Matmatah

Energique et bon enfant sans être pour autant très sage, Matmatah avait trouvé le cocktail idéal pour faire de La Ouache un succès inhabituel dans le paysage du rock français. Presque trois ans après ce premier album qui s'est vendu à 600.000 exemplaires, le quatuor breton abat une nouvelle carte avec Rebelote. Certainement un tournant dans la vie de ce groupe qui se défait aujourd'hui des oripeaux celtiques qu'on lui avait volontiers collés.

Rock'n'roll attitude

Energique et bon enfant sans être pour autant très sage, Matmatah avait trouvé le cocktail idéal pour faire de La Ouache un succès inhabituel dans le paysage du rock français. Presque trois ans après ce premier album qui s'est vendu à 600.000 exemplaires, le quatuor breton abat une nouvelle carte avec Rebelote. Certainement un tournant dans la vie de ce groupe qui se défait aujourd'hui des oripeaux celtiques qu'on lui avait volontiers collés.

La Bretagne et le rock, c'est une histoire d'amour qui dure depuis plus de vingt ans. Les succès locaux continuent d'échapper étrangement au centralisme culturel français et Matmatah en a apporté une nouvelle preuve en commençant par vendre dans sa région 30.000 exemplaires d'un single autoproduit avant d'enregistrer La Ouache. Des bars de Brest où ils ont débuté jusqu'au plus grands festivals, en passant même par la Chine, les quatre musiciens ont ensuite prouvé qu'ils aimaient inlassablement et par-dessus tout, la scène pour communiquer leur enthousiasme. Assez en tout cas pour qu'un policier, venu à leur show à Nantes en juin 1998, saisisse le procureur en l'alertant sur les paroles de L'Apologie, chanson qui explique que "non, bien sûr, le pétard n'élève pas la raison/Je le conseille tout de même avec modération (…)/L'alcool et le tabac ont le droit de tuer/Car aux comptes de l'État apportent leurs deniers." Poursuivis pour "provocation à l'usage et au trafic de stupéfiants et présentation sous un jour favorable de ces produits", chaque membre du groupe a été condamné à payer une amende. Avant de repartir sur les routes, avec un peu de retard car le bassiste Eric s'est fracturé le bras droit sur le tournage du clip de Quelques Sourires, les deux guitaristes Sammy et Stan présentent le nouvel album de Matmatah intitulé Rebelote.

Avec 700 concerts donnés lors des quatre dernières années, quand avez-vous trouvé le temps de préparer ce nouvel album ? Vous aviez élaboré quelques morceaux au cours de vos tournées ?
Stan : Il y a une ou deux chansons qui arrivent comme ça, mais on a un peu de mal à écrire en tournée, on préfère se concentrer sur les concerts. En fait, ce sont majoritairement des chansons qui datent de cette année. D'abord on a fait un break, on a pris des vacances parce qu'après quatre ans de tournées, tu as besoin de te calmer un petit peu et on s'y est mis sérieusement depuis l'été, pour arriver en studio fin octobre.
Sammy : Ça s'est fait en plusieurs parties. Il y a eu toute une phase d'écriture, on a commencé à bosser séparément avant de se retrouver, puis on a travaillé avec le directeur artistique qui est venu à Brest pour nous aider à structurer les chansons et nous donner son avis. Avant d'aller au studio, une grande partie du boulot était faite. On avait déjà les structures, les lignes directrices même si après on a rajouté des choses et même un morceau créé pendant l'enregistrement.

Stan : Pour le premier album, on connaissait les chansons, on les avait jouées avant même de savoir qu'on allait faire un disque. Mais là, c'était différent : c'était la première fois qu'on avait une demande.
Sammy : Ce qui était bien, c'est qu'on a pu prendre une peu plus de temps que pour le premier mais on n'a pas voulu non plus en prendre trop parce que il y a des chansons sur lesquelles tu pourrais rester un an et ne jamais la finir. A un moment, il faut s'arrêter. Il fallait une date butoir pour arrêter les morceaux.
Stan : Ça crée une urgence qui est bénéfique. On a découvert cette situation qu'on n'avait pas vécue auparavant. On a expérimenté.

Est-ce que cela a changé votre façon de concevoir les morceaux ?
Sammy : J'ai l'impression que ce sont des chansons qui sont faites pour le live, qui sont faites pour quatre mecs qui jouent sur scène. On s'est attaché à ne pas trop surproduire pour garder cet aspect, mais c'est vrai qu'en bossant certains morceaux, je sais très bien qu'il y a des parties de guitare que j'imaginais en concert, et je me disais qu'elles seraient efficaces.

Rebelote, comme La Ouache, a été enregistré en Grande Bretagne. Qu'est-ce qui vous attire dans cette démarche ?
Stan :
On voulait manger de la vache folle. Plus sérieusement, parce que les gens qui nous recevaient ne nous connaissaient pas spécialement, donc n'avaient pas d'idées préconçues sur notre musique. Et c'était pratique parce qu'au moins, on était dans un endroit pour ne plus en bouger. Pas de potes qui puissent venir nous inciter à sortir. On était vraiment dans le trip album. Changer de pays, partir dans une aventure et n'en ressortir que quand c'est fini.

Vous avez vraiment besoin d'être à ce point concentré pour faire un album ?
Stan :
Pendant l'enregistrement, il y a une certaine tension. On était dans un cocon, dans un vieux manoir du XVIIè siècle, perdu dans la campagne au Nord de Londres. Un manoir très british, avec de la moquette partout, et évidemment hanté. Quand tu veux faire du rock dans une ambiance anglaise comme celle-là, ça aide, ça inspire. Et dans les studios anglais, il y a toujours du matos mythique qui traîne en général. Cette fois-ci, c'était la console des Pink Floyd pour Wish You Were Here qui avait été rapportée d'Abbey Road et qu'on a utilisée. Ça fait quarante ans qu'ils enregistrent des groupes de rock et il y a un savoir-faire qui n'est pas le même qu'en France. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. On a de très bons producteurs et de très bons studios ici, mais là bas il y a un truc.

On vous a souvent dit - assez pour vous énerver quelque peu - qu'il y avait dans La Ouache un aspect celtique. Est-ce que ça vous énerve si on vous dit que celui là est plus du rock pur ?
Stan :
De toute façon, quand tu es de Brest ou simplement breton, tout ce que tu fais est celtique et on nous a déjà dit que certaines nouvelles chansons étaient celtiques. Il y a toujours beaucoup d'influences qui persistent sur ce nouveau disque. C'est vrai qu'il est plus rock et peut-être moins festif. A l'époque de La Ouache, on était étudiant. Maintenant, on ne l'est plus, on a un peu grandi et on espère que les gens auront évolué avec nous.

Votre ascension s'est faite assez rapidement et on devine que cela a dû susciter des jalousies. Pourtant, dans Y'a de la place, vous êtes plutôt altruistes à l'égard des autres groupes ?
Stan :
C'est vraiment une chanson sur les festoches. Il y a toujours des jaloux, mais le plus important, c'est de savoir qu'avant d'être sur la scène des Vieilles Charrues, on était dans le public l'année précédente. Et c'est vrai dans les deux sens. En 1999, Sammy était sur la grosse scène devant 40.000 personnes, en 2000, il était au camping en train de jouer de la guitare. Il y a de la place pour tout le monde partout. Tout le monde est acteur d'un festival comme celui-là, tout le monde "fait" le festival.

Dans Quelques Sourires, le premier single de l'album, vous revenez sur l'affaire provoquée par la chanson L'Apologie. Vous n'aviez pas fait appel du jugement rendu l'été dernier ?
Stan :
Non, on préfère s'expliquer dans une chanson. Notre terrain de bataille, ce n'est pas les tribunaux. On a fermé notre gueule jusqu'à un moment donné, mais fallait pas déconner. Et quand tu vois ce qui est arrivé… car il faut quand même dire qu'on ne nous empêche pas de chanter ce morceau (alors que le groupe a été condamné à payer une amende, ndlr). C'est débile, c'est la politique de l'autruche du gouvernement sur ce sujet depuis trente ans.

A qui demandez-vous "Pardon d'avoir juste essayé de vous voler quelques sourires" ?
Stan :
J'ai eu cette idée en regardant sur Arte une émission sur le Festival des Vieilles Charrues. On nous voit chanter L'Apologie et tu vois quarante mille personnes avec la banane, alors tu te dis : "Qu'est-ce qu'on a fait de mal à part leur voler quelques sourires." Il faut remettre les choses à leur place, il y a des sujets plus graves que celui-là.

Matmatah Rebelote (Trema) 2001