Karim Ziad

Le Festival Gnaoua/Musiques du monde qui se tient à Essaouira jusqu’à ce soir, est le lieu de rencontres idéal pour des musiciens venus d’horizons différents. Karim Ziad, percussionniste, batteur, chanteur et compositeur est un des directeurs artistiques de cette manifestation. Rencontre.

Rencontre avec un amateur de musique gnaoua

Le Festival Gnaoua/Musiques du monde qui se tient à Essaouira jusqu’à ce soir, est le lieu de rencontres idéal pour des musiciens venus d’horizons différents. Karim Ziad, percussionniste, batteur, chanteur et compositeur est un des directeurs artistiques de cette manifestation. Rencontre.

Il ne faut pas être trop matinal à Essaouira. Les nuits sont longues et les concerts durent très tard dans la nuit. C’est donc vers midi que nous avons donné rendez-vous à Karim Ziad, à peine réveillé, la voix légèrement cassée mais installé devant un copieux petit-déjeuner. Entretien.

Vous avez écrit : « Que l’on soit du Maroc, de Tunisie, d’Algérie de Mauritanie, notre mère à tous, c’est Ifrikya, la mère de tous les peuples que l’on soit Indien ou Arabe. Bienvenue dans la demeure, savoure un verre de lait et prends quelques sucreries ».
En France, on a tendance à penser que les Marocains, les Algériens et tous les Maghrébins sont frères mais c’est faux, car il y a des problèmes d’intolérance entre nous. Je voulais en parler car c’est quand même un sujet tabou. J’ai donc écrit un morceau là-dessus pour dénoncer ce fameux racisme, entre guillemets.

Que faites-vous ici à Essaouira ?
Je suis le directeur artistique de la deuxième scène, celle des jeunes musiciens. Je suis aussi le batteur de Cheb Mami qui joue dimanche sur la grande scène. J’ai aussi joué avec Tyour Gnawa, j’étais invité par le maâlem Abdeslam Alikane, le directeur artistique des Gnaoua sur Essaouira.

J’imagine qu’on ne travaille pas de la même façon avec Mami comme avec les Gnaoua.
C’est clair. Avec Mami, c’est une approche plus moderne, vu que la musique est arrangée par des Américains. Avec les Gnaoua, ce n’est pas du tout arrangé ! C’est prendre les choses comme elles viennent. C’est assez improvisé.

Pour les Européens quand on parle de la musique du Maghreb, on a un peu tendance à ne penser qu’au raï. Avec l’album (*) que vous avez enregistré en début d’année et avec ce que vous faites ici, vous avez envie de montrer autre chose ?
Exactement, on a tendance à assimiler le raï au Maghreb alors que c’est faux. Par exemple dans l’Algérois, le raï est arrivé il n’y a que quelques années. Avant personne n’écoutait du raï et ce n’était quand même pas bien vu par rapport au contenu des textes. Rappelons que le raï vient d’Oran.

Quelle est votre perception de la culture gnaoua au Maroc en tant qu’Algérien ?
C’est une culture qui a été interdite à une certaine époque et maintenant qui revient très fort. Elle est connue comme une culture sacrée mais elle devient de plus en plus profane.

Ce qui permet de voir les Gnaoua sur scène. Ils ne sont pas en train d’effectuer un rituel…
Ce ne sont pas des choses que l’on pourra voir en Algérie par exemple. Les Gnaoua algériens sont beaucoup plus fermés. Ils sont beaucoup plus noirs. Il n’y a pas eu de mariages Blancs/Noirs. Il n’y a pas eu d’échanges, de métissage. Les Gnaoua marocains ont évolué, ont su partager leur art, fusionner avec d’autres artistes. En Algérie, moi qui suis blanc, c’est difficile. Heureusement que je suis algérien sinon, je n’aurai pas pu les rencontrer. Les Gnaoua marocains ont une longueur d’avance.

Nous sommes ici avec le maâlem Abdeslam Alikane, comment se passent les échanges avec les musiciens qui ne sont pas marocains ?
Il a joué avec des gens ici à Essaouira et parfois, il n’a pas du tout aimé ! Certains musiciens ne rentrent pas dans le groove gnaoua. La mesure gnaoua, ce n’est pas du binaire ou du ternaire, c’est entre les deux. Quand on n’écoute pas assez le rythme et quand on ne le comprend pas, ça casse l’ambiance. J’ai vu des musiciens dans le monde essayer de jouer avec des Gnaoua. Ça peut être très bien comme très mauvais.

Est-ce que le fait de mettre sur scène une musique destinée à des rites, ne l’appauvrit pas un peu ?
En tout cas, voir une lila dans un festival serait complètement déplacé. La lila reste le rituel des Gnaoua. Ce qu’on voit au Festival, ce n’est que leur musique. Le but du jeu n’est pas de montrer les rituels et les Gnaoua n’aiment pas ça non plus. Il y a un côté show-biz quand ils chantent, dansent, se donnent en spectacle mais ils n’aiment pas être vus dans leur lila, dans leur intimité.

Avez-vous déjà assisté à un rituel de possession ?
Oui. C’est long. Il faut vraiment aimer la musique gnaoua. Mais il y a un côté voyeur qui me gène. Je prends plaisir à la lila quand je suis par exemple avec le maâlem et que je tiens les crotales. Voir les gens entrer en transe peut être gênant. C’est très intime.

Vous est-il déjà arrivé d’entrer en transe ?
Non. C’est arrivé à tous les membres de ma famille. Je pense que les musiciens ont du mal à se lâcher car ce sont eux qui contrôlent un peu la transe.

Peut-on enseigner le b.a.ba du chant gnaoua ?
Avant d’accéder au chant, il y a une grande période d’initiation. Ce n’est pas une mince histoire. Nous, tous les jeunes musiciens maghrébins, on adore cette musique mais nous n’avons pas la stature d’un maâlem.

Y a t’il des femmes chez les gnaoua ?
Elles ne peuvent que jouer du tambour ou des crotales, mais chanter ou jouer du guenbri, non.

Karim Ziad Ifrikya (Act/Night and day) 2001

Propos recueillis par Laurence Aloir
Photos : Valérie Passelègue