Baaba Maal

Si Nomad Soul, son précédent album témoignait d’une volonté cross-over manifeste, dans Missing you (mi yeewnii), Baaba Maal semble vouloir retourner à la source, retrouver les ambiances paisibles des soirées au clair de lune dans le Fouta, la terre d’où il vient, au Nord du Sénégal.

Le plaisir simple du dépouillement

Si Nomad Soul, son précédent album témoignait d’une volonté cross-over manifeste, dans Missing you (mi yeewnii), Baaba Maal semble vouloir retourner à la source, retrouver les ambiances paisibles des soirées au clair de lune dans le Fouta, la terre d’où il vient, au Nord du Sénégal.

RFIMusique : Vous revenez dans ce nouvel album à vos premières amours, c’est à dire à une musique acoustique et dépouillée. Cela signifie-t-il que vous avez définitivement tourné la page par rapport au parti pris de fusion et de sonorités urbaines qui étaient la marque de vos dernières productions ?
Baaba Maal : Non. Il est d’ailleurs certain que je reviendrai plus tard à un style "cross-over", à ce genre de musique que l’on nomme "musique moderne". Mais avec cet album, je voulais revenir à moi-même, écrire des chansons dans une complicité entre moi, ma voix, ma guitare, Mansour Seck. Faire une musique plus naturelle, qui me repose sur le plan de la conception, de l’enregistrement, et beaucoup plus facile à adapter sur scène.

RFIMusique : Cela signifie-t-il que vous ne vous retrouviez pas vraiment dans Nomad Soul par exemple, votre album précédent, sorti en 1998 ?
B. M. : Je reconnais que Nomad Soul m’a ouvert des portes sur le plan professionnel, aux Etats-Unis par exemple, mais je sais que certaines chansons que j’ai reprises ici comme Fanta , je les ressens beaucoup plus dans leur forme acoustique. Elles sonnent pour moi beaucoup plus vrai.

RFIMusique : Vous venez de participer à l’enregistrement d’un album collectif (pas encore disponible) d’hommage à Fela. C’est quelqu’un qui a donc compté pour vous ?
B. M. : Beaucoup. Il a énormément touché la jeunesse et les musiciens d’Afrique. Au Sénégal quand on écoute Xalam, par exemple, on se rend compte à quel point Fela était une référence pour ce groupe aujourd’hui disparu.

RFIMusique : Il y a-t-il d’autres musiciens ou chanteurs africains qui vous ont particulièrement marqué ?
B.M. : Myriam Makeba, Hugh Masekela, ont été des repères pour moi, notamment quant à la manière de se tenir sur une scène, quant à l’image. Le Bembeya Jazz de Guinée également. Que l’on écoute ce que je fais, ce que font Salif Keïta ou Mory Kanté, on voit bien que nous sommes tous imprégnés de la musique de cet orchestre. En Guinée, il y avait également Kouyaté Sory Kandia que j’ai toujours adoré. Je l’écoute jusqu’à aujourd’hui avec la même émotion qu’au début. C’est lui qui m’a le plus inspiré musicalement. Sa voix, ses recherches sur la musique traditionnelle. Beaucoup de combinaisons que l’on entend aujourd’hui viennent de lui. Il a eu l’idée de réunir des instruments qui ne l’avaient jamais été auparavant dans la tradition ou bien venant de pays différents. Au cours de ses tournées avec les Ballets Guinéens, il ramenait toujours des chansons qui l’avaient séduit ici ou là. Je l’ai entendu par exemple chanter des airs de Tanzanie. C’est cette ouverture qui me plaît en lui. Il s’est senti musicien du monde. Il avait une voix exceptionnelle, un grand sens de la mélodie et une conscience aiguë du rôle de la chanson dans la musique africaine.

RFIMusique : Quel est-il ce rôle ?
B. M. : Dans la musique africaine tout est construit autour de la chanson. Elle véhicule souvent un message, un texte duquel les gens peuvent retirer quelque chose. Que ce soit l’éducation, l’histoire, les opinions des hommes de culture sur telle ou telle chose, tout cela passe par la chanson qui doit avoir un rôle éducatif. L’artiste doit tenter de déceler ce que ressentent les gens, la société, et cette perception lui donnera l’inspiration pour écrire ses chansons.

RFIMusique : Parmi ceux que vous évoquez lorsque vous parlez d’" hommes de culture", il y a par exemple l’écrivain sénégalais Cheikh Anta Diop.
B. M.
: Il est beaucoup plus qu’un homme de culture. C’est un historien, un scientifique qui sait exprimer très clairement les choses. Dommage que les gens n’aient pas su profiter de ses recherches. Cela aurait pu les éclaircir sur beaucoup d’informations qui sont assez confuses dans leur tête, quant aux origines, au rôle qu’ont joué les populations africaines dans la civilisation universelle. Donc pour moi Cheikh Anta Diop, c’est une référence, et il n’est jamais trop tard pour aller à la découverte de son œuvre. J’ai participé à un titre qui lui était dédié sur l’enregistrement d’un groupe de rappeurs, Golongal, sorti uniquement en cassette.

RFIMusique : Dans cet album, vous chantez à nouveau la paix, l’unité africaine. Vous y croyez encore ?

B. M. : J’ai choisi d’intituler cet album Missin You – mi yeewnii , ce qui équivaut à nostalgie . Cela veut dire que j’ai la nostalgie de l’unité africaine dont on parle depuis toujours, qui existe dans les esprits et peut-être dans les cœurs. C’est un désir présent en chacun de nous. J’ai la nostalgie de cette unité africaine que je n’ai pas vue mais j’ai toujours bon espoir. Il faut savoir dire non à tout ce qui peut nous séparer. La jeunesse va faire changer les choses, j’en suis persuadé.

RFIMusique : Vous évoquez également l’atmosphère paisible des soirées de pleine lune au village.
B. M. : C’est toute ma vie au Fouta avant que j'aie commencé à voyager. Au cours de ces nuits de pleine lune, j’apprenais à connaître beaucoup plus mes parents, surtout mon père qui nous contait son histoire. Et à travers son histoire, on apprenait qui on était. Je suis très attaché à ma région d’origine et chaque fois que je peux y retourner, je le fais. Ces quatre dernières années notamment. On a investi là-bas dans le tourisme, essayé de monter des choses, comme une manifestation intitulée "les 72 heures culturelles" à Podor, au cours de laquelle on reçoit beaucoup d’artistes et d’artisans qui viennent de tout le Sénégal.

RFIMusique : Que ressentez-vous lorsque vous chantez ?
B. M. : J’ai le sentiment d’exprimer à travers ma voix ce que l’Afrique a envie de communiquer. Je voyage à l’intérieur de moi et je dis des choses qui appartiennent en fait à tout un chacun.

Baaba Maal Missing you (mi yeewnii) (Palm Pictures/Naïve) 2001