Takfarinas

A l’âge de raison, l’élégant chanteur kabyle vient de signer une anthologie placée sous le signe du souvenir Quartier Tixeraïne. Objectif avoué de ce douzième album : retracer une aventure musicale de vingt ans établie entre Alger et Paris. Rencontre avec l'artiste.

Souvenirs, souvenirs…

A l’âge de raison, l’élégant chanteur kabyle vient de signer une anthologie placée sous le signe du souvenir Quartier Tixeraïne. Objectif avoué de ce douzième album : retracer une aventure musicale de vingt ans établie entre Alger et Paris. Rencontre avec l'artiste.

Le titre de votre anthologie fait référence au quartier kabyle d’Alger situé sur les hauteurs. Pourquoi ce renvoi à Tixeraïne pour votre nouvel album ?
Tout d’abord parce que je suis né dans ce quartier qui s’appelait Tixeraïne. Donc c’est tout à fait normal que je fasse un clin d’œil à mon faubourg. Je suis parti depuis plus de vingt ans de là-bas et c’est dans ces ruelles que j’ai fais mes premiers pas d’artiste. J’ai commencé à chanter dès l’âge de 7 ans, c’était donc une manière de rendre hommage à ce public de la première heure qui m’a suivi partout.

Est-ce donc un album bilan ou souvenir ?
Bilan, non ! Plutôt souvenir. Sur les 14 titres de ce best of, mis à part deux nouveautés, j’ai remixé 12 titres dans une couleur plus actuelle. C’est une façon, pour moi, de proposer à mon public un éventail de mon répertoire. La plupart des morceaux que j’ai enregistrés depuis une vingtaine d’années ne sont plus disponibles car ils ont été gravés sur cassettes et distribués à Barbès, ce quartier populaire parisien où la communauté maghrébine fait ses courses. C’est pourquoi, j’ai voulu rééditer mes meilleurs succès pour que les gens me trouvent dans les bacs des grands distributeurs de disques.

Vous chantez en amazigh, la langue berbère, pour aborder des thèmes tels que l’amour, l’espoir, la déchirure… Il y a beaucoup de nostalgie dans vos textes et en même temps de la joie. Comment se fait l’équilibre entre poésie et fête ?
Cette poésie festive reflète la vie. Et j’essaie de chanter la vie avec ses rires et ses pleurs. En un mot, les sentiments humains. Dans l’âme de chacun, il y a aussi la part de rêve qui, chez moi, est très importante. C’est pour cela que je suis dans la musique car cet art a un côté magique. Quand je travaille, je me mets à rêver et même quand je suis sur scène devant le public, je pars avec mes chansons. Car elles me transportent ailleurs, dans des souvenirs d’enfance mais aussi dans des visions de futur. Vous savez, je rêve les yeux ouverts. C’est-à-dire que mon esprit est dans le présent : je rêve de paix, qu’un jour, nous vivrons sur une planète sans frontières, sans fléau. Des sujets comme le sida, par exemple, me sensibilisent beaucoup.

Côté musique, vous vous positionnez comme un rénovateur de la tradition kabyle avec votre genre appelé Yal music. En fait, il s’agit d’un style bien à vous ou se croisent chaâbi algérois, funk, rock, reggae et même rap. Comment cohabitent toutes ses composantes ?
A la base, il y a la Yal music, c’est notre identité berbère depuis la nuit des temps. Chez nous, tous les Kabyles qui chantent «yal…lalala, yal…lalala» dans les mariages ou les fêtes coutumières, font de la Yal music sans le savoir ! C’est comme cela qu’est né tout simplement le concept Yal. Le mot même signifie «chaque». A partir de cette recette, je fais des mélanges en ajoutant des épices d’aujourd’hui pour donner un peu le goût du monde d’aujourd’hui. Mais toujours dans le bain Yal. Par exemple, le titre Anef Imime qui ouvre l’album, est une combinaison Yal-rap. Je l’ai enregistré en duo avec le rappeur Farid Gaya et c’est une première d’entendre du rap en langue berbère.

Ce douzième enregistrement est principalement un condensé de plus de vingt ans de carrière. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette aventure partie d’Alger jusqu’à Paris ?
Tout d’abord, il y a eu la première décennie quand je suis arrivé en 1979 jusqu’à 1990. C’était l’époque entre Alger et la France, c’est-à-dire la France algérienne, celle de l’arrondissement de Barbès, à Paris. Durant ses années, j’étais un peu assis entre deux chaises. Je voulais à tout prix enregistrer mon premier disque à Paris car à Alger il n’y avait quasiment pas de studio professionnel. Je me souviens, quand j’ai commencé à travailler ma voix dans les couloirs du métro parisien ou dans les caves des hôtels au deuxième ou troisième sous-sol (rires). Ce sont des souvenirs magnifiques car j’apprenais vraiment le métier. C’est seulement à partir de 1990, que les choses ont réellement changé. J’ai commencé à intégrer le circuit international, à me positionner dans ce carrefour des musiques du monde que représentait la capitale française. Dans ce parcours en deux étapes, il y a eu aussi un moment capital qui me reste en mémoire. Il s’agit de mon passage sur la scène de l’Olympia, cette salle mythique. Là, j’ai compris que j’avais enfin signé mon passeport européen en musique.

Comment expliquez-vous que la musique kabyle soit restée plus communautaire, contrairement à son pendant arabe, le raï, qui aujourd’hui touche un public plus large ?
Il faut d’abord rappeler, que si le raï s’est davantage imposé que la musique kabyle, c’est parce que, à une certaine époque, le pouvoir en place en Algérie a fait sa promotion à coup de Dinars ! Résultat, le raï a avancé à grands pas. Mais, avant même que l’on entende parler des cheb, n’oublions pas que le premier tube international de la musique maghrébine est dû à un Kabyle, mon compatriote Idir. Donc, c’est une question d’interprétation de ses deux courants musicaux. Et puis, s’il y a un décalage, c’est aussi parce que les artistes berbères sont moins nombreux sur la scène internationale que les chanteurs de raï. Tout simplement. En ce qui me concerne, j’essaie d’être un trait d’union entre les communautés kabyles et arabes en jouant une musique fédératrice.

Votre tournée française, en ce moment, est intitulée Le tour du quartier. Que signifie ce concept ?
La tournée des quartiers rappelle bien sûr le titre de mon album mais surtout c’est une volonté d’être plus près des gens. C’est pourquoi, je me produis uniquement dans des petites salles de 300 à 400 places qui sont à dimension humaine. Cela crée un rapport plus chaleureux entre le parterre et moi. C’est important d’être en contact direct avec les spectateurs. D’autant que mon public est familial. Composé aussi bien d’enfants, de parents que de grands-parents. Ça va de 5 ans à 70 ans. C’est comme à Tixeraïne, à l’époque où les gamins et les vieux m’écoutaient chanter dans les rues…

Takfarinas Quartier Tixeraïne (BMG) 2001