Garou en orbite

Il y a deux ans à peine, Garou était aussi inconnu au Québec qu'en France. Il aura suffit d'une saison dans la peau du bossu de Notre-Dame, de quelques spectacles à Paris, Londres, Montréal et Bruxelles et d'un premier disque qui n'a pas emballé les critiques pour en faire une méga-vedette des deux côtés de l'Atlantique. Coup de pub ou vrai talent ? Probablement beaucoup des deux !

Ou les arcanes d'un succès rapide...

Il y a deux ans à peine, Garou était aussi inconnu au Québec qu'en France. Il aura suffit d'une saison dans la peau du bossu de Notre-Dame, de quelques spectacles à Paris, Londres, Montréal et Bruxelles et d'un premier disque qui n'a pas emballé les critiques pour en faire une méga-vedette des deux côtés de l'Atlantique. Coup de pub ou vrai talent ? Probablement beaucoup des deux !

C'est un peu comme le décollage d'une fusée. Ça fait à peu près le même bruit et, comme tout a été minutieusement programmé, il faut bien que ça lève. Pour Garou, qui vient de faire six soirs à l'Olympia seul pour la première fois après avoir vendu un million d'albums (dont 800.000 en France), on peut dire que le décollage est réussi. Le vaisseau a non seulement levé de terre dans une orgie de décibels, mais le premier étage de la fusée vient d'être largué sans problème.

Peu de vedettes ressemblent pourtant autant à un O.V.N.I. que Garou. Une étoile comme Céline Dion avait mis plus d'une dizaine d'années et fait un énorme détour par les États-Unis avant de s'imposer en France. Robert Charlebois était un artiste confirmé avec déjà quelques classiques de la chanson derrière lui avant de lancer ses tambours dans une salle parisienne. Même la talentueuse Isabelle Boulay avait écumé tous les bars country du Québec et enregistré deux disques avant d'attirer son premier spectateur parisien.

Mais pour Garou, tout est différent. La presse québécoise parle d'un prince charmant à qui tout semble réussir comme par enchantement. Du moins, depuis ce jour où Luc Plamondon lui proposa de tenir le rôle de Quasimodo dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris.

A 26 ans, ce grand jeune homme d'un mètre quatre-vingt était un parfait inconnu. Garou n'avait jamais enregistré de disque, ne possédait pas de répertoire, n'avait pas de parolier et encore moins d'expérience. Même son nom de scène semblait avoir été volé à Robert Charlebois, que des générations de fans québécois avaient toujours surnommé affectueusement «Garou».

Il suffit de quelques mois à peine pour que l'interprète de Lindberg soit dépossédé de son patronyme et que l'homme à la voix éraillée devienne une vedette des deux côtés de l'océan. Depuis, Garou a été pris en charge par la plus grosse machine à spectacles de la francophonie. René Angélil, qui a du temps libre depuis que Céline Dion s'occupe de sa progéniture, lui a déjà planifié un album en anglais qui sera lancé aux États-Unis l'an prochain. Le mois dernier, Quasimodo a même été élu «le plus bel homme du Québec» lors d'un scrutin populaire organisé par une chaîne de télévision québécoise.

C'est dire comment tout réussit à celui qui n'était qu'un inconnu il y a deux ans.

Avant d'être propulsé au firmament du show-business, Garou s'appelait tout simplement Pierre Garand. Il n'avait à peu près jamais mis les pieds à Montréal et chantait dans les bars de Sherbrooke et de Magog, deux petites villes des Cantons de l'Est, près de la frontière américaine à une centaine de kilomètres de la métropole québécoise.

Mais Magog est située sur les rives du lac du même nom où fraye, pendant l'été, une grande partie de la faune artistique québécoise. C'est là, au Liquor Store (débit d'alcool), que Luc Plamondon a découvert celui qui ne chantait alors que du Sinatra, du Joe cocker et du James Brown.

Né le 26 juin 1972, d'un père garagiste et d'une mère au foyer, Garou a étudié au séminaire de Sherbrooke. Ses parents voulaient en faire un médecin ou un avocat. Comme tant d'autres avant lui, l'adolescent fredonnait les succès des Beatles dans un petit groupe appelé Windows and Doors. Garou dit avoir été influencé par Gerry Boulet, un rocker à la voix éraillé qui a chanté quelques grands poètes québécois, comme Gilbert Langevin. Mais, Pierre Garand n'est pas vraiment du genre à chanter les poètes marginaux.

Pendant que ses amis font du stop jusqu'à Vancouver, il s'enrôle deux étés dans l'armée canadienne. C'est alors qu'il rencontre Isabelle Bolduc. Sa meilleure amie le pousse à monter sur scène et lui présente Francis Delage, le patron du Liquor Store qui l'engagera sur-le-champ. Plus tard, Isabelle Bolduc sera sauvagement assassinée par un détraqué. Garou dit en avoir été blessé pour toujours.

Mais Garou se révèle un «entertainer» hors pair avec sa voix éraillée qu'il travaille soigneusement à l'alcool et au cigare. À Montréal, il monte brièvement sur la scène de deux bars branchés, le Bourbon Street et le Medley. S'il avait continué dans cette voie, il aurait probablement dû se trouver des textes et des musiques et faire son chemin dans le milieu difficile de la chanson montréalaise. Au lieu de cela, Luc Plamondon lui offrira un aller simple pour Paris.

Contrairement à ce que laisse penser le titre de son disque (Seul), Garou n'est pas un solitaire. Dès les premières semaines du succès de Notre-Dame de Paris, il apparaissait clairement que le grand échalas de Sherbrooke en serait la révélation. Garou était déjà une vedette avant même d'avoir enregistré une seule note et de s'être déniché une chanson originale. On sait que Charles Talar, le producteur de Francis Cabrel et de Notre-Dame de Paris, a tenté de lui faire signer un contrat. Garou a préféré attendre que René Angélil lui déroule le tapis rouge. Garou en profite pour recruter ses amis. Comme pour Céline Dion, son équipe sera essentiellement québécoise. Son vieil ami Francis Delage devient son directeur de tournée. Il retrouve aussi ses fidèles musiciens, The Untouchable, avec qui il avait écumé les bars de Sherbrooke.

Le choix d'Angélil lui vaut une avalanche d'invitations sur tous les grands plateaux de télévision qui diffusent la biographie romancée, "Seul avec Garou", qu'a réalisée Jean Lamoureux avec la productrice Julie Snyder. Dans une émission de TF1 en hommage à Line Renaud, le Québécois chante Ma cabane au Canada. Céline Dion accepte d'interpréter une chanson en duo sur son disque.

Dans une interview, l'ancien «bum» (type, ndlr) des Cantons de l'Est admet avoir joui d'un «marketing extraordinaire». Dans un moment de lucidité, il reconnaît aussi que Seul n'est pas l'album de ses «rêves», mais celui de la «réalité». Mais voilà, le sourire de Garou est sa meilleure carte de visite. Il fait craquer toutes les adolescentes (et leurs mères). Sur scène, il fait preuve d'un naturel assez rare en France. Et surtout, il aime ça. Même qu'il adore ça. Et on en redemande.

A bien y penser Garou n'est peut-être pas vraiment un chanteur. Ce serait plutôt un sex-symbol tout habillé de cuir, un brillant animateur de colonie de vacance, un "entertainer" débile, un crooner kitch, un cabotin génial. Bref, une star, disait Céline Dion. Une star qui aime être une star ! Garou n'aime pas tant chanter que d'être adulé et jouer avec le public. Et il ne fait jamais semblant. C'est son seul secret.

Plamondon disait de lui qu'il était probablement le meilleur «entertainer» depuis Robert Charlebois. Les géniales chansons de Charlebois en moins, aurait-il fallu préciser !

Après sa première à l'Olympia, Garou sablait le champagne au Bubble's, un petit bar à deux pas des grands boulevards. Avec ses amis, il caressait le disque de diamant que venait de lui remettre un représentant de Sony. Le détachement du prochain étage de la fusée est déjà prévu cet automne pendant six soirs au Zénith. Mission accomplie.

Christian Rioux

Seul (Sony / Columbia) 2001