Lavilliers

A l’image de l’Or des fous, le titre qui ouvre son dernier album, Arrêt sur image, les douze nouvelles chansons de Lavilliers témoignent d’un esprit apaisé. Un disque certes empreint de violence (Délinquance, L’empire du milieu, ...) mais d’une douce violence. "Je chante gentiment maintenant, avec retenue" nous explique l’ancienne terreur des rings de boxe et des salles de concerts.

L'orpailleur de mélodies

A l’image de l’Or des fous, le titre qui ouvre son dernier album, Arrêt sur image, les douze nouvelles chansons de Lavilliers témoignent d’un esprit apaisé. Un disque certes empreint de violence (Délinquance, L’empire du milieu, ...) mais d’une douce violence. "Je chante gentiment maintenant, avec retenue" nous explique l’ancienne terreur des rings de boxe et des salles de concerts.

Il promène sa silhouette athlétique de boxeur droit comme un "i" sur les quais du port de Boulogne-sur-Mer. Les techniciens et assistants ajustent l’objectif, approvisionnent la caméra 35 mm et, après un léger coup de maquillage, le tournage du nouveau clip de Lavilliers peut reprendre. Assez content notre "nanard" national de se changer les idées dans les embruns de la mer du Nord. Le décor d’une vieille usine crasseuse colle parfaitement à son premier single, Les Mains d’or. Fable très proche d’une réalité pas si éloignée où les grands pontes de la finance et de l’industrie délocalisent, licencient, dégraissent... bref, allègent leurs usines de quelques milliers d’ouvriers, de manufacturiers pour gagner trois points de bénéfice au Cac 40 ou au Dow Jones.

"J’voudrais travailler / travailler encore / forger l’acier rouge avec mes mains d’or". Le refrain, à peine troublé par le cri des mouettes, résonne sous les toits de tôle des entrepôts des docks. Accordéon, guitare et violon tzigane. La mélodie est plus nostalgique que révoltée. "La résignation dans ces circonstances, ce doit être le premier stade des ouvriers. On est plus résigné que révolté dans un premier temps. Les gens sont déboussolés, groggy comme s’ils avaient pris une droite de plein fouet. Et après seulement vient la révolte." explique le chanteur qui pendant trois ans fut lui-même tourneur sur métaux dans une usine stéphanoise. "Cette chanson traite de ceux qui bossent depuis vingt ans dans la même usine et à qui un jour on dit : "fusion", "mutation" et qui se retrouvent, sans très bien comprendre pourquoi, licenciés économiques. Ils n’ont plus l’âge de se reconvertir et ils avaient l’impression qu’on les respecterait un peu plus. C’est une chanson sur la dignité humaine et le droit au travail" déclare Lavilliers, une flamme vindicative au fond de sa pupille, toujours aussi bleue.

"C’est Christophe Malavoy qui joue le rôle du personnage. J’aime bien son jeu, il a la maturité, la gueule, l’âge du personnage. Je trouve qu’il ne fait pas trop rustique. Ce n’est pas la bête humaine, ce n’est pas la caricature de l’ouvrier." Les terrils du nord, les cheminées des aciéries, les jardins ouvriers qui bordent ces décors silencieux rappellent évidemment beaucoup de choses au chanteur qui n’a pourtant pas décidé pour le tournage de cette chanson très personnelle de faire son chemin de Damas dans le Forez : "J’ai choisi cet endroit car c’est un peu mon histoire. A un moment donné, j’ai eu le choix dans ma vie, soit entre devenir ouvrier ou partir en bateau et me tirer loin. Et c’est pour cela que je tenais à avoir la présence de la mer dans ce clip comme dans l’album d’ailleurs. La mer en tant qu’élément, danger, voyage, rêve. Une sorte de prêtresse vaudou".

Tandis qu’il se rend sur l’aire désaffectée des vieux over-crafts qui menaient les touristes de Boulogne en Angleterre, Bernard Lavilliers repense à la chanson de Prévert et Kosma Les Feuilles mortes dont il a fait une reprise aussi osée que réussie en salsa, façon Yuri Buenaventura. "C’est une salsa traditionnelle, mais avec des arrangements de cuivres plus proches du jazz new-yorkais que de l’influence cubaine. Je trouvais pas mal de reprendre cette chanson d'amour car il n’y en a pas tant que ça dans mon répertoire" dit-il en riant. "Et celle-ci, avec cette image de la mer qui efface sur le sable les pas des amants désunis, je trouve que c’est la plus belle image de la chanson."

Nostalgie, nostalgie aussi avec l’Empire du milieu, un rock lent et ironique où Lavilliers l’ancien voyou, compère de certains malfrats, se moque de lui-même et de ce temps qu’il dit révolu. "C’est une mise au point. La fin d’une époque que je raconte. Mais, il faut la prendre au deuxième, voire au troisième degré cette chanson car je me moque d’une époque que vous ne connaîtrez pas. J’y ai connu des gens qui n’étaient plus bandits mais qui restaient imprégnés de ce milieu, de cet argot, de cette verve : Auguste Le Breton, Beau Torse, tous ces "Messieurs". J’ai connu des soirées extraordinaires, dignes des Tontons flingueurs !"

Assagi donc le fauve stéphanois. Mais toujours, aussi pertinent dans ses choix musicaux où le retour vers le Brésil et ses musiques est sensible. Parti de Fortaleza au Nord du Brésil, il a mis deux ans entre tournée et pause musicale pour fixer les mélodies de cet Arrêt sur Image, y délivrant quelques jolis clichés qui figureront en bonne place dans la discothèque des fidèles.

Arrêt sur image (Barclay / Universal)