Rappel d'Air

Nouvel album

Trois ans après le triomphe de Moon Safari (un million de CD vendus) et un an après la sortie de la bande originale du film de Sofia Coppola The Virgin suicides, Air revient en force avec son véritable second album 10.000 Hz Legend. Rencontre sans modestie.

C’est dans un studio photo que Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin reçoivent les télés et les radios du monde entier pour une journée promo non-stop. En entrant dans la pièce où se déroule l’interview, Nicolas Godin entre dans le vif du sujet, un rien méprisant et provocateur : «Attends, ne me dis rien, je vais deviner les questions que tu vas nous poser : pourquoi ce titre 10.000 HZ legend ? La collaboration avec Beck ? L’album qui est plus sombre ?… ». «Je vais essayer d’être plus original !» réponds-je... Je joue mon rôle de journaliste sympa et eux celui de star pédante, tout le monde est en place, on peut y aller.

Après avoir cartonné dans le monde avec Moon Safari et The Virgin suicides, se sent-on fébrile ou inquiet à quelques jours d’une sortie mondiale ? "Non, c’est la routine ! On est des vieux routards". Hilarité générale. «Nous, on a fait notre boulot, maintenant tout ça ne nous appartient plus. Et puis aujourd’hui tu ne peux plus te placer dans un cadre national, une sortie d’album se doit d’être mondiale.» Fini le complexe français de l’artiste confiné à son territoire, vive la mondialisation. Quelques centaines de cassettes seront même en vente en Inde.

«Nous, on est musiciens plutôt que musiciens français. Surtout que la musique française n’évoque rien pour nous, elle a toujours été médiocre, à part bien sûr Gainsbourg.» Côté influence, les années 70 restent omniprésentes dans leur production, notamment les Pink Floyd période Dark side of the moon, même s’ils s’en défendent : «Pour Virgin Suicides, c’est clair mais pas pour cet album, ou alors ce n’est pas intentionnel.» Sur ce coup-là, on est pas obligé de les croire, même si les deux copains de lycée vont bien au-delà d’une simple resucée 70’s.

C’est en fait le coté psychédélique de 10 000 HZ legend qui nous renvoie à cette époque : «Psychédélisme oui mais de sens ! on s’est attelé à en distiller dans la musique et les paroles. Quand on jouait les morceaux au piano on voulait déjà que ça sonne bizarre, pas dissonant mais étrange. » A se demander ce qui se passe en studio : «Pas grand chose en fait. On est assez autarcique. Mais on suit ce qui se passe, ce que sortent les petits camarades et on ne se gêne pas pour leur piquer des idées. Souvent les musiciens ont de bonnes idées mais ils ne savent pas les développer. Nous oui ! Mais j’espère bien que l’on nous pille, nous sample et nous imite. C’est pour moi, conclut Jean-Benoît, le plus beau compliment que l’on puisse nous faire.»

"Petits cons…"

Même s’ils ont un peu la grosse tête, on est bien obligés de reconnaître que Air à définitivement marqué la musique électronique avec ses arrangements soyeux, ses mélodies imparables et son sens de l’esthétisme. S’attendaient-ils pour autant à l’accueil triomphal qu’ils ont reçu aux quatre coins de la planète ? Air toujours aussi humble : «Bien entendu, puisque c’est de qualité, Moon safari ce n’est pas de la merde. Je m’attendais même, surenchérit Nicolas, à de meilleures ventes…»
Hé les Versaillais, c’est pas un chouïa prétentieux tout ça ? : «Bien sûr. Il faut avoir de l’ambition dans ce métier. Si tu n’es pas prétentieux, t’es noyé dans la masse. Si tu ne crois pas en ton talent, vu l’antécédent de la musique française, t’es foutu. Oui, on crée un nouveau son et oui nous allons l’imposer à la télé et dans les radios. Je ne suis pas sûr que nous fassions de la qualité mais ce qui est sur c’est que c’est original.» Et bien au moins ça a le mérite d’être clair ! quoique.. «Ça, c’est notre petit jeu d’acteur que nous avons développé aux cours des interviews", calme Jean-Benoît, "On préfère passer pour des petits cons dans les entrevues plutôt que de paraître lisse. Je préfère que les gens qui nous ont vus dans les médias pensent que nous sommes vraiment des petits cons plutôt que rien. Emotionnellement c’est plus fort. A défaut d’être aimé, tu peux être détesté. C’est pas plus mal.»

Loin d’être adulés en France, c’est à l’étranger que Air est le plus reconnu : «On est connus mais pas reconnus. C’est ce qui me plait dans la musique électronique, reprend Nicolas, c’est le côté anti star-system que l’on retrouve dans la pop. Je peux me balader tranquillement en France. Ça donne un coté irréel à notre succès.»
«En fait, poursuit Jean-Benoît, notre succès à l’étranger est aussi dû à notre anglais assez nul. Ça nous donne un côté charmant, on emploie pas forcément les bons mots, du coup nos réponses ont un côté poétique lors des interviews, voire psychédélique, comme notre album… Et puis les Anglais sont très friands de pop et de choses étranges.»

Etrange et psychédélique, voilà qui définit assez bien cet ovni musical qui n’est pas sans rappeler l’autre disque important de cette année le Discovery des Daft Punk, même si à la longue le 10.000 hz Legend risque de bien mieux vieillir. On n'a pas fini de subir les « petits cons versaillais ».

Air 10.000 Hz Legend ( Virgin France / Source Records) 2001