Souad Massi
Alors que l'Algérie s'enflamme à nouveau, cette jeune artiste apparue récemment sur la scène musicale dénonce la spirale de violence qui ensanglante son pays. Arrêtez de faire la guerre... vous faites la guerre à des enfants , ces mots lancés en français cognent inexorablement contre les syllabes arabes de sa composition Bladi ( Mon pays ), comme les deux poings martelés de Souad Massi, son auteur.
Jeune, belle, femme, algérienne, libre, poète, musicienne, ses mots sont autant de raisons d’irriter la barbe des mollahs fanatiques comme la casquette élimée des militaires accros à leurs privilèges.
La passionaria Algérienne
Alors que l'Algérie s'enflamme à nouveau, cette jeune artiste apparue récemment sur la scène musicale dénonce la spirale de violence qui ensanglante son pays. Arrêtez de faire la guerre... vous faites la guerre à des enfants , ces mots lancés en français cognent inexorablement contre les syllabes arabes de sa composition Bladi ( Mon pays ), comme les deux poings martelés de Souad Massi, son auteur.
Jeune, belle, femme, algérienne, libre, poète, musicienne, ses mots sont autant de raisons d’irriter la barbe des mollahs fanatiques comme la casquette élimée des militaires accros à leurs privilèges.
A vingt-huit ans, cette jeune femme déterminée, née à Alger de parents kabyles, a choisi l’exil pour exprimer à travers son folk oriental atypique tout son mépris pour cette spirale de violence qui entretient le statu quo de la corruption. "On affame volontairement les quartiers populaires", dit-elle avec une implacable lucidité. "On les prive d’eau, ou de médicaments, pour occuper la population avec une préoccupation terre-à-terre. C’est un mode de gouvernement ", ose conclure Souad Massi. Et comment la blâmer lorsqu’on lit cette "une" si banale et pourtant impensable dans nos opulentes sociétés occidentales- du quotidien El Watan le 1er fevrier dernier : Rupture de stock de matières premières : TENSION SUR LE LAIT ! . À la radio, à la télé, si au début on laissait encore sa révolte s’exprimer, on prend désormais l’habitude de la sabrer copieusement au montage.
Pourtant, rien ne semblait prédestiner la jeune Souad, issue d’une famille de six enfants d’origine modeste dont le papa travaillait pour la compagnie des eaux, à ce combat de passionaria. Elle va tout d’abord suivre la même filière professionnelle que son père, tout en s’initiant à la guitare acoustique durant les cours du soir.
"J'avais un oncle qui jouait de la guitare, qui faisait du jazz. Et j'étais vraiment très impressionnée par sa façon de jouer. Cela m'a poussé à m'intéresser à la musique très, très jeune" reprend la jeune femme. "En Algérie, il n’y avait jamais de grands concerts, aucun groupe étranger ne venait jouer. C'était plutôt à la télé qu'on les voyait." Des films comme Woodstock, les Beatles, James Brown sont les images qui vont marquer son inconscient. Et si ses frères baignent dans le hip-hop et le funk, elle va succomber à la country et au folk.
Un ami possédait une collection de vieux disques country des années 40 et cette musique si naturelle ne tarde pas à emporter son âme. Elle s’inspire de la cow-girl de l’Alabama, Emmylou Harris. Puis ,au fil des rencontres, Souad va rejoindre un groupe de flamenco, puis fonder son propre combo-rock Atakor, tout en écrivant de très nombreux poèmes. Elle flirte avec le blues, le jazz, la soul et tant de couleurs de la musique. À des années lumières du raï, Souad impose par ses vocalises aériennes et son feeling oxygène des textes qui osent poser tout haut toutes ces questions qu’une majorité d’Algériens se contente de chuchoter.
Sa guitare en bandoulière, toujours vêtue de jean, Souad irrite ces islamistes qui la menacent. Alors elle va d’abord se réfugier en Kabylie jusqu’à ce jour de Janvier 1999 où un collectif de femmes va l’inviter à Paris pour se produire au Cabaret Sauvage dans le cadre du festival "Femmes d'Algérie" sur le thème : les femmes font aussi bouger le monde arabe. Et ce pur mélange émotionnel va faire des étincelles, son séjour d’une semaine va très largement se prolonger. Une de ses maquettes va même parvenir jusqu’à un label qui ne tarde guère à succomber à la fusion intense de Souad Massi, cette jeune femme qui ose sa révolte folk de sa voix puissante entre Joan Baez et Tracy ChapmanOn songe aussi à Camilia, la chanteuse du groupe palestinien de Jerusalem, Sabreen. En quinze jours, dans deux petits studios parisiens, avec l’aide du producteur Bob Coke ( Ben Harper), avec de nombreux instrumentistes, Souad va percuter l’orient et l’occident, ouvrir le dialogue entre la guitare rock électrique et le oud ancestral dans la chamade des percussions. Enregistré dans les conditions du "live" , son premier album Raoui ( Le conteur ) est une sublime et inédite collection de chansons multicolores, de sonets engagés contre les enragés d’Algérie et d’ailleurs, de combats pour la paix à mener et d’utopies à gagner. En arabe, en français, en anglais, ses mots se fondent pour mieux nous toucher.
Je suis un mélange , proclame-t- elle, C'est vrai que j'appartiens à une culture arabe, orientale, maghrébine, j'adore le luth, le chant arabe et en même temps je suis très influencée par la musique folk. J'ai essayé de faire un métissage. Et pour un premier coup d’essai, c’est un coup de maîtresse !
Dès les envolées acoustiques de Raoui , la première chanson qui offre son titre à l’album, Souad Massi nous fait vraiment décoller de son orientalisme si désorientant, pour paraphraser sa consœur Amina. Avec sa climatique Bladi tracée comme une histoire de Shéhérazade, de sa voix pure couchée sur oud et percus délicates, Souad nous fait plonger droit sa réalité algérienne…sa tragique réalité où même les enfants ne sont pas épargnés. Mais comme un Morning Has Broken de Cat Stevens, l’épicé Bladi est aussi et surtout une parfaite gaterie pop-folk. Bien plus rapide Amessa pulse la chamade d’un Afro-beat entre Fela et le nubien Ali Hassan Kuban, un groove chaloupé qui va droit au plexus solaire avec son texte qui fustige les corrupteurs et les corrompus dans un quotidien algérien conté de manière si pudique et pourtant si déterminée. Planant comme un tapis volant qui nous arrache à l’attraction terrestre, Tant pis pour moi , chantée en français est une fulgurante ballade sur le thème du départ et de l’exil…qui ressemble à une compo de Bob Marley telle Stir It Up ou Redemption Song . De même, Donya (La terre) s’adonne très largement au reggae de The Harder They Come de Jimmy Cliff. Au fil des chansons, Souad fait jaillir en elle cet éclectisme qui rend son style si personnel : la musique arabo-andalouse avec Hayati , l’influence de la coladera sensuelle du Cap-Vert si chère à Cesaria Evora avec Nekreh el keld, le blues rock champêtre des Notting Hilbillies de Mark Knopfler avec Awham, la country pop de Stevie Nicks et de Fleetwood Mac avec l’ensoleillée Elta Dari, le folk militant de Dylan avec Lamen , conservant toujours en arrière plan son parfum d’orient pour accommoder tous ces airs différents.
Enfin, sans doute pour nous francophones, la perle la plus brillante de ce projet, est incontestablement ce titre qui nous touche peut être encore plus parce qu’il nous parle français : J’ai pas le temps » ballade country évanescente d’une working class héroïne au sens insurgé posé par le Beatles Lennon.
J’ai plus de rêve/ j’ai plus de maison , chante Souad Massi comme John savait si bien porter l’imagination au pouvoir, comme Dylan savait vivre et triompher en roue libre , comme Woodie Guthrie et tant d’autres avant elle, cette protest chanteuse-guitariste Algérienne incarnera toujours cette lueur qui brille au fond du tunnel et qui donne la force d’aller de l’avant.
Souad Massi Raouï (Island-Universal) 2001