France-Québec

Lors de sa récente tournée québécoise, Renaud dénonçait gentiment l'impérialisme québécois en France où les palmarès sont assiégés par Garou, Roch Voisine, Lara Fabian, Lynda Lemay, Isabelle Boulay, Daniel Lavoie, Céline Dion ou Bruno Pelletier pour ne citer qu'eux. La télévision française joue aussi la carte québécoise avec les animateurs Julie Snyder, Véronique Cloutier et tout récemment, Grégory Charles. Les humoristes Anthony Kavanagh et Michel Courtemanche y sont depuis longtemps couronnés. Mais y a t'il autant de Français dans le paysage culturel québécois que l'inverse ? Réponse.

Des cousins plus proches que jamais

Lors de sa récente tournée québécoise, Renaud dénonçait gentiment l'impérialisme québécois en France où les palmarès sont assiégés par Garou, Roch Voisine, Lara Fabian, Lynda Lemay, Isabelle Boulay, Daniel Lavoie, Céline Dion ou Bruno Pelletier pour ne citer qu'eux. La télévision française joue aussi la carte québécoise avec les animateurs Julie Snyder, Véronique Cloutier et tout récemment, Grégory Charles. Les humoristes Anthony Kavanagh et Michel Courtemanche y sont depuis longtemps couronnés. Mais y a t'il autant de Français dans le paysage culturel québécois que l'inverse ? Réponse.

Il aura fallu attendre l'arrivée du phénomène Roch Voisine pour qu'une brèche s'ouvre et que le marché français, jusque-là véritable champ de mines pour les artistes québécois, devienne plus accueillant. Certes Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Diane Dufresne et Robert Charlebois ont été de grands ambassadeurs mais c'est à l'hystérie autour du sex-symbol québécois que l'on doit le succès actuel de la nouvelle génération. Dès lors, le petit marché francophone d'Amérique du nord a été observé à la loupe et est devenu exotique pour une chanson française trop souvent, à l'époque, mielleuse et portée par des voix de piano désaccordé ou comme l'ont déjà écrit certains critiques québécois, "de chat égorgé aphone". Les choses ont depuis changé.

Si les artistes québécois ont dû travailler fort pour percer en France, l'inverse est tout autre. Depuis toujours des stars comme Charles Trenet, Charles Aznavour, Serge Lama, Mireille Mathieu jouissent d'une excellente réputation et d'un public fidèle. Un Dick Rivers (prononcé chez nous à l'américaine puisque son nom l'est) a longtemps été une valeur sûre, vendant presque plus de disques au Québec que dans son propre pays. L'engouement actuel pour les vieilles reprises de la chanson française s'explique comme le trait inédit d'une société nostalgique qui n'entend plus rien de bon dans ce qui se fait aujourd'hui. Si la France a longtemps été enlisée dans cette nostalgie, c'est au tour du Québec d'y nager et à en croire les chiffres, la rive est encore loin avant d'atteindre la prochaine étape.

Le meilleur exemple est sans nul doute l'album blanc Le lait, illustrant les campagnes publicitaires de la puissante industrie laitière (le lait étant la boisson nationale des québécois). Avec ses 100.000 copies vendues, cette compilation de vieilles chansons françaises regroupant entre autre Adamo (C'est ma vie), Gilbert Bécaud (Je reviens te chercher), Charles Trenet (La Mer), Michel Delpech (Pour un flirt), à même réussi l'exploit d'empêcher les albums de Ginette Reno et des Beatles d'atteindre le sommet des palmarès. Comme quoi le lait n'est pas qu'une excellente source de calcium ! Musimax, quant à elle, présente la très étonnante émission Maxilounge le samedi soir où un public de moins de 30 ans danse sur les hits de Dalida, Sheila et autres stars du siècle passé.

Francis Cabrel, Patrick Bruel, Florent Pagny, Vanessa Paradis sont parmi les chanteurs français qui tournent le plus sur les radios québécoises. Avec 65 % de contenu francophone imposé par le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), la radio Rock Détente (réseau numéro 1 au Québec) dont la programmation est au deux tiers composée de souvenirs, est le premier diffuseur au pays d'où ses liens très étroits avec les très rares artistes français en tournée chez nous. Pour remercier l'auditoire de la radio, âgé de 25 et 49 ans, Bruel offre de façon régulière des concerts acoustiques sur le réseau et il n'est pas le seul. Les plus grands comme Sardou et Hallyday se prêtent aussi au jeu.

Le grand gagnant des deux dernières années est toutefois Allan Théo dont l'album est d'abord sorti au Québec avant la France pour atteindre le disque de platine, du jamais vu pour un chanteur français. Un tel succès s'explique par la campagne marketing à laquelle la jeune vedette a accepté de se soumettre. Contrairement à la majorité de ses compatriotes, Allan Théo s'est investi pendant plusieurs mois dans ce petit marché qui s'est avéré finalement très lucratif puisqu'il a vendu à lui seul plus d'albums que Cabrel et Bruel réunis avec leur dernier disque respectif. Comme Daran avant lui, Allan Théo a compris que pour conquérir un nouveau marché, il fallait y être visible. Daniel Seff, Nicolas Peyrac, Jérôme Minière ont eux carrément décidé de s'installer au Québec. Une démarche que les artistes québécois ont compris ces dernières années avec les résultats que l'on connaît.

Si la présence française est encore conservatrice, des chaînes de télévisions musicales comme Musique + et Musimax n'hésitent plus à jouer la carte de la relève avec la diffusion des clips de Louise Attaque, Anggun, Mickey 3D (Mistigri Torture), Manau, St Germain, Arthur H, Yannick, Disiz la peste, Passy, Jacky & Ben-J ou Pierpoljak dont le reggae hante les clubs montréalais. Même si la vieille garde française occupe toujours fortement le terrain, elle en cède une partie au hip hop et rap français propulsés par le Festival d'Eté de Québec ou les Francofolies de Montréal, les deux meilleurs moyens d'écouter ce qui se fait de neuf au pays de Pascal Sevran. Une déferlante rafraîchissante, donc, qui a toutefois ses limites. La protégée de Mylène Farmer, Alizée, n'a par exemple aucune chance de percer ici selon les critiques, pas plus que ne décollent, dans un autre registre, les ventes de Jean-Jacques Goldman pourtant sacré dieu vivant dans son pays ou de Pascal Obispo.

Le son "Made in France" a donc la cote et rien ne semble indiquer une quelconque lassitude contrairement au son "Fait au Québec" que certains Français trouvent ces derniers temps envahissant. A cela, je réponds qu'une francophonie puissante est le seul moyen efficace de faire face à la culture américaine et le Québec dans ce domaine a quelques décennies d'avance sur une France qui, par le passé, à été trop longtemps sûre d'elle-même.

Pascal Evans