Chacun sa peine pointe le bout de son nez depuis le fond des années les plus sombres, c’est pour éclater sur une version survitaminée.
Mano est vivant, heureux de l’être et il le montre. Prenant des positions de cigogne désarticulée, il laisse enfin le loisir à son corps du début d’une expression. Ô, il avait bien esquissé quelques pas de danse au cours des deux années précédentes, mais très vite il abandonnait son anatomie sur la réconfortante chaise refuge ! Cette amie désormais méprisée laisse place à des ballets encore maladroits, essoufflés, mais incessants.
En revanche Mano Solo reste bel et bien égal à lui-même quand il s’agit d’être cabot. Avec une démarche de petit frimeur sur son territoire, il entretient les longs silences entre chaque chanson, joue les grands seigneurs attentifs en jetant régulièrement le contenu de ses bouteilles d’eau dans la foule compressée. Il parvient même à organiser un bal pendant lequel les couples situés au balcon valsent à en tourner la tête. Il faut bien avouer que l’on a rarement vu public plus soumis, admiratif, amoureux. Ils sont prêts à le suivre dans tout. Il le sait. Il en joue.
Les Solomaniaques n’ont cependant pas totalement tort, sachez-le. "Le petit con" (comme il se qualifie lui-même) à la voix écorchée et au vibrato acéré, est plein de talent et redore brillamment les blasons de la chanson. Et cela ne se remet même plus en question lorsque Soif de la vie démarre dans un a cappella à faire taire les anges, ou lorsque la version de Te souviens-tu prend des droits d’espoir qu’on ne lui avait pas soupçonné. "J’étais allé voir ma mère. J’étais venu lui péter à la gueule, elle m’a dégoupillé" explique-t-il…
Le concert s’achève sur le vacarme ahurissant des plus grandes ovations, après le "Sha la la" final (accompagné pour l’occasion du jeune Farid précité), d’un unique rappel aux accents reggae, et du traditionnel cri "Vive la révolution !". Et une salle bondée et hurlante cela fait du bruit.
Mano Solo faisait l’Olympia pour la seconde fois de sa vie. Entre les deux, sept ans se sont écoulés et un univers s’est bouleversé. La première fois était colère, insultes, revanche, puissance et hostilité de défense. Aujourd’hui la paix et la vie ont pris le pas. Même s’il ne s’agit pas là, et de loin, du meilleur concert du chanteur, nous sommes ravis du spectacle ! Quel plaisir de voir l’enfant du noir commencer à aimer ! Aimer être. Aimer les gens. Alors permettez-nous de clore en reprenant l’exclamation du principal concerné, même si la teneur n’en est certainement pas égale : "Vive la révolution !"
Marjorie Risacher