La rumba congolaise

Rythmes chauds et déhanchements assurés… Voici le credo de la musique la plus populaire que l'Afrique ait jamais produite. Aucune fête afro digne de ce nom dans le monde francophone ne peut se tenir sans une programmation de ces sonorités congolaises. En boîte, dans les bars ou les fêtes familiales, les amateurs miment en permanence les pas de danse des meilleurs groupes du genre. Etat des lieux d'un milieu pourtant miné par maintes dissensions.

Ou l'épopée d'un genre musical qui déchaîne les passions

Rythmes chauds et déhanchements assurés… Voici le credo de la musique la plus populaire que l'Afrique ait jamais produite. Aucune fête afro digne de ce nom dans le monde francophone ne peut se tenir sans une programmation de ces sonorités congolaises. En boîte, dans les bars ou les fêtes familiales, les amateurs miment en permanence les pas de danse des meilleurs groupes du genre. Etat des lieux d'un milieu pourtant miné par maintes dissensions.

Elle a plusieurs petits noms. Mais on préfère globalement la nommer rumba africaine, même s'il est vrai que certains donnent l'impression de ne connaître que sa variante actuelle : le ndombolo. Un nom inventé au départ par les enfants de rue (les chegue) pour une nouvelle danse qui singeait la démarche du président congolais assassiné Laurent-Désiré Kabila. On cite de plus en plus son succès mondial en exemple. Mais en réalité, il s'agit d'une affaire qui tourne bien depuis au moins quarante ans.

Un peu d'histoire

Plus précisément, la vague est partie des deux rives du Congo belge dans les années cinquante. Elle a traversé l'Afrique en long et en large et s'est invitée ensuite en Europe et aux Amériques, devenant à terme la première musique africaine à s'imposer internationalement. Et ce, malgré les médias occidentaux qui ne lui accordent que très peu d'intérêt. La rumba congolaise est en effet devenu la preuve vivante que le camp culturel dominant (l'Euro-Amérique à ce jour), même s'il se refuse à jouer le jeu, peut être contourné. Aussi bien dans l'underground culturel que dans les officines officielles, cette musique est écoutée, appréciée et va jusqu'à provoquer des hystéries collectives. Il paraît difficile d'imaginer une nuit dans une ville aussi ouverte que Paris aujourd'hui sans un rendez-vous où régnerait cette rumba endiablée venue d'Afrique Centrale.

Si l'on excepte l'Afrique du Sud et ses particularités musicales, la rumba fut le premier syncrétisme musical où le Continent noir s'est retrouvé associé à la vieille Europe. Il est né pour ainsi dire du ventre colonial. Nous sommes au début du siècle, lorsque débarquent des Caribéens tentés par la roue de la bonne fortune sur les chantiers coloniaux d'Afrique Centrale. Leurs guitares et accordéons accompagnent les premières émissions de Radio-Léopoldville (du nom du roi des Belges d'alors) dès la fin des années 30. Leur musique, déjà célébrée en Europe à l'époque, emporte vite le cœur des populations mélomanes de la région. Celles-ci retrouvent dans ces airs ramenés par des descendants d'esclaves, issus de la diaspora, des sonorités proches, correspondant à leurs propres traditions musicales. Il s'agit alors d'un effet aller-retour. Les rythmes et les mélodies d'antan, après avoir voyagé aux Amériques (Cuba notamment) et après s'être mélangées aux sons européens (mazurka, polka et autres danses de salon), reviennent sur leur terreau natal. Sous influence manifeste, les artistes s'en emparent de suite et se les réapproprient. Ainsi prend forme la fameuse rumba des deux rives du Congo.

Grands noms et coups bas

La légende commencera avec Joseph Kabasele alias "le grand Kallé" et son African Jazz dans les années 50. Rumba et guitare électrique font fureur alors et accompagnent les indépendances. On retiendra pour l'époque son légendaire Indépendance cha cha, qui sera hymne national au Zaïre.

"Franco" Luambo Makiadi, son rival de l'O.K. Jazz, contribuera lui aussi à faire monter la sauce. D'autres s'engageront dans la même foulée. Tabou Ley Rochereau notamment, qui perd l'un de ses ténors les plus valeureux, Sam Mangwana, en 1972. Celui-ci s'en va rejoindre alors l'O.K. Jazz pour mieux surprendre son public. Un clash qui en annoncera d'autres dans l'évolution d'une musique urbaine chargée d'histoire(s), d'où sont souvent parties les tendances africaines du moment. On pense à Papa Wemba et à la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) ou encore à d'autres artistes apparus récemment sur la scène congolaise, mais qui auraient pu être des clones des pionniers de la rumba.

"Respiration du peuple", pour reprendre les mots du compositeur Ray Lema, cette rumba congolo-zaïroise est un véritable phénomène afro qui ne connaît guère son pareil dans le monde à l'heure actuelle. Les Antillais dansent le ndombolo, les Colombiens la copient dans des sound-system et les Français, pourtant attirés par la world élitiste, se laissent gagner par la vague. Malheureusement, le succès de cette musique n'est porté à bras le corps que par un petit microcosme d'artistes, dont l'entente cordiale n'est pas la plus grande qualité. Jalousie, polémique, coups bas… Tout est permis dans cet univers. On connaît l'histoire de Zaïko Langa Langa, groupe mythique, qui, dans les années 80, a voulu se séparer. Le président Mobutu lui-même s'était mêlé à l'affaire, en les suppliant de ne pas gâcher le rêve qu'ils incarnaient pour l'Afrique entière. C'est dire…

Une ambiance qui n'encourage pas le show-biz international à s'investir plus dans ce monde, bien que certains artistes du microcosme se retrouvent de nos jours dans des salles aussi importantes que Bercy ou le Zénith à Paris, à l'instar d'autres stars, européennes ou américaines.
L'Affaire Wenge

L'une des formations les plus en vue dans les années 90 fut Wenge Musica, qui se scinda en deux groupes, le Wenge BCBG et le Wenge Maison-Mère, suite à des querelles intestines fin 1997. Une véritable déception pour nombre de mélomanes, même s'il est vrai que les deux camps ont fini par produire des aventures passionnantes chacun de son côté. JB Mpiana, tête d'affiche du Wenge BCBG, n'a pas arrêté de surprendre, depuis les Feux de l'amour, son premier album. Le précédent, TH, a dépassé le cap des 230.000 exemplaires vendus. Et il se prépare à sortir son tout dernier, Internet Mbwa Aswi Mbwa, avec un concert parisien prévu à Bercy en septembre (le Français Johnny Hallyday serait là en guest-star…).
Noël Ngiama Makanda surnommé Werrason, saint patron de Wenge Maison Mère, ceux de l'autre camp, vient, lui, de signer son dernier opus, Kibwisa Mpimpa, en attendant de recevoir le disque d'or de son avant dernier, Solola Bien. Chiffre de vente avancé pour ce petit dernier : au moins 100.000 exemplaires en deux mois.

De quoi se supporter, diront certains. Pourtant, ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, la bagarre du mois de juin entre "Gentamycine" et "Sankara de Kunta", respectivement animateur et danseur chez Mpiana et Werrason, à Kinshasa. Heureusement, la musique n'en pâtit pas, étant donné son succès, toujours aussi retentissant dans les bars, les boîtes de nuit et les fêtes familiales en Afrique et dans sa diaspora.

Querelle de génération ?

Certes, une querelle des anciens et des modernes est en train de voir le jour, sans dire son nom. Les premiers n'apprécient pas toujours en effet la tournure, notamment "légère", que prend le son de la rumba actuelle. Ainsi, pourrait-on citer ces phrases de Sam Mangwana, mises en exergue dans la pochette de Femmes Africaines, enregistré aux côtés de Dino Vangu : "Le présent album n'a pas d'autre ambition que celle d'essayer de redorer le blason de la rumba congolaise à l'heure où elle traverse une profonde crise. C'est pour moi une question de responsabilité.(…) Ecoutez cet album et méditez". Un des reproches faits par Mangwana à la nouvelle, c'est qu'ils oublient certains acquis hérités des générations pionnières. Un exemple parlant : la réintroduction du saxophone dans le répertoire, alors que la génération actuelle ne s'y intéresse que moyennement. A ces questions, Koffi Olomide, la locomotive actuelle de cette scène congolaise, à quelques mois de la sortie de nouveau bébé, Efrakata, répond : "Tout se renouvelle… Personne n'est éternel. Donc tout passe. C'est normal. C'est l'ordre établi des choses. Sam Mangwana est mon grand frère. C'est quelqu'un que je respecte beaucoup. Mais je ne pense pas comme lui que la musique congolaise est en crise. Au contraire, elle est plus que jamais numéro un dans toute l'Afrique. Maintenant, c'est normal que les gens apportent quelque chose de différent à ce qui existait déjà. Peut-être que les anciens trouvent que ce qui se fait au niveau des jeunes n'est pas crédible. Mais c'est une question de génération. Et le public est là pour nous dire s'il aime ou pas. Or, il a l'air d'aimer. Alors, il faut savoir être de son temps ou bien laisser sa place". Qui a parlé de polémiquer ?

Soeuf Elbadawi

Quelques infos sur:
africmusic.com (en anglais)
afromix.org
Malanga, le site de la communauté congolaise
Congo en ligne