Discret Tété
"Ecoutez Tété, il va tout casser" titrait le quotidien France Soir en décembre 2000. Six mois et un premier album plus tard, Tété s'est imposé mais en douceur : pas d'éclats dans les charts mais un vrai succès scénique.
Sur scène et sans télé, Tété s'impose
"Ecoutez Tété, il va tout casser" titrait le quotidien France Soir en décembre 2000. Six mois et un premier album plus tard, Tété s'est imposé mais en douceur : pas d'éclats dans les charts mais un vrai succès scénique.
En 1999, la sixième chaîne de télévision française diffusait un reportage sur la façon dont les maisons de disques dégotaient les futurs talents (vendeurs ?) du paysage musical hexagonal. C'est ainsi qu'on pouvait apercevoir le concert d'un jeune inconnu du nom de Tété qui semblait alors fort titiller les chasseurs de têtes es-chanteurs. Quelques mois plus tard, après avoir été convoité par petits et gros labels, c'est finalement une major, Sony Music qui signe ledit chanteur via son label Epic. Mais contrairement à d'autres jeunes talents façon Quasimodo québécois et à l'instar d'illustres aînés (Higelin, Thiéfaine, les Têtes Raides…), la promo de Tété se fait chaque jour sur scène sans recours particulier aux médias audiovisuels.
Et il s'en tire pas mal, le bougre. Celui qui avoue avoir découvert que le plus difficile quand il jouait dans les bars, était "le regards des gens", parfois condescendant, pense aujourd'hui que "quand les gens ont payé, il y a une autre responsabilité." A Bourges, le 20 avril, en première partie de Henri Salvador sous un chapiteau plein à craquer, Tété a brillamment recueilli l'assentiment d'un public qui, comme dans les bistrots quelques années plus tôt, n'était pas là spécialement pour lui.
Et finalement, ce musicien de 25 ans, plutôt zen, ne s'en porte pas plus mal. "Si j'ai l'impression d'appartenir à quelque chose, c'est à une corporation de musiciens itinérants, comme un intermittent du spectacle. Le show-biz pour moi, ça ne veut rien dire", confirme t'il au Printemps de Bourges sur un petit banc d'osier près d'un groupe de musique péruvienne qui couvre sa voix déjà timide. Itinérant, c'est le moins que l'on puisse dire. Avant ou après sa signature chez Epic, Tété n'a jamais cessé de tourner de ville en ville, de petites salles en grands théâtres. En 2000, il a donné une bonne centaine de concerts. Et c'est ça qu'il aime avant tout. La rue, le métro, furent l'école de cet artiste décontracté qui semble vivre avec recul le passage de la galère au confort que lui offre aujourd'hui sa maison de disques. "Ça s'est vraiment fait en harmonie, j'ai vraiment pu faire l'album que je voulais. Mais j'ai l'impression de faire la même chose qu'avant."
Et avant, c'était comment ? Sa petite histoire a démarré au Sénégal en 1975 avec un débarquement rapide en France, à deux ans, suite au divorce de sa maman antillaise et de son papa sénégalais. En dépit de ces origines afro-caribéennes, point d'influences flagrantes du genre dans le travail de Tété : "On ne peut pas courir après un train qu'on a raté de toute façon. J'ai mis dans cet album la musique qui m'a touché étant jeune." Il considère que ses racines sont en France et ses premières émotions musicales fleurent plutôt le jazz qu'écoutait sa maman, puis Dylan et les Beatles omniprésents dans son album qui clôt sur un très honorable Eleanor Rigby, challenge osé que Tété affronte sans complexe et une bonne connaissance de son sujet.
Celui que l'on compare sans cesse à Keziah Jones ("C'est vrai, je l'ai beaucoup écouté.") et à Ben Harper ("Là, je ne vois pas pourquoi, la guitare folk peut-être…"), a mis des années avant d'écouter les Français : "J'ai adoré les premiers albums de Mathieu Boogaerts, de M ou de Katerine. Par contre, j'ai découvert Gainsbourg il y a trois ou quatre ans et j'ai été très impressionné, comme Brel ou Brassens. Mais on n'écoutait pas ça chez moi."
L'influence de sa mère ne se limite pas aux disques qu'elle écoutait. C'est elle qui lui offre sa première guitare quand il a 15 ans. Folk, pop, soul, blues, funk, Tété confectionne une cuisine aux saveurs à la fois familières et nouvelles, aux bases totalement anglo-saxonnes mais aux textes en français. L'ado autodidacte écrit, compose, joue beaucoup au lycée, en fac et à 20 ans, il se lance sur la route, écume les bistrots de son coin de France, l'Est, Nancy, Strasbourg. Tout naturellement, il débarque à Paris vers 98 et de là, il attaque tout le pays. Petits boulots, petites salles, petits bars. Puis il forme un trio avec le batteur Alberto Malo et le bassiste Evy Moon qui l'accompagnent toujours aujourd'hui. A la tête d'un répertoire solide rôdé par la scène, le musicien ne pouvait que séduire les labels. Il a pioché un des plus gros. Et affirme que ça n'a rien changé pour lui.
Le 16 janvier, après un CD 4 titres en vente depuis novembre (Préambule) et fêté par la presse, sort L'Air de rien, un premier album dont le titre décrit bien le parcours de l'auteur. Mais le succès commercial est modeste, à peine 45.000 exemplaires s'étant écoulés en quatre mois. Tété s'en fout un peu et se réjouit de toute façon de ce qui lui arrive. Ses concerts ne cessent de faire le plein, certains de ses titres y sont même ovationnés comme Le Meilleur des mondes ou Passage Brady, perles mélodiques swinguant à souhait. Un vrai club de Tétéphiles a vu le jour comme en témoigne le forum de son site teteonline.com, petite merveille dont la foule de personnages a été dessinée par le chanteur polyvalent. Un peu comme le site d'Alain Souchon, celui de Tété est convivial et drôle ! On y privilégie les rencontres, les échanges, les ambiances de bistrot, de la rue, les extraits de concerts et beaucoup de musique. Le petit monde de Tété. Tranquille et sans prise de tête…
Non, Tété n'a pas "tout cassé" mais il est bien là, quelque part au chaud dans le paysage musical. Il assume son statut de débutant, monte sur scène avec humilité et séduit le public d'abord ainsi, avec son air perdu derrière de grandes lunettes. Aucune frime, juste un auteur-compositeur venu délivrer son univers spécifique au public sans obligation d'achat. Son chemin est définitivement hors show-biz ("Je ne suis jamais à Paris et je ne suis pas très à l'aise dans tout ce qui est mondanités, ces machins-là".) et loin de tout souci existentiel. "Je reste un flemmard. J'aime bien les branleurs" annonce t'il dans son livret.
Le 8 mai, son album est sorti au Québec et devrait emballer les petites Japonaises à la rentrée. On verra son air dégingandé sur les scènes des festivals estivaux, Eurockéennes de Belfort, Francofolies de Montréal, Festival d'été de Québec et des manifestations nippones de l'automne (Tokyo, Osaka, le Halou festival). Pas mal pour un flemmard… Pour l'heure, son visage s'affiche sur les murs du métro parisien pour annoncer son passage sur la scène du Bataclan ce soir et demain, 16 et 17 mai. En dépit de son air éberlué et de sa nonchalance, Tété suit son bonhomme de chemin sans se presser. L'air de rien.
Tété L'Air de rien (Sony/Epic) 2000