Une débutante nommée Barbara

En 1958-59, Barbara enregistre ses premiers disques pour Pathé Marconi en tant qu’une des interprètes les plus célèbres de la rive gauche. Chanteuse de minuit à l’Ecluse, le cabaret du quai des Grands-Augustins, elle présente un beau choix de reprises et les quelques premières chansons qu’elle a écrites. Un CD revient sur cette période mythique de la carrière de la longue dame brune.

Souvenirs de l'Ecluse

En 1958-59, Barbara enregistre ses premiers disques pour Pathé Marconi en tant qu’une des interprètes les plus célèbres de la rive gauche. Chanteuse de minuit à l’Ecluse, le cabaret du quai des Grands-Augustins, elle présente un beau choix de reprises et les quelques premières chansons qu’elle a écrites. Un CD revient sur cette période mythique de la carrière de la longue dame brune.

Le disque n’est pas seulement mémoire. Il est aussi amnésique, infidèle, léger. On ne doit donc pas prendre le disque Barbara, la chanteuse de minuit, paru il y a peu chez EMI, pour un inédit : les chansons de cet album sont déjà parues en CD, au pire dans des versions contemporaines des enregistrements proposés ici, et de manière un peu désordonnée. Mais il n’en reste pas moins que l’album La Chanteuse de minuit est un ravissement : ces enregistrements de 1958 et 1959 restituent ce qu’étaient son art et son répertoire à l’époque où elle chantait à l’Ecluse, l’étroit cabaret du quai des Grands-Augustins.

Contrairement à la légende, Barbara n’a pas été une découverte de Jacques Canetti, le tout puissant directeur artistique de Philips, qui « signa » Brel, Brassens, Gainsbourg, Béart et des dizaines d’artistes majeurs des années 50-60. Comme Juliette Gréco que Canetti alla débaucher chez Columbia, Barbara enregistrait d’abord pour Pathé Marconi, dont voici les enregistrements. Tout d’abord, son premier 45-tours et ses quatre chansons : le très montmartrois Homme en habit, chanson italienne adaptée par Delanoë, et La Joconde, délicieux croquis provocateur de Braffort, mais surtout deux chansons dont elle est l’auteur, J’ai troqué et J’ai tué l’amour. Cette dernière appartient au vaste répertoire français des chansons de fille perdue, avec des reflets de Piaf dans l’interprétation : J’ai tué l’amour/Parce que j’avais peur/Peur que lui ne me tue/A grands coups de bonheur . J’ai troqué est en revanche un petit bijou qui annonce tout Barbara : sa voix pointue et ironique, ses grandes notes circonflexes, sa manière unique de « bouler » les mots avec une désinvolture impériale, de rire au milieu d’un mot, et surtout son goût pour les personnages de femmes extrèmes, comme cette enfant de bonne famille heureuse d’être devenue fille de joie.

Le reste de d’album est constitué pour l’essentiel du répertoire de reprises qu’elle interprétait dans le célèbre cabaret des quais, entre autres parues en juin 1959 sur le 33-tours 25 cm Barbara à l’Ecluse. Lorsqu’il est sorti, ce disque comportait des applaudissement factices, ajoutés après l’enregistrement en studio, et qui donnaient l’illusion d’une soirée en public. Dans cette réédition, ils ont été gommés pour la première fois.
Comme beaucoup d’artistes de la rive gauche, Barbara puise à pleins bras dans la nostalgie de la Belle Epoque ou du réalisme de l’entre-deux-guerres : l’humour un peu leste des Amis de Monsieur de Fragson et de Maîtresse d’acteur de Xanroff ou la tendresse aigre-douce de D’elle à lui de Marinier. Dans la même veine elle chante les œuvres contemporaines mais de forme assez passéiste de Marcel Cuvelier (Veuve de guerre), Brigitte Sabouraud (Les Sirènes), Le Chanois et Besse (Un monsieur me suit dans la rue) ou Boutons dorés de Jacques Datin et Maurice Vidalin, la plus célèbre des chansons d’orphelinat du répertoire français, dont elle donne une version très personnelle, assez éloignée du glas de l’interprétation de Jean-Jacques Debout. Elle chante aussi quelques auteurs du moment : André Schlesser, le patron de l’Ecluse, lui donne Souvenance et son ordonnance toute classique, et surtout elle commence à rassembler la matière de ses futurs disques de reprises de Georges Brassens et Jacques Brel (La Femme d’Hector et sa gaieté amicale, Il nous faut regarder et ses roulements émerveillés). Et puis elle chante La Belle amour, première chanson qu’elle a composée sur un texte d’un autre, Jean Poissonnier en l’occurence.

Peu de temps après, elle va vraiment prendre son envol, commencer à écrire plus régulièrement et plus hardiment, écrire quelques-unes de ses légendes qu’elle créera à l’Ecluse avant de les enregistrer après son passage chez Philips au début des années 60, Dis quand reviendras-tu, Nantes ou Le Temps du lilas. Mais on regrette évidemment qu’elle n’ait pas à l’époque chanté devant le micro de Pathé-Marconi Chapeau bas, dont elle dira souvent que c’était la première chanson qu’elle ait écrite.

Barbara La Chanteuse de minuit (EMI) 2001