HOMMAGE A MARLEY
Vingt ans déjà que Marley le prophète s'est envolé vers d'autres cieux. A cette occasion, RFIMusique rend hommage au grand Bob.
Comment le prophète a ouvert la voie
Vingt ans déjà que Marley le prophète s'est envolé vers d'autres cieux. A cette occasion, RFIMusique rend hommage au grand Bob.
Shangaï, le 10 mai 2001 - Voilà ce que c’est, que de toujours laisser le boulot pour la dernière minute : on se retrouve en Chine a devoir tartiner sur la Jamaïque. Facile… Pas l’ombre d’un rasta à dix mille kilomètres à la ronde. Quant à la musique ambiante, elle n’évoque pas précisement le one drop cher à Bob. Ce qui prouve au moins une chose : le reggae n’est pas si universel que ça. Je vous jure que sur les rives du Huang Pu, personne ne se soucie qu’il y a 20 ans disparaissait un certain Bob Marley. Bob qui ?…
Admettons donc qu’une partie de la planète ait pu échapper aux bonnes vibrations de Trenchtown. Et intéressons-nous donc à cette immense majorité ( 1 milliard 200 millions de chinois…) de terriens qui découvrirent grâce au reggae qu’ils avaient deux pieds pour danser, et un coeur qui battait naturellement au rythme d’un certain tempo venu de la Caraïbe.
Au milieu de ces années soixante-dix qui avaient définitivement consacré le rock comme LA musique universelle, l’arrivée inopinée d’un métisse aux drôles de cheveux fut comme un coup de tonnerre. Basse en avant, rythme binaire mais décalé, le reggae de Robert Nasta Marley, fils d’un militaire anglais et d’une Jamaïcaine, allait sérieusement modifier la donne. Aidé en cela par un génial tripoteur de sons, l’Anglo-jamaïcain Chris Blackwell, Marley était parti pour, en quelques années seulement -sa carrière se limite en fait à une petite décennie- braquer tous les projecteurs sur un petit coin des Caraïbes, la Jamaïque.
Il ne s’agit pas ici de retracer la courte mais extraordinaire vie du prophète, tous vos journaux vont s’y employer dans les jours qui viennent et il existe d’excellents bouquins sur le sujet. Ce que nous aimerions réussir, en quelques lignes, c’est de montrer à quel point l’avènement du reggae et de son maître à jouer, Marley, a été un tournant capital dans les goûts musicaux de toute une génération, et comment il a amené sur un plateau toute la world music qui, sans lui, serait peut-être encore aujourd’hui dans les rayons de “musique ethnique”.
Qu’on me pardonne les ‘je’ qui vont suivre, mais il se trouve que dans ces années 70, je dirigeais un mensuel de musique africaine et antillaise, Afro-Music, et que le magazine français Rock & Folk m’avait demandé de faire une chronique régulière sur ces musiques. C’était courageux de leur part, car il est bien clair qu’ à cette époque, strictement personne dans l’Hexagone ne connaissait les stars africaines du moment qui avaient pour nom Fela Ransome Kuti, Luambo Makiadi ou Sorry Bamba. Quant à la musique antillaise, elle se limitait aux soirées de la salle Wagram, où seule la diaspora martiniquaise et guadeloupéenne venait cadencer (on ne disait pas encore zouker) au son des Grammacks, d’Experience 7 ou des Vikings.
Cette page black de Rock & Folk pouvait donc être considérée comme leur bonne action mensuelle. Jusqu’au jour où… Oui, Marley bien-sûr. L’alerte avait été donnée dès 1974 lorsque un certain Eric Clapton avait balancé le rythme dans les airs, avec I Shot The Sherif. Ce qui amena Jimmy Cliff à se faire connaître. Et, enfin, Bob Marley. Pourquoi la détonation fut-elle si forte ? Peut-être parce qu’après 20 ans d’hégémonie, le rock commencait déjà à s’essoufler. Peut-être parce que le label Island de Blackwell avait su trouver l’alchimie parfaite pour le fameux cross-over. Peut-être, tout simplement, parce que Marley était un artiste génial, avec non seulement une musique mais aussi un look et une religion, le rastafarisme.
Peu importe. Le choc fut tel que dans la brèche s’engouffrèrent d’abord tous les artistes jamaïcains, de Yellowman à Burning Spear, montrant ainsi que même si Marley était de loin le meilleur, l’île regorgeait de talents qui ne demandaient qu’à se faire connaître. On vit apparaître pour la premiere fois à Paris des magasins de disques spécialisés dans un seul genre de musique, le reggae. On s’y arrachait les fameux 45t de dub, ces instrumentaux sur lesquels on toastait et qui, vingt ans plus tard, inspireront plusieurs courants techno.
Quant à la rubrique black de Rock & Folk, elle devint du jour au lendemain une page vedette qui, avec opportunisme, mariait Dennis Brown et Papa Wemba, Steel Pulse et Henri Guedon…
Touré Kunda eut la bonne idée d’arriver sur ces entrefaites, et même si Emma, d’après les frères Touré, n’est pas du reggae mais du diambadong, il est indéniable que l’on continuait à surfer sur la vague jamaïcaine.
La suite, on la connaît. Désormais la sono mondiale est en route et rien ne l’arrêtera plus. Quant à Marley, il continue de caracoler dans les meilleures ventes de disques à travers le monde, comme si Jah voulait se faire pardonner de l’avoir rappelé trop tôt auprès de lui. Mais au fait, Bob était-il seulement le prophète ?…
Jean-Jacques Dufayet