Tahiti au Printemps
Ça y est, il pleut ! Le Printemps retrouve son traditionnel, voire historique, temps humide. Rien de tel donc, par cette météo, que quelques causeries musicales autour d’une table ou au fond d’un étrange musée avec deux groupes, les Têtes Raides et Tahiti 80, deux pratiques du métier pour le moins divergentes.
Ou le croisement de deux visions de la musique
Ça y est, il pleut ! Le Printemps retrouve son traditionnel, voire historique, temps humide. Rien de tel donc, par cette météo, que quelques causeries musicales autour d’une table ou au fond d’un étrange musée avec deux groupes, les Têtes Raides et Tahiti 80, deux pratiques du métier pour le moins divergentes.
Ce n’est pas un hasard si la société organisatrice du Printemps s’est à l’origine appelée « Ecoute s ‘il pleut »… Quand on va au festival de Bourges pour la première fois, le leitmotiv des connaisseurs est : « N’oublie pas ton ciré et tes bottes ! » Certes, dès le deuxième jour, l’état de certaines allées justifie déjà cette judicieuse mise en garde. Mais, la foule berruyère et les festivaliers de tout poil (à 90% des moins de 35 ans selon une étude menée en 1997 par le PdB et des étudiants locaux) n’ont, c’est bien connu depuis le boueux Woodstock ou les éditions embourbées des récentes Eurockéennes de Belfort, que faire de cette gadoue.
Après avoir justement enjambé quelques flaques mémorables, on se retrouve au sec autour d’une table où nous accueillent « comme à la maison » deux hôtes, Christian et Grégoire dit Iso, figures emblématique des Têtes Raides, groupe essentiel du paysage musical français dont l’authenticité du travail domine une industrie musicale souvent moins généreuse que ces sept têtes-là.
Cet après-midi, ils nous parlent, nous répondent, nous racontent qui ils sont. Peu portés sur la médiatisation, ils reviennent sur la cérémonie télévisée des Victoires de la musique où ils ont chanté il y a quelques semaines : « Nous, ce qui nous intéressait, c’était de pouvoir jouer en direct devant des gens qui ne nous connaissaient pas forcément. Pour la soirée en elle-même, il faut prendre un peu d’aspirine… », démarre Christian. C’est clair, leur contact avec la télévision a toujours été distant : « On s’est parfois fait virer de quelques émissions. Après les répétitions, ils nous demandaient de partir comme dans un Hommage à Piaf en 95. On cadrait pas, on était comme des ovnis par rapport aux autres participants. » « Ils nous ont pris pour des provinciaux et ils avaient carrément raison … » renchérit ironiquement Iso. « Ça fait 15 ans qu’on tourne et ce n’est pas ça qui va changer notre façon de faire. Ce qui nous importe, ce sont les gens dans les salles, qui viennent nous voir sans nous avoir vu à la télé. C’est plutôt sain », termine Christian.
Les membres des Têtes Raides sont plus portés sur le partage : « Des échanges avec des groupes, on en a tous les jours, avec les Casse Pipe, Noir Désir, Jean Corti, Yann Tiersen. L’échange, avec des musiciens ou des gens anonymes, c’est toujours positif. » D’ailleurs, Iso rappelle que depuis leur première galette qu’ils sont venus vendre eux-mêmes à Bourges en 89, ils ont toujours eu des invités. Avec Tiersen, sur scène ce soir-là avant eux, l’échange a toujours été fort : « Ça ne se raconte pas, ça se vit. C’est un bout de vie. C’est de la musique. Avec lui, on n’a jamais eu besoin de se poser de questions. On a quelque chose à se raconter. C’est aussi une façon de remettre en question comment on fait de la musique. »
Véritable encyclopédie des tournées Têtes Raides, Iso égrène les dates et lieux de passage du groupe au festival (cinq depuis 89), comme il le fait de façon spectaculaire à chaque fin de concert. Mais, pour eux « un festival, c’est la fête de la musique et il y a longtemps qu’à Bourges, c'est plus ça. » Ils jugent que désormais le Printemps pourrait « dériver sur un truc où ne se côtoient que les gens du métier », journalistes et professionnels et « la musique, ce n’est pas ça.»
Autre histoire, autre monde, autre vision du métier : Tahiti 80. Coincés entre la balance et une conférence de presse, on retrouve deux d’entre eux, Sylvain Marchand (2ème à partie de la gauche) le batteur et Pedro Resende le bassiste (à gauche toute), dans un coin sombre du singulier Muséum d’Histoire naturelle de Bourges, entre les champignons et le planétarium.
Moins de deux ans après la sortie de leur premier disque Puzzle (Atmosphériques/Trema/Sony), les Rouennais sont tout simplement Disque d’or au Japon (120.000 exemplaire écoulés rien que sur l’île nippone !) et rentrent de leur première tournée américaine. Fous de pop sixties façon Kinks,Byrds, Beatles and co., le quatuor a émergé avec un répertoire entièrement en anglais qui assume son cousinage non complexé avec ses maîtres anglo-américains. A part leur origine, rien de francophone dans leur histoire. Aujourd’hui, leur nom est étroitement associé à la French Touch qui s’exporte : « On suit un peu la voie créée par l’électronique, Air, Daft Punk. » raconte Sylvain. « Mais, précise Pedro, on se démarque d’eux parce qu’on a un style purement anglo-saxon. »
Visiblement, la maison de disques a tout de suite pensé au marché étranger quand ils les ont « signés » : « Ils pensaient pas forcément au marché français au départ », selon Sylvain. « Ils ont vu que ce serait dur. » « Mais, je trouve ça bien de montrer que nous en France, on peut faire autre chose que de la chanson française », continue Pedro. Leur album sort fin mai en Grande-Bretagne. Pour eux, c’est essentiel et symbolique : « On a déjà deux singles dans les charts », annoncent-ils comme une évidence. En revanche, ils sont conscients que la conquête discographique des Etats-Unis est une autre paire de manche : « Là-bas, c’est très compliqué, très vaste, il faut vraiment travailler un album pour qu’il décolle. »
Le Japon, Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ? Et la France là-dedans ? « Ben… , réponds Pedro soudain moins inspiré, on aimerait bien être reconnus. Ça serait bien de faire quelques dates. La prochaine étape, ce sera la France » lance t’il finalement tout fier mais peut-être moins convaincu. « Peut-être faut-il ce passage à l’étranger pour être crédible en France ? Ici, on est en concurrence avec les Anglo-saxons dans les quotas radio. On a moins de chances.»
Finalement, peu d’analyse et beaucoup de naturel dans leur démarche. Avec une passion d’ados, ils ont fait le tour du monde des charts. A Bourges, ils sont au programme d’une soirée, certes, anglo-saxonne (Divine Comedy, Muse) mais leurs chances sont-elles aussi moindres qu’ils le disent auprès d’un public tout ce qu’il y a plus français ? L’accueil que la salle leur réserve laisse penser le contraire, chacun des membres ayant apparemment des groupies présentes, Pedro en tête.
Sous des lights multicolores, vaguement psychédéliques, le groupe ne fait cependant pas dans la reconstitution historique à l’instar de Bertrand Burgalat. Bien de leur temps, le jeune quatuor, enrichi d’un cinquième larron à cheval sur une trompette et un synthé, égrène ses titres pimpants d’une façon plus convaincante que sur l’album, trop mielleux. Ils y injectent de la musique électronique fort bienvenue et lorsqu’ils attaquent leur tube Heartbeat, une partie du public fait le lien entre eux et ce titre tout de même largement diffusé l’an passé sur les ondes françaises.
Cependant, une légère lassitude s’installe, le groupe ne dégageant pas beaucoup d’émotion, jusqu’à l’envolée finale, agressive et chaotique, enfin passionnante. A Bourges, il n’y a pas de rappel, le planning des concerts étant minuté, mais le public en réclame cependant, moins rancunier que les quotas envers un groupe français totalement détourné de la vie musicale hexagonale.
Catherine Pouplain