Nougaro débarque aux Champs
Avant de faire swinguer les festivals d'été, Claude Nougaro a fait une double escale dans le prestigieux Théâtre des Champs-Elysées, antre du classique, qui se laisse parfois approcher par la chanson (William Sheller, Julien Clerc, autrefois Michel Berger). Deux soirées à la hauteur d'un répertoire remarquable.
Chaudes soirées parisienne pour l'artiste du Sud
Avant de faire swinguer les festivals d'été, Claude Nougaro a fait une double escale dans le prestigieux Théâtre des Champs-Elysées, antre du classique, qui se laisse parfois approcher par la chanson (William Sheller, Julien Clerc, autrefois Michel Berger). Deux soirées à la hauteur d'un répertoire remarquable.
Un Théâtre
Depuis septembre 2000, Nougaro est sur la route. Suite au succès de son dernier album Embarquement immédiat (EMI), le chanteur de 71 ans a entamé une tournée d'une centaine d'escales dont près de 70 ont déjà été visitées. Celui qui vers 1995 a failli sombrer, entraîné par un cœur fatigué de mille excès, est aujourd'hui debout sur ses deux jambes, solide comme un roc d'émotions qu'il a toujours été. Magie de la musique, force d'un homme amoureux.
Généralement dédié aux partitions de Monteverdi ou de Wagner, le Théâtre des Champs-Élysées n'est en rien une salle incongrue pour un Nougaro dont le père était chanteur lyrique et la mère pianiste. Ici, dans ce théâtre de 1913, monument historique depuis 1957, on est loin de la vastitude anonyme du Palais des Congrès parisien où le chanteur s'est illustré plusieurs soirs en octobre dernier. Non, dans ce théâtre, tout est chaleur. Et le premier soir, le 26, le mot n'est pas à employer au sens figuré… La chaleur étouffante de Paris baigne la salle dans une atmosphère vite moite et insoutenable, aérée par d'innombrables éventails. Est-ce cette chape de plomb, mais le concert mettra du temps à trouver son énergie.
Un homme
En chemise bleu électrique, Claude Nougaro entre en scène à cour, la démarche lourde et animale mais le visage souriant. Autour de lui sont déjà installées ses musiciens, huit en tout, menés par Yvan Cassar au piano ("Mon compagnon de route depuis trois ans"), jeune arrangeur, compositeur, chef d'orchestre dans le vent (Hallyday, Obispo, Farmer, Aznavour, Lemay…). Après les Michel Legrand, Maurice Vander ou Eddy Louiss, c'est à lui désormais de veiller sur les orchestrations de ce répertoire.
"Là où Nijinsky a bondi avec le Sacre du Printemps, je vais vous faire le Sacre de l'été", annonce le chanteur avant d'introduire le spectacle par quelques propos sur son histoire, sa naissance, ses parents, propos tout naturellement prolongés par la première chanson, Mademoiselle maman.
Après quelques titres récents (Anna, la Chienne), les premières notes du Coq et la pendule, chef-d'œuvre d'un catalogue (ce soir très années 60) qui en compte tant, sont accueillies par des applaudissements plus soutenus. On rentre un peu plus dans le concert qui pourtant tarde à dégager cette nervosité propre aux spectacles de celui que l'on a souvent surnommé "le petit taureau", artiste offensif, semblant toujours penché en avant tel un boxeur. Les arrangements savants de Cassar sont à la fois beaux et étouffants pour des classiques auxquels un nouvel habillage ne sied pas toujours. Exemple, Bidonville ancré dans sa version brésilienne et là, revu à l'africaine. Bof... C'est en revanche une réussite pour la plupart des autres titres qui chacun donne lieu à une approche différente, le Brésil (Un été), le tango, la musique celtique (l'Ile d'Hélène), l'Afrique à nouveau mais sans surprise par rapport à l'album (Langue de bois, Déjeuner sur l'herbe).
Un musicien
Nougaro aime les musiques, les sons d'ailleurs, les émotions du lointain. Son spectacle est pour le moins un voyage auditif. Mais le dénominateur commun demeure le jazz excellemment servi par un groupe de choix (Eric Chevalier aux claviers et orgues Hammond, Daniel Zimmerman au trombone, Nicolas Giraud à la trompette, Stéphane Guillaume au sax, Denis Benarrosh à la batterie, Nicolas Montazaud aux percus et Rémi Vignolo à la contrebasse). Formation jazz s'il en est, modulable à souhait selon les titres. D'ailleurs, comme dans n'importe quel club du genre, le public applaudit les fréquents solos.
Du jazz, il y en a de toutes les époques : années 50 façon Ascenseur pour l'Echafaud (Le Cinéma), très Sinatra (Jet Set), années 30 (Armstrong) ou Dixieland. Il est offensif (Sing Sing, Quatre boules de cuir, Anna) ou romantique (Dansez sur moi). Enfin ce soir, le titre A bout de Souffle (Blue Rondo à la Turk), sur un thème de Dave Brubeck, prend tout son sens en épuisant son interprète, obligé d'abandonner puis de reprendre un texte se devant d'être débité avec force célérité. Un cœur à épargner, une température de 30° et 71 printemps ne favorisent plus un tel exercice duquel il vient tout de même à bout, sur un tempo ralenti.
Un poète
Enfin, bien sûr Nougaro, c'est la poésie, "un mot bien embarrassant quand on fait de la variété" et qu'il a pourtant tant réussi à épouser au cours d'une carrière de premier choix, toujours loin d'un quelconque souci de jeunisme ou d'une tentation de modernisme mal placé. La poésie, ce mardi soir, est dans Toulouse, mélodie magique et texte bouleversant même quand on vient de Brest. De plus, l'orchestration dramatisante lui donne un ton très intense.
Trempé jusqu'aux os, Nougaro revient pour un rappel de quatre titres puis disparaît après avoir dit un petit texte étonnant, un peu trivial, un peu théâtral autour d'Adam et Eve. Décortiquant chaque syllabe, presque chaque lettre de chaque mot, le chanteur présage ainsi de ses projets futurs, un spectacle de textes, a capella, juste lui et sa voix. Voix qui, c'est essentiel de le dire, est décidément magnifique quand elle chante, insoumise à la fatigue du corps, pénétrante et si juste.