Solidays
Sensibiliser la jeunesse d'une grande cité des pays du Nord, comme Paris sur le sida, n'est pas chose aisée. A moins d'utiliser des arguments de taille : la musique en est un. Et Solidarité Sida s'en est servi ce week-end avec bonheur, à l'occasion de son festival annuel à l'hippodrome de Longchamp.
Une affaire qui roule
Sensibiliser la jeunesse d'une grande cité des pays du Nord, comme Paris sur le sida, n'est pas chose aisée. A moins d'utiliser des arguments de taille : la musique en est un. Et Solidarité Sida s'en est servi ce week-end avec bonheur, à l'occasion de son festival annuel à l'hippodrome de Longchamp.
Près de cent mille personnes se sont déplacées pour ce rassemblement parisien. Solidays sur les deux jours a généré un million de francs de bénéfices, avec une programmation éclectique réunissant une quarantaine d'artistes et deux cent musiciens au total (Iggy Pop, Les Têtes Raides, Matmatah, Mahotella Queens, ONB...) Les Rita Mitsouko ne sont pas venus. Ils ont été remplacés par la Ruda Salska. Le temps a eu ses humeurs de juillet. Vent, pluie et gadoue... Mais la chance a tourné du bon côté pour les heureux organisateurs de l’ événement. Solidays risque sans doute de devenir un rendez-vous incontournable des prochaines années, si toutefois la dynamique garde son esprit d'origine.
Sensibiliser sur une noble cause, non pas en démocratisant simplement la capote, mais en tenant aussi un discours réaliste qui rappelle que le reste du monde est en train de crever lentement, faute de moyens. "90% des médicaments pour soigner le sida sont dans l'hémisphère nord, 90% des malades se trouvent dans l'hémisphère sud. En Afrique, on comptabilise 25 millions de malades. Seuls 10.000 d'entre eux ont accès aux soins. Nous sommes pessimistes. Et Solidays est une pièce destinée à jouer sur les décisions prises par les chefs d'Etat en matière de santé. Nous allons être en campagne jusqu'à la fin novembre et nous entendons faire en sorte que nos préoccupations soient prises en compte lors de la prochaine journée mondiale de lutte contre le sida" explique Luc Barruet, patron fondateur de Solidarité Sida, l'association qui est à l'origine du festival.
Réapprendre les principes du combat humanitaire face au sida : voilà ce qui a mobilisé le millier de bénévoles sur le site de Longchamp ce week-end. Redorer le blason de la notion de solidarité auprès de la jeunesse [20-25 ans] d’une cité urbaine du Nord, où les gens ont plutôt tendance à se refermer sur leur quotidien. Quoi de mieux que la musique pour redonner un sens à une valeur perdue ou essoufflée à l'heure du tout mercantile ? Luc Barruet et sa bande, ont sollicité le monde des artistes, qui a beaucoup été éprouvé -on le sait- par cette maladie, pour porter la dynamique Solidays : ils y ont répondu vivement.
La première édition avait remporté un vif succès en 1999. La seconde, suite à une mauvaise météo, s'était mal goupillée. En effet, sans la garantie d'un bon contrat d'assurance, l'affaire aurait pu mal tourner. Il s'agissait de rembourser les spectateurs pour la journée annulée du dimanche 09 juillet 2000. Vendredi dernier, les organisateurs craignaient de devoir subir une nouvelle fois les humeurs du temps. A deux heures du mat. ce soir-là, Paris se laisser écraser par une pluie torrentielle. Mais les bonnes intentions -on peut le croire- font toujours les plus belles victoires. Le lendemain, à l'ouverture du Solidays 2001, la météo s'est assagie, même si par moment elle donnait l'impression de vouloir jouer les troubles fêtes. Certes, il y a eu quelques gouttes indésirables. Mais un peu de gadoue n'a jamais tué personne...
Pour le coup, Solidays a été un événement sans pareil. La solidarité avec les pays pauvres a pu faire son chemin tranquillement dans les esprits. Entre deux concerts ou deux animations, des organisations non gouvernementales, venues de trente pays ont pu converser avec le public parisien. Certes, on peut se demander si cette jeunesse fera honneur par la suite au discours de Luc Barruet. Mais l'événement demeure de toutes manières un moment privilégié pour causer de la maladie en musique. "C'est clair que faire la fête, c'est le meilleur moyen de faire passer le message qui nous amène ici. Moi, j'ai toujours été partisan d'une certaine forme d'humour ou d'esprit festif pour faire passer les messages. C'est une sorte d'énergie positive que l'on partage avec les gens, pour qu'eux-mêmes se sentent plus forts ensuite face aux problèmes. C'est clair que ce n'est pas ce soir qu'on va résoudre le problème du sida. Nous donnons juste envie aux gens d'aller plus loin dans la mobilisation contre la maladie. Maintenant, il n'y a pas que les artistes, le public aussi doit se bouger. C'est le rôle de n'importe qui de s'investir soit au niveau de sa cage d'escalier, soit au niveau de son quartier, de son métier... C'est la relation la plus naturelle qui soit, la solidarité. Chacun agit selon sa position. Moi, en tant qu'artiste, je n'ai peut-être pas le pouvoir de faire des lois. Mais je peux peut-être sensibiliser. Au public de bien réagir ensuite". Ainsi s'exprime Sergent Garcia, le matador des sound systems, qui en était à son second Solidays.
Une partie du public justement pensait que certains artistes n'étaient là que pour faire leur promo. Ou encore pour se donner bonne conscience. Marco, leader du groupe FFF, réagit : "Qu'il y ait des artistes qui viennent faire leur promo ici, à la rigueur ça les regarde. C'est eux et leur conscience. Ce qu'il faut, c'est qu'il y ait de plus en plus de systèmes attractifs pour que les gens viennent et payent... Que ça génère de l'argent. Et que cet argent serve à la cause. Que la Reine d'Angleterre vienne en petite tenue s'exhiber, parce qu'elle vend une nouvelle marque de caleçon... peu importe pour moi, du moment que ça fait venir du monde. Maintenant, il faudrait souhaiter que la majorité des artistes soit animée de la même volonté de faire bouger les choses au niveau du sida et de la solidarité. Mais tu ne peux pas rêver... Tous les mecs qui ont choisi de faire de la chanson par exemple pour frimer ou pour avoir des filles, ne peuvent pas d'un seul coup avoir une conscience politique. En un seul concert. L'essentiel est donc qu'ils acceptent de venir là, même s'ils n'y croient pas, le reste les concerne. Sincèrement, la motivation intellectuelle des artistes qui viennent dans un festival humanitaire, je m'en contrefous. Tant pis pour eux. C'est dommage au niveau humain, mais qu'est-ce que tu veux faire ? Ce qui compte pour moi, c'est qu'ils soient là et qu'ils fassent venir plein de jeunes. Et que ces jeunes soient sensibilisés". La position des rappeurs sénégalais du Positive Black Soul sur la question est sans ambiguïté aucune. Venir là se produire pour élargir son public sur le marché du disque, c'est de l'égoïsme pur. "C'est clair que nous y allons toujours avec le cœur, parce qu'un concert pour nous, c'est déjà un événement important. C'est ce qu'on aime faire. Mais quand derrière, il y a une cause, ça prend une double signification. Surtout qu'on parle de sida. Nous, nous venons quand même de pays du sud, où les gens meurent de cette maladie, à cause notamment de la pauvreté. Par rapport à toutes les avancées dans la recherche, on est un peu exclu. Rien n'est mis à notre disposition pour que la tendance varie. C'est cela que nous sommes venus rappeler au public des pays du Nord. Nous, à Positive Black Soul, on n'arrête pas d'en parler partout où l'on passe. Et pas uniquement dans ce type de festival. Les artistes qui viennent aussi à ce type de rendez-vous pour faire leur promo sont égoïstes". Dont acte.