LES FRÈRES MARCELLESI

Paris, le 10 avril 2001 - Les frères Marcellesi, à quelques mois de différence, sortent de l'ombre des cabarets avec un album chacun. Racines insulaires réaffirmées, ballades inspirées, rythmiques acoustiques… Le premier s'évade vers le monde via la Méditerranée. Le second plante ses rêves au Cap-Vert. Reste à savoir qui des deux l'emporte dans le cœur des mélomanes avertis. Un point commun : leur Corse à eux refuse le repli sur ses racines.

Nouvelle Corse attitude

Paris, le 10 avril 2001 - Les frères Marcellesi, à quelques mois de différence, sortent de l'ombre des cabarets avec un album chacun. Racines insulaires réaffirmées, ballades inspirées, rythmiques acoustiques… Le premier s'évade vers le monde via la Méditerranée. Le second plante ses rêves au Cap-Vert. Reste à savoir qui des deux l'emporte dans le cœur des mélomanes avertis. Un point commun : leur Corse à eux refuse le repli sur ses racines.

Deux carnets de voyages. Sonores, déroutants et captivants. Si Corses et tellement mondiaux à la fois… Les frères Marcellesi aiment le grand large. Le premier, Jean-Pierre de son prénom, adore le grand Sud dans toute sa splendeur. Il aime à naviguer jusqu'au Brésil, via la mer Méditerranée, et se dit fasciné par le jeu d'un Vinicius de Moraes ou d'un Joao Gilberto. Une musique "sans surcharge" qui défie les genres figés, traque une samba, se mêle de bossa en passant ou nous entraîne volontiers sur un pas de mambo. Un vrai dédale d'influences venant d'ailleurs, qui n'effraie pas cependant, à l'inverse de certaines tendances world constatées auprès d'autres artistes français et européens.

Cette voix superbe s'élance à la conquête des ondes en Corse (sur un fado surprenant), bifurque par des chemins escarpés en langue italienne, catalane ou portugaise… Un vrai manifeste anti-frontières. On regrettera un peu la patte trop forcée de Mick Lanaro (réalisateur) et de Philippe Saisse (arrangeur) sur certains morceaux, lorsqu'ils s'oublient et tirent le chanteur vers une variété trop policée. Mais dans l'ensemble, l'émotion demeure. Comme quand l'artiste affronte, dit-on, le public intraitable et exigeant de son cabaret à Porto-Vecchio, la Taverne du Roy, où il sévissait quotidiennement depuis près de vingt ans, avec pour seule arme sa guitare acoustique. Barqueiro n'est que son premier album solo. Auparavant, il avait partagé quelques expériences de groupe qui ont fini leur vie dans des petits labels d'essence locale sur sa contrée d'origine. A présent, il s'apprête à redonner au monde les meilleurs souvenirs de ces voyages gloutons. Lui, qui a grandi au Maroc, vécu au Venezuela, traversé l'Inde, rêvé du monde arabe, adore brouiller les pistes.

Va-t-on le consacrer pour autant comme le meilleur artiste corse international ? Quel titre réservera-t-on alors à son grand frère Charles ? Lui aussi a voyagé. Le Maghreb où se sont rencontrés les parents, il connaît. Il est même né à Sfax en Tunisie. L'Europe, l'Afrique noire… Cela ne l'empêche pas d'apprendre très tôt les subtilités du patrimoine vocal corse. Superbe voix, là aussi. Il fait partie de la vague qui initie la fameuse nouvelle chanson corse, d'où sortiront notamment les groupes I Muvrini et Canta U Populu Corsu.

La Taverne du Roy, lieu incontournable de la scène corse, il le fonde avec son frère, avant de vendre ses parts pour prendre le large. Son point de chute, après quelques pérégrinations en famille dont le Cap-Vert, découvert jadis en compagnie de sa femme, dont les parents tiennent un hôtel à Morabeza. Persuadé que le paradis n'a souvent qu'un visage, il s'y installe et se laisse prendre par les sonorités du lieu. Il attrape au passage la saudade qui baigne tout le patrimoine capverdien et se retrouve en train de chanter au loin sa Corse natale. Aussi bien dans sa langue natale que dans son créole d'adoption. La suite est beaucoup plus simple à raconter. Quand le talent vous protège, les portes forcément s'ouvrent sur vos pas… Laissez-nous le croire. Avec sa voix qui vagabonde par-delà les océans, Charles Marcellesi séduit les artistes du cru, le leader de Simentera, Mario-Lucio Sousa en premier, et finit donc par signer sur un label capverdien de légende, celui de Cesaria Evora, qui, elle-même, avoue apprécier son génie et sa douceur inspirée par les nuits de Morabeza.

Dans ces carrières solo qui sont certainement appelées à durer, les frères Marcellesi, au-delà du sentiment de dépouillement et de la frivolité acoustique qui les accompagnent, ont ceci d'admirable : tout les amène à porter en eux l'identité d'une île de Beauté qui sait se mêler aux autres pour mieux se retrouver. Ils font ainsi partie de cette génération d'artistes qui, après avoir longuement contribué à raffermir l'identité musicale de l'île, en puisant dans le creuset des traditions polyphoniques notamment, souhaite aujourd'hui réinventer le patrimoine légué par les anciens, loin des replis régionalistes aux accents douteux.

Il s'agit de la dynamique qui anime actuellement toute la scène musicale corse. C'est à qui ramènera le plus d'influences enrichissantes. Notre confrère, la magazine Télérama rapportait il y a peu ce propos de Micaelli, l'une des plus belles voix corses : "Je sais parfaitement d'où je viens et je n'ai plus besoin de le chanter sur tous les toits. Est-ce que vous parlez toute la journée de l'utérus de votre mère ?" Quel plus bel hommage pourrait-on dresser à ces métissages d'un nouveau genre ? La Corse tend la main au monde qui l'environne. Entendre Boy Ge Mendes, pendant masculin de Cesaria, interpréter Santa Maria en conclusion de Corsicaboverde aux côtés de Charles Marcellesi est une leçon magistrale sur le rapport à l'Autre. Parfois, les plaisirs se mélangent et nous ne faisons plus qu'un, quelles que soient nos origines. Mais peut-être que l'insularité aide à comprendre ces choses… Pour ne pas oublier qu'un poète chante aussi pour la paix, les chansons des Marchelesi parlent de tolérance, d'amour, de respect et de rencontre. Qui dit mieux ?

Soeuf Elbadawi

Baarqueiro de Jean-Pierre Marcellesi (V2/ Sony Publishing)
Corsicaboverde de Charles Marcellesi (Lusafrica)