LA NUIT DU KOMPA
Paris, le 20 mars 2001 - Plus de trois mille personnes au Zénith de Paris samedi 17 mars pour célébrer la nuit du kompa haïtien, organisée pour la seconde fois consécutive par Créon Musique et Digital Records. Quatre groupes à l'affiche : Zin, Phantoms, Larose & Missile 727 ainsi que le Zic Band de Tony Chasseur, le maître de cérémonie de ce rendez-vous désormais annuel. Au programme également, quelques invités de marque dont Beethovas Obas et Mario Canonge, avec qui nous nous sommes entretenus sur l'avenir d'une musique qui a su garder toute son authenticité, malgré le temps et les exigences du marché du disque.
Une musique qui refuse le formatage…
Paris, le 20 mars 2001 - Plus de trois mille personnes au Zénith de Paris samedi 17 mars pour célébrer la nuit du kompa haïtien, organisée pour la seconde fois consécutive par Créon Musique et Digital Records. Quatre groupes à l'affiche : Zin, Phantoms, Larose & Missile 727 ainsi que le Zic Band de Tony Chasseur, le maître de cérémonie de ce rendez-vous désormais annuel. Au programme également, quelques invités de marque dont Beethovas Obas et Mario Canonge, avec qui nous nous sommes entretenus sur l'avenir d'une musique qui a su garder toute son authenticité, malgré le temps et les exigences du marché du disque.
Musique de nègre dans l'un des temples sacrés du show-biz parigot. Très peu de visages pâles pour la circonstance pour une musique qui, pourtant, se veut ouverte, chaleureuse et festive. Des cuivres audacieux, une basse épaisse, des guitares très inspirées, percussions et claviers aux sons enflammés, des chœurs repris par toute la salle ou presque… autant dire la fête haïtienne dans son grand jour, importée dans toute sa démesure musicale hors du champ des disquaires spécialisés ou des ambiances de bals communautaires. Avec une optique "concert à l'occidentale" qui ne nuit absolument pas à la dynamique portée par cette musique que Beethova Obas, troubadour convié pour deux titres sur la scène du Zénith ce soir-là, raconte en ces termes : "C'est un volet important de la culture de notre peuple. La preuve… Il domine la consommation musicale de notre pays. C'est une musique qui non seulement communique avec l'âme et l'esprit mais avec le corps aussi".
C'est pourtant une musique dont la mort a souvent été annoncée, notamment à l'arrivée de certaines tendances telles que le zouk ou même au moment du grand renouveau de la mizik rasin, qui, souvent la nourrit à la source. On soupçonne même une certaine génération de jeunes Haïtiens d'avoir voulu l'enterrer, sans y arriver. Au nom surtout d'une envie d'écouter ou de découvrir d'autres sonorités, sous l'influence bien souvent des radios et télés étrangères. "Dire qu'il n'y avait pas que le kompa, c'est bien, ajoute Beethovas Obas. Par contre, dire qu'on en a marre du kompa est une erreur. Car c'est une erreur de vouloir mettre à côté une valeur culturelle, qui devient partie intrinsèque d'un peuple". On accuse le kompa d'avoir un jour servi dans le mauvais camp politique. "Le kompa, c'est vrai, a été victime de ce phénomène à un moment donné de notre histoire. On a ainsi plein d'histoires qui parlent de musiciens de kompa, qui ont été obligés ou non de suivre le courant chantant pour Duvalier (ex-dictateur de Haïti, ndlr). Mais cela ne concerne pas tous les groupes de kompa. Rejeter cette musique à cause de cela, c'est manquer de tolérance et de recul" rajoute-t-il.
Beethova s'inscrit ainsi dans une génération plutôt consciente de la richesse de son patrimoine populaire. Il est de ceux qui parlent de l'authenticité du kompa pour rationaliser la dynamique portée par tout un public de fidèles mélomanes et danseurs complètement séduits depuis l'invention du genre dans les années 50 par le saxophoniste Jean-Baptiste Nemours. Il y a aussi d'autres facteurs qui accompagnent son analyse: "Je n'ai pas le temps de les énumérer tous… Je dirais pour les résumer qu'il y a la créativité et une sorte de soif de bouger aussi. Il ne faut pas oublier que les Haïtiens sont originaires de l'Afrique en majorité. Ce qui fait que nous avons le sens du rythme. Or pour nous le rythme, c'est avant tout un mouvement… un mouvement dansant. Le terme anglais le traduit bien. Il te dit "beat". Il te prend au corps. Et le kompa possède cette force. Le kompa, c'est le noir qui résonne". Est-ce pour cela que les Antilles françaises, situées non loin de Haïti, ont tout de suite adopté le genre, en lui donnant de fait une portée caribéenne plus importante dès sa naissance? Mario Canonge, pianiste, épouse le point de vue de Beethovas Obas, tout en précisant qu'il s'agit là d'une "musique sincère, vivante, qui a des choses à dire. C'est la musique d'un peuple qui a longtemps souffert et qui souffre encore. C'est une musique simple dans les harmonies mais très riche dans la rythmique et dans ce qu'elle apporte au public, dans un vécu qui est vraiment singulier".
Mais pourquoi n'a-t-elle pas connu le succès du zouk, alors qu'elle était là bien avant? Dieudonné Larose, leader du groupe Missile avance une explication: "La raison pour laquelle elle n'a pas inondé le monde entier, c'est que nous manquons de très bons professionnels en matière de diffusion et de production. Ce sont souvent les musiciens qui se débrouillent seuls pour arriver au sommet". Des producteurs qui n'ont que très peu de moyens face aux exigences du marché du disque et qui se contentent par conséquent d'arroser artisanalement les fidèles dans un circuit fermé, correspondant à une sorte de ghetto. Beethovas Obas pense quant à lui que les artistes n'ont pas été frapper à la bonne porte jusqu'alors: "Il faut qu'il y ait un penseur qui mette en place une stratégie pour promouvoir cette musique. Je parle d'un producteur qui va travailler dans le sens de la construction, du long terme. On a eu un essai qui a fonctionné, c'est le New York City qui a été produit par Barclay dans les années 70 et qui était au hit-parade en France. Il faut rappeler que ce morceau a été produit premièrement par Fred Paul, qui est aussi l'un des meilleurs producteurs de la musique haïtienne… Mais toujours est-il qu'il a fallu céder cette part-là, ô combien grande, à quelqu'un de plus haut placé dans l'industrie du disque, question de bien faire voir cette musique au monde entier. Donc quelque part, le producteur est très important".
Le plus dur, selon Mario Canonge, reste le formatage par rapport à une certaine demande professionnelle dans la diffusion: "A 13 ans, j'avais un professeur de musique au collège qui nous avait appris comment était construit un kompa. L'introduction où tout est tranquille, posé. Le développement et la conclusion où l'on dépose les choses. C'est une musique qui respecte vraiment le concept de la dissertation. Le zouk par exemple a été calibré un petit peu sur le modèle de la musique de variété en France. C'est-à-dire qu'il fallait que les morceaux durent trois minutes et demi, quatre minutes et pas plus. Le kompa n'est pas construit comme ça, puisqu'au bout de quatre minutes, on commence à peine le développement. Ce sont des musiques qui durent longtemps. Les radios ne jouent pas le jeu, parce qu'au bout de trois minutes, il faut qu'elles passent à autre chose. Les morceaux de kompa durent sept, huit minutes, voire plus. Et en même temps, je trouve que ça serait dommage de sacrifier l'authenticité de ces musiques pour pouvoir être calibré sur un modèle occidental".
Tony Chasseur, directeur artistique de cette nuit du kompa, renchérit : "Le kompa, ça se développe. On part d'un thème, on ouvre, on développe, sans parler de la rythmique de la cymbale ou des choses comme ça qui sont, pour être technique, ternaires par exemple, choses que le commun des Occidentaux ne comprend pas tout à fait bien. Même les musiciens occidentaux sont fascinés parfois. En tout cas, ce n'est pas une musique formatée pour le public occidental…Qu'un titre de kompa dure tranquillement huit minutes, ça ne gêne aucun Antillais, ni aucun Haïtien. Par contre, ça gêne les radios occidentales. Sans compter que c'est une musique excessivement live. Et donc peu formatée au niveau du son aussi. Les médias ici ont besoin de la dynamique des boîtes à rythmes, de la régularité dans les morceaux, le côté un peu mécanique et robotique de la musique. C'est un peu ce qui se passe en radio en ce moment. Et le kompa n'entre pas du tout dans ce type de dynamique".
Dieudonné Larose, qui a eu le privilège de conclure cette nuit du kompa, vers les cinq heures du matin au Zénith, s'interroge, lui, sur ces longueurs, à tel point qu'il en est venu à réduire un peu certains morceaux. "Personnellement, dit-il, mes morceaux font cinq à six minutes maximum. Mais il ne faut pas oublier que c'est une musique de danse. Il faut que les gens puissent bouger et s'amuser sur la musique. Quand c'est trois minutes, ça passe trop vite. Les gens n'ont pas le temps de savourer leur plaisir. C'est pour ça qu'on prolonge l'ambiance. De toutes manières, c'est notre public qui le veut comme ça". Mais c'est aussi Haïti qui marque sa différence, lui a-t-on demandé? "Tout à fait! Parce que sinon, on ne se sentirait plus tout à fait haïtien. Et ce serait dommage". C'est ainsi que se distingue au pays des Fugees une forme de résistance musicale face à la mondialisation abrutissante des sons. Dont acte.
Soeuf Elbadawi