Le tour de M

Dans la foulée de son album emblématique Je dis M, la tournée de M(athieu) Chédid a sillonné les routes de l'Hexagone durant plus d'une année. Succombant à la pression des fans, il publie aujourd'hui ce double CD capturé en public comme un vaste roman-photo sonique Le tour de M, preuve que, décidément, ce M-là n'a pas fini de nous jouer ses tours !

Sortie de l'album live

Dans la foulée de son album emblématique Je dis M, la tournée de M(athieu) Chédid a sillonné les routes de l'Hexagone durant plus d'une année. Succombant à la pression des fans, il publie aujourd'hui ce double CD capturé en public comme un vaste roman-photo sonique Le tour de M, preuve que, décidément, ce M-là n'a pas fini de nous jouer ses tours !

Aux répétitions des dernières Victoires de la Musique, M ne savait pas encore qu'il allait triompher contre tant de vétérans, mais il avait de toutes façons, exigé que la grosse-caisse de la batterie de son batteur soit remplie à ras bord… de friandises multicolores d'une marque bien précise ! La folie douce de M ne fait de mal à personne… Au contraire ! Son excentricité a percuté nos murs du son perso, atomisant au passage la frontière entre rock, funk et chanson pour mieux oxygéner nos tympans.

Tu dis souvent que M est un personnage… En fait, c'est dix ou cent personnages au fil de ton imagination, c'est une multi schizophrénie récidiviste !
C'est un masque, comme des lunettes noires, pour être encore plus moi-même en ôtant mes complexes et qui me permet d'oser tout ce que je n'oserais jamais dans la vie : jouer à ce drôle de jeu de rôles. Je peux ainsi me couler dans la peau d'un macho désuet et juste après dans celle d'un chanteur de charme ou d'un funkeur et d'un technoman ; c'est un permis pour s'amuser, comme James Bond peut avoir le sien pour tuer ! Le plus souvent, c'est mon inconscient qui s'exprime dans mes chansons. Or je sais que c'est ce qui nous échappe qui intéresse les gens, et non pas ce que l'on maîtrise. Je fais beaucoup plus confiance à l'instinct qu'à l'analyse.

D'où l'idée de publier un album live en mettant un point d'honneur à ne pas retravailler une seule chanson en studio comme c'est le cas pour l'écrasante majorité de tous ces CD dit "en public"…
Les concerts sont ma promotion la plus efficace, si l'on peut dire… Et la moindre des choses pour tous ces gens qui me le demandaient à la sortie de scène, c'était de publier ce live. Quant à ce refus de retoucher les chansons en studio, je crois qu'en tant que public, on est les premiers à aimer quand cela dérape, quand cela joue, mais avec une fragilité, quand on a la sensation des concerts, ce moment où tu es vraiment sur un fil. Pour moi, cet album c'est comme un pirate, mais avec le bon son ! Car souvent les live les mieux fichus ce sont les pirates, pas les officiels. Ou alors après tu as les légendaires Hendrix, Bob Marley où là c'est effectivement bluffant.

Tu aurais été décidément très à l'aise dans les années 70, vu ton aversion des couleurs uniformes dans la musique ?
Avant tout, il faut des chansons et qu'à priori elles soient bonnes, qu'elles plaisent aux gens. Et s'il y a la chanson, qu'elle soit reggae, techno, hard-core, rap ou ce que tu veux, si la chanson existe, tout passe. Et en même temps même si je manque encore de recul je n'ai pas le sentiment très honnêtement de faire des chansons imparables, j'ai plutôt l'impression d'avoir créé un univers, un état d'esprit avec cette façon de chanter très décalée, ce look qui effrayait la planète entière. Car chacun pouvait y aller de son analogie : c'est le diablotin, c'est le p'tit chat, c'est le nounours, c'est le hibou, c'est le personnage de BD, c'est le super héros machin…

En même temps, tu as réussi à transformer le concept négatif de M - M le maudit tout de même ! - en quelque chose de positif et d'amour !
C'est vrai, mais quelque part dans M le maudit tu as une contradiction car tu as amour/maudit or "m" c'est avant tout la lettre de l'amour. Si l'on observe les lettres de l'alphabet, s'il y a bien des lettres qui symbolisent des choses et des choses belles, c'est bien le "m". Un symbole, une force… très honnêtement, moi je parle souvent d'actes gratuits, d'actes instinctifs ; quand j'ai décidé que j'allais m'appeler M, pas une seconde je m'étais dit, tiens, il y a de l'amour dedans, c'est venu bien après.

Mais par rapport à la scène, cet amour du live c'est aussi parce que tu as grandi dedans. Tu devais déjà être sur les planches dans le ventre de ta mère…
C'est bien possible. Dès le départ, je me retrouvais en studio avec mon père ou sur scène ou même avec les amis de mon père. Car j'ai eu tout de même beaucoup de chance. Dans les proches de ma famille, il y a les Dutronc, les Souchon, Gainsbourg que j'ai croisé, des gens forts, des vrais caractères de la chanson française. Ces gens m'ont sûrement influencé inconsciemment.
La vraie chance que j'ai en tant que fils de…, c'est que comme la plupart des fils d'artistes, tu démythifies déjà les paillettes et le reste. Toi, tu nais dans l'envers du décor. Ce n'est pas que tu ne sois pas admiratif ou respectueux, mais tu n'es pas bluffé et c'est déjà un atout. Et l'autre truc capital, c'est que j'ai la chance d'avoir en face de moi, que ce soit ma grand-mère (NDLR : Andrée Chédid) ou mon père et puis les amis de mes parents, des exemples de réussite, des gens qui ont rêvé à quelque chose et qui ont réussi à le concrétiser…

Et puis, tu as la filiation musicale, je présume que ton incroyable mélange de style est aussi directement issu de la collection de disques familiale… On pense notamment à Hendrix pour ce style de guitares débraillées qui viennent énerver le propos de ta musique…
Lorsque j'ai commencé la guitare vers 13 ans, là c'est moi qui me suis un peu monté ma culture… Hendrix ou Led Zep qu'ils n'écoutaient pas. Mon amie la guitare m'a influencé beaucoup aussi.

C'est parfois un instrument tueur entre tes mains, une vraie machine à déchirer le son ?
Oui, le "machine-gun" ! J'ai eu cette fascination pour les guitaristes, c'est un truc de l'enfance, cette image du guitar hero. Ces musiciens qui jouaient comme des dieux, me faisaient vraiment rêver. Pour moi, la guitare était une arme, comme l'épée des chevaliers de la table ronde ; mais j'ai surtout focalisé sur Hendrix au point d'apprendre la guitare avec lui ! J'écoutais ses chansons, ses solos de guitare et je restais parfois une semaine sur trois notes.

Il y a pourtant un côté qui n'apparaît pas dans ta musique - et c'est étonnant par rapport à tes origines familiales -, c'est le côté oriental ?
J'ai voulu me démarquer de mes racines mais en même temps en les respectant ; je suis le premier à parler de ma grand-mère, de mon père, de ma sœur… Le côté oriental, il va être plus dans l'approche, dans le regard que dans le style musical. Quand je lis les livres de ma grand-mère elle a vraiment cette sensibilité orientale ancrée en elle, car elle a vraiment vécu là-bas.

Mais aujourd'hui avec Taha, Khaled ou Faudel, l'Orient ne fait-il pas aussi totalement partie intégrante de notre culture française ?
Au tout début de Faudel, j'ai fait des chansons pour lui. J'ai participé à deux titres de son premier album. Mais bien avant ce disque, j'avais joué très souvent avec lui. Et j'ai vécu un peu l'Orient à travers lui. Je crois que c'est peut-être par respect ou par ignorance de cette culture. Peut-être qu'à travers mon côté "sans complexe" il y a aussi une pudeur vachement forte. En même temps, je suis jeune, cela viendra peut-être plus tard. Je me laisse encore plein de cartes devant moi.

Le tour de M (Delabel/Virgin France) 2001