LES FESTIVALS EN QUESTION

Paris, le 18 Juillet 2001 - Rassemblements de masse autour de la musique, l'été est devenu le lieu par excellence de la consommation festive chez les Français. Tous les coins de L'Hexagone ont désormais leur rendez-vous. Le rock nouvelle vague, les tendances électro ou encore les rythmes du monde qui s'affichent dans les différentes régions, sonnent tous comme autant de prétextes pour reconstruire un lien social.

Enquête sur le sens des festivals estivaux

Paris, le 18 Juillet 2001 - Rassemblements de masse autour de la musique, l'été est devenu le lieu par excellence de la consommation festive chez les Français. Tous les coins de L'Hexagone ont désormais leur rendez-vous. Le rock nouvelle vague, les tendances électro ou encore les rythmes du monde qui s'affichent dans les différentes régions, sonnent tous comme autant de prétextes pour reconstruire un lien social.

"L'air du temps me paraît être à la viscosité : on aime coller à l'autre. Les gens ont envie d'être ensemble, pour peu qu'il y ait promesse d'effervescence festive, débridement. A certains moment de l'année, tout est bon pour bouger et se rassembler. Peu importe l'occasion. La théâtralité de ces rassemblements instaure et conforte la communauté. Dans la masse, on se croise, se frole, se touche, des interactions s'établissent, des cristallisations s'opèrent et des groupes se forment". Le propos est de Michel Maffesoli, sociologue et enseignant à la Sorbonne. C'était il y a deux ans et il tentait d'expliquer à nos confrères de Télérama (magazine TV) l'engouement subit des Français pour la vogue des festivals d'été. Pour illustrer son point de vue, il se référait au vieux mythe de Thèbes : "Bien géré par le sage Prométhée, cette cité se mourait de langueur. On n'y avait plus faim mais on y mourait d'ennui. Les femmes ont alors appelé le turbulent Dionysos. Un métèque, sexuellement ambigu, plus proche de la nature que de la culture. A son entrée dans la cité, il a provoqué le désordre. Ce Barbare a injecté un sang nouveau dans un corps social languide et par trop amolli par le bien-être et la sécurité. Il a réanimé la cité. Elle a repris de la vigueur parce qu'on y partageait de la passion. C'est bien ce qui me paraît en jeu aujourd'hui. Après deux siècles de modernisation, de rationalisation de l'existence, de désenchantements du monde, maintenant que le mythe d'un progrès infini est quelque peu saturé, celui du tourbillonnement dionysiaque mérite attention".

Créer des tribus

Besoin de folie pour noyer l'ennui qui vous guette tout le reste de l'année en rase campagne ou dans les cités urbaines… L'été, les bras se relâchent. On a envie de s'éclater, au sens propre comme au sens figuré. Le moment est donc opportun pour que les organisateurs de festival se sentent plus inspirés. En d'autres périodes, l'hiver par exemple, le public semble plus sourd, moins facile, voire plus fermé. L'été, l'Hexagone a besoin de vacances. Et il les prend. Si en plus, la musique accompagne et nourrit cette envie, quel mélomane ne s'en réjouirait pas ? Du coup, les faiseurs de musique se sont mis à concocter des programmations encore plus alléchantes que d'habitude. En prenant des risques parfois sur des découvertes ou sur des artistes réputés difficiles, que l'on mêle à des valeurs sûres.

Aux Francofolies de la Rochelle, jusqu'au 18 juillet, Foulquier et son équipe mélangent petits et grands de la scène francophile et francophone. Lynda Lemay se retrouve non loin de Panache Culture et Henri Salvador à quelques kilos de sons des Femmouzes T. Aux Escales de Saint-Nazaire, on joue entre le 10 et le 11 août prochains la carte des îles, de l'Atlantique à l'Océan Indien. Une histoire de grand large s'y tisse en rythmiques world bien senties. A Mulhouse, on mise du 21 au 25 août sur le jazz avant-gardiste et free. Et surtout, le festival porte plus que jamais la dynamique du lieu d'accueil. C'est l'occasion de visiter le terroir, d'inviter le chaland à d'autres agapes dans la région en fête, de convier aussi les habitants à se retrouver pour mieux communier. Le festival est alors une manière de réinventer un lien social. Passant de la convivialité retrouvée à la sensation partagée, le public ainsi réuni, constitue ou reconstitue des tribus, se fabrique des connivences impensables ailleurs, le temps d'une dizaine de concerts. Il recrée des liens là où il n'y en avait plus ou peu. Certains viennent seuls dans ces rendez-vous à la recherche d'un double ou d'une âme sœur, d'un repère ou d'une vibration positive à ressentir avec quelqu'un. D'autres pratiquent même du nomadisme estival, se promenant de festival en festival à la recherche d'une émotion forte ou d'une ambiance moins aseptisée, qui provoquera l'inattendu. Le festival incarne de fait, une possibilité de rencontre, même sans lendemain…

Ambiances multiculturelles

Françoise Cartade, fabricante de curiosités aux Temps Chauds, qui ont lieu du 20 au 28 juillet prochains dans l'Ain, résume bien la philosophie de ces rendez-vous d'été : "Il y aura une pincée d'accords croisés, un bon kilo de rythmes par toutes les peaux, un peu de remue-voyage au village, et tout autour des nids de rencontre, nous n'aurons pas d'autre maison que le vaste monde…" Pourrait-on trouver meilleure formule ? Issu d'une dynamique de la quête du plaisir, un festival est le lieu par excellence de la mixité, non seulement entre hommes et femmes, mais également entre le local et l'universel, l'ici et l'ailleurs.
Un fait intéressant : les groupes venus de l'étranger, dont le cachet s'avère plus abordable dès lors que trois ou quatre festivals sont demandeurs [ce qui est fort dommage par moment, puisqu'on se retrouve parfois avec les mêmes], sont de plus en plus présents sur les sites estivaux en mouvement. Ils apportent du rêve et ils amènent souvent par leur seule présence, le public français à communiquer davantage avec un autre public, résidant en France mais qui est constitué de gens originaires de leurs pays respectifs. Les gnawa marocains donnent parfois envie au citoyen lambda de s'interroger sur la qualité de ses rapports avec les immigrés maghrébins vivant dans son quartier, Ali Farka Touré ou Kar Kar drainent derrière eux une autre image du Malien auprès des mélomanes français. Il s'agit d'un enjeu presque essentiel en ce troisième millénaire. Celui-ci rejoint la question de la mixité entre les peuples et les cultures, surtout dans un pays où la migration est une problématique permanente. Les politiques en sont bien conscients, lorsqu'ils acceptent de soutenir telle ou telle initiative du genre. Le festival exprime bien mieux que leurs discours les notions de tolérance et de transculturalité.

Le vaste monde frappe à votre porte

On parle alors d'oxygène culturel. L'expression est de Jean-Michel Denis. Journaliste à Afrique Magazine, il s'est intéressé au phénomène à l'occasion d'une édition des Musiques Métisses à Angoulême, un des gros rendez-vous de musiques du monde qui annonce l'effervescence estivale. "D'un point de vue social, raconte-t-il, on parle de rapprochement des peuples et pourquoi pas aussi, de racisme. Dans la France profonde, les gens ont quand même des réactions assez brutales par rapport à ça. Je pense que le festival fait bouger beaucoup de choses. Dans la petite sphère d'Angoulême, dans le Sud-Ouest, il y a pleins d'enfants qui sont en train de découvrir plein de choses du monde et qui apprennent à s'ouvrir. La province s'épanouit ! C'est un énorme travail. Les villes ne peuvent plus se contenter de fournir du social, de l'économique, du politique... Il faut qu'elles aillent au-delà". Aujourd'hui, le festival n'est donc pas uniquement une vitrine pour l'homme politique en France. Vitrine d'une région ou d'une ville qui bouge… C'est aussi le lieu où il peut éprouver son rapport à l'électeur, avec des concepts aussi novateurs que le discours par exemple d'une France multiculturelle. C'est ainsi que sont nés des festivals, dits de proximité, dans des quartiers sensibles entièrement subventionnés par les mairies ou les départements. Ce sont des initiatives qui contribuent à renforcer le dialogue entre les habitants. Dans cette perspective, on pourrait citer le festival des Hauts de Garonne, qui anime de juin à juillet les quartiers chauds de l'agglomération bordelaise : un projet qui allie social et culturel dans une même foulée. Cette année, on est passé d'un imaginaire à l'autre: la Colombienne Toto la Momposina, le Cubain Omar Sosa, le Nigérian Femi Kuti, ainsi que l'Indien de Bombay Trilok Gurtu y officiaient. Le Vaste monde à votre porte…

Une réalité indiscutable, la ronde des festivals a ceci d'essentiel : elle rend le parcours des vacanciers plus intelligent et les amène à pratiquer une sorte d'art du détour, qui parfois, déroute. Un week-end dans le sud à l'occasion du Nice Jazz festival, quinze jours dans le Nord pour un festival de musique ancienne à Dieppe. La seule ombre au tableau : c'est que la multiplication des événements les banalise… à force.

Soeuf Elbadawi

Quelques autres dates à ne pas rater :
Festival Café de l'été à la Roche-sur-Yon jusqu'au 17 août, Les vieilles Charrues à Carhaix du 20 au 22 juillet, Festival Interceltique à Lorient du 03 au 12 août, Nice jazz festival du 21 au 28 juillet, Tempo latino à Vic-Fezensac du 27 au 29 juillet, Les Nuits de Langon du 1er au 5 août, Festival Terre de Couleurs à Sainte-Croix-Volvestre le 4 août.