De Wilde s'electrise
Virage bien amorcé pour le pianiste de jazz Laurent de Wilde ! Après plus de deux années passées à peaufiner son album électronique, il sort galvanisé de cette nouvelle expérience musicale, et s’apprête à affronter les clubs européens, du jazz café de Londres au Babylone d’Istanbul, en passant par l’incontournable New Morning à Paris.
Du piano aux machines
Virage bien amorcé pour le pianiste de jazz Laurent de Wilde ! Après plus de deux années passées à peaufiner son album électronique, il sort galvanisé de cette nouvelle expérience musicale, et s’apprête à affronter les clubs européens, du jazz café de Londres au Babylone d’Istanbul, en passant par l’incontournable New Morning à Paris.
L’œil qui brille et le sourire large, Laurent de Wilde vit absolument dans le présent. Hyper curieux des possibilités qu’offre l’électronique aux compositeurs, il a affronté les machines pour programmer lui-même son projet, un premier essai prometteur dont ne voulait pas sa maison de disques habituelle. Time for change, finalement sorti chez Warner Jazz où sont déjà le saxophoniste Julien Lourau et le groupe Mukta, s’écoute sans modération, de préférence debout, pour pouvoir bouger à tout moment, et surtout monter le son ! C’est en effet un album qui renoue avec les rythmes de la danse et réveille toute la dimension festive, sensuelle et charnelle du jazz.
Laurent de Wilde : "c’est marrant tout ce qui se passe en ce moment dans l’industrie de la musique, avec le MP3, l’internet, l’électronique, il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre. Le débat se durcit de plus en plus, moi ça me plaît de plonger dans tout ça, c’est ce qui m’excite. Ce sont mes premiers pas dans un champ de coquelicots ou de mines." Avec Time for change, Laurent de Wilde annonce la couleur : lui qui est reconnu pour ses compositions classiques et ses interprétations du répertoire, il change de rythme, soutenu par Stéphane Huchard et Philippe Garcia, les deux batteurs du sextet.
Né aux Etats-Unis, mais d’origine française, c’est à New York que le Frenchie parfaitement bilingue s’est fait les doigts, flirtant jusqu’au bout de la nuit avec les claviers des clubs, entre deux courts à l’université. Vaguement tenté par un cursus de philo, il lui préfère le piano, se disant alors que la musique, c’est de la philosophie en action et des idées en mouvement ! Nourri à la chaleur des rencontres, marqué par le génie de Thelonious Monk, auquel il a consacré une biographie, Laurent de Wilde remet bel et bien le compteur à zéro en s’offrant à 40 ans un bain de jouvence électronique.
“Ça a été assez compliqué d’autant que j’ai du changer de maison de disques en court de route, j’ai commencé par travailler sur l’ordinateur et le sampleur pour créer des séquences. Puis j’ai organisé des formats assez souples que j’ai emmené en studio, avec le sextet acoustique, et chaque musicien a pu jouer d’une manière extrêmement libre, pendant deux jours d’improvisation. Ce sont vraiment les consignes que je leur ai données, cherchez l’émotion, pas la perfection. Ensuite, j’ai retravaillé pendant sept mois les deux heures et demie d’enregistrement pour en tirer le meilleur son. C’est un procédé un peu suspect, que les puristes du jazz ont du mal à admettre, alors que les gens de l’électro, ça ne les a absolument pas gênés, parce qu’ils ont l’habitude de travailler comme ça. En ce qui me concerne, la critique tombe dès qu’on est sur scène, où l’on joue dans l’instantanéité la plus complète. En fait, l’album m’a permis de rassembler une matière sonore que maintenant, je ramène en concert et que je joue avec des machines... en temps réel !”
La scène, c’est l’occasion de découvrir de Wilde aux machines, mais aussi au Fender Rhodes (piano électrique, ndlr), un choix totalement justifié pour le pianiste habitué au piano acoustique. "Le Fender Rhodes, inventé par Monsieur Harold Rhodes, décédé d’ailleurs il y a quelques semaines à l’âge vénérable de 92 ans, c’est la seule alternative dynamique au piano acoustique… On peut le caresser, on peut le frapper, le faire chuchoter, le faire rebondir, il a une réserve sensible et émotionnelle, énorme!” Une sensibilité particulièrement exprimée dans le dernier morceau de l’album, Blues in the background, plus de trois minutes de ballade nocturne et résolument urbaine dans une nuit américaine aux sirènes d’ambulances et de police, aux passages de voiture et de train, aux portes des clubs entrouvertes d’où s’échappent les derniers clients.
Avec Time for change, le titre éponyme de l’album, la trompette de Flavio Boltro délire de façon jazz free, trafiquée de pas mal d’effets, avec quelques pointes à 211 BPM, et une ambiance climatique orageuse. Mais Laurent de Wilde ne renie pas pour autant les compositions de son maître Thelonious Monk, il lui offre même une place de choix, puisque Shuffle Boil, composé dans les années 50 ouvre l’album.
"Je ne crois pas que le changement élimine la possibilité de revenir aux sources, au contraire, je crois que changer c’est se ressourcer, et Monk est pour moi une fontaine abondante. Je dirais que c’est quelqu’un qui fait parti de ma vie à mon corps défendant ! Si on a mis Shuffle Boil en ouverture, c’est parce qu'il sonne effectivement entre de l’ancien et du moderne ; je n’ai pas la prétention de faire une musique révolutionnaire mais une musique qui s’inspire toujours des mêmes racines et qui choisit un chemin un petit peu différent ! Pour ma part, je n’arrive jamais à sonner comme je voudrais, et ça me donne envie de continuer, parce que le jour où je serais satisfait, c’est que je serais mort." (éclat de rire).
En attendant, Laurent de Wilde a eu l'heureuse idée de convier son amie la poétesse new-yorkaise Dana Bryant à choisir une composition. Elle a craqué sur The Présent et balance chaleureusement son texte, un des moments les plus forts de l'album...
Laurent de Wilde : "J'avais envie depuis très longtemps de faire quelque chose avec elle, et ce que je trouve magnifique, c'est que le poème de Dana sonne aussi bien en anglais qu'en français !". A ce propos, est-ce que Laurent de Wilde se sent d'attaque pour retrouver le public new-yorkais ? "Bien sûr que j'y pense, mais puisqu'on doit se produire en juillet au Festival de jazz de Montréal, je pense qu'on en profitera pour faire un stop à New York !". C’est avec des étoiles dans les yeux que de Wilde évoque l’Amérique, matrice de l’électronique… et du jazz !
Valérie Nivelon
Time 4 change (Warner Music France)
En tournée en Europe jusqu'en mai :
Le 13 avril à Nice, le 19 au Printemps de Bourges, le 21 à Londres.
Le 5 mai à Paris (les Fêtes de Jazz), le 18 au Plan de Ris Orangis, le 24 au festival Jazz sous les Pommiers, le 25 à Angers.