Les Vielles Charrues
Comme prévu, c'est une foule de plus de 170.000 personnes qui a investi le cœur de la Bretagne pour l'an X des Vieilles Charrues. Nuages gris et chaude ambiance habillent un festival désormais incontournable par son site (le parc naturel de Kerampuil), son plateau hétéroclite mais sans complaisance (St-Germain, Noir Désir, Salvador...) mais surtout pour son caractère identitaire et engagé.
Le festival breton fête 10 ans de labour musical
Comme prévu, c'est une foule de plus de 170.000 personnes qui a investi le cœur de la Bretagne pour l'an X des Vieilles Charrues. Nuages gris et chaude ambiance habillent un festival désormais incontournable par son site (le parc naturel de Kerampuil), son plateau hétéroclite mais sans complaisance (St-Germain, Noir Désir, Salvador...) mais surtout pour son caractère identitaire et engagé.
Des kilomètres autour du site du festival, les Vieilles Charrues ont tracé leurs sillons : campings gratuits, parkings champêtres, forces de l'ordre, affichage sauvage et signalisation pratique. Mais avant tout, ce sont des milliers de jeunes armés de sacs à dos qui, depuis la veille du coup d’envoi, le 20 juillet, ont envahi joyeusement ce petit coin du Kreizh Breizh (Bretagne centre), Carhaix-Plouguer, 8000 âmes en temps normal, pas loin de 200.000 cette fin de semaine...
Et c'est peu dire que le sort de cette bourgade se confond avec l'histoire du festival : son maire, Christian Troadec, n'était autre que le président-fondateur des Vieilles Charrues jusqu'à son élection aux municipales de mars dernier (il fut remplacé par Paul Hély). Ce transfert de fonction est en partie la conséquence du rêve de Troadec et d’une bande de copains à la création du festival en 92, soit faire respirer économiquement cette région longtemps délaissée. C'est ainsi qu'en 1998, l'association des Vieilles Charrues, bénéficiaire après une affluence record (100.000 spectateurs contre 40.000 en 97), donne un million de francs à Diwan, le circuit scolaire alternatif en breton. Un lycée est construit à Carhaix, auquel s'ajoutent un office de la langue bretonne et une médiathèque. Si les festivals ont parfois un rôle politique, les Vieilles Charrues en sont la démonstration.
Carhaix, un pôle de découvertes
Entamé le 14 juillet par une unique journée purement bretonnante avec Bagadoù et fest-noz, le festival 2001 a démarré il y a deux jours avec les Mickey 3D. L'immense prairie du site, entre les deux scènes miroir, Glenmor et Kerouac (les concerts sont en alternance, le public fait l’aller-retour) est, cette année, noire de monde dès le milieu de l’après-midi. La totalité des billets est écoulée depuis des semaines, laissant place au marché noir : sur internet, on a trouvé des forfaits trois-jours à 4000F (normalement 310) !
Le soir, la foule très jeune s’enrichit d'une assemblée plus panachée, mer de têtes rehaussée de nombreux Gwen ha Du, le drapeau breton, omniprésent ici. Rien que le premier jour, le festival a proposé en l’Américain Ben Harper (présent pour la seconde fois en trois ans), le crooner octogénaire Henri Salvador, le Breton à la voix d'or Denez Prigent ou les reggaemen jamaïcains Black Uhuru. Ici, contrairement au Printemps de Bourges par exemple, pas de soirée vaguement thématique. On mélange tout et la sauce prend. Les adolescents ovationnent Moustaki, les plus vieux découvrent la prose rock de Noir Désir ou le reggae de K2R Riddim. Si les festivals ont un rôle culturel, les Vieilles Charrues en sont une preuve.
Samedi, Claude Nougaro joue entre le métissage oriental de Gnawa Diffusion et le dub de Zenzile. Et une nouvelle fois, c’est un sans faute pour la programmation. Celui qui fait figure de patriarche du jour a même d’attentifs spectateurs en coulisse : Christian, Grégoire et Edith des Têtes Raides, le groupe Java (qui a séduit le Toulousain avec son rap musette) et les Noir Désir.
Noir Désir, le retour choc
Eloignés du circuit purement musical depuis leur dernier album 666.667 Club en 96, leur retour scénique est un événement. Oui, bien sûr, ces dernières années on les a souvent vus jouer pour diverses causes (le Tibet, la libre circulation des sans-papiers, la lutte contre l’extrême droite, l’anti-mondialisation). Mais ils étaient rarement ensemble. De plus, le guitariste Serge Teyssot-Gay a sorti un album solo, une œuvre semi-littéraire. Bref, le son et la poésie de Noir Désir, le groupe, commençaient à manquer à nos oreilles.
Aujourd’hui, on attend le nouveau CD, Des visages, des figures, prévu pour le 11 septembre. Un single tourne depuis quelques jours, le Vent l’emportera, un titre au son surprenant, différent. La guitare Noir Désir, si particulière, fait place à une autre qui rappelle un certain... Manu Chao. Et pour cause, partageant le terrain du militantisme et d’une pratique intransigeante du métier, les musiciens se rencontrent à point nommé. Un nouvel album (très attendu) chacun et une participation au même festival à 24 heures d’intervalle'.
Pour l’heure, les Bordelais ont la trouille. Le nouveau spectacle n’est pas encore rôdé (trois dates seulement avant celle-ci) et 70.000 spectateurs les attendent. Mais dès leur arrivée, le trac devient éblouissement de part et d’autre. Le public, dont une large partie était à la maternelle quand ils ont sorti leur premier disque en 87, les reçoit 5/5. Leur rock est intact, d’une violence intelligente qui vous enrobe pour ne plus vous lâcher. Les titres récents côtoient les anciens, One trip one noise, le grandiose Marlène et un Tostaky beau à en pleurer. Une explosion sonore, textuelle et mélodique.
Les musiciens n’ont pas changé si ce n’est Teyssot-Gay, plus ténébreux que jamais. Le saxophoniste Akosh est présent également, compagnon de route du groupe depuis quelques années, presque un membre à part entière. Cantat chante avec le sourire, sans transe ni syncope comme quelques fois dans le passé. Le concert est rallongé de près de 20 minutes, de deux rappels, phénomène rarissime dans un festival chronométré. Ils terminent par Viens et l’Homme pressé. Mais surtout, ils convient sur scène les Têtes raides pour le titre l’Iditenté, titre politique au texte magnifique. L’original de ce duo à douze musiciens est gravé sur le dernier album du groupe de Christian Quermalet, Gratte-Poil. Que dire de la prestation de ce soir ? Magistrale ! Le public est secoué. Les dernières notes se terminent pour laisser place au feu d’artifice quotidien.
La découverte du jour
Après ça, à 1h30 du matin, le concert de St Germain a du mal a impressionner la foule en dépit de sa grande classe... En revanche, dans la même lignée, le dénommé Rubin Steiner, inconnu des foules, est autrement plus décontracté et sans complexe que le souverain de la French Touch électronique, un tantinet austère.
Ce Tourangeau de 27 ans, né Frédéric Landier, nie être un musicien. "En revanche, je suis hyper doué avec la souris." Lui son truc, à l’instar de St Germain, c’est l’ordinateur. Mais comme les raves, on ne sait jamais dans quelle direction il va partir. Transfuge du rock, il se découvre un jour une passion (et un don) pour le collage sonore le plus anarchique possible. House, trip hop, il est impossible de qualifier son travail. Disons que c’est un grand écart permanent entre l’électro et une matière première qu’il puise dans sa culture générale insondable : génériques télé, B.O.F. kitsch, mais aussi hip hop, jazz, funk, dub, voix,... Tout ce qui passe par son cerveau peut lui servir. Ses références sont innombrables, artistiques, musicales, littéraires. A l’arrivée, l’auditeur est perdu et ravi. Parce que la singularité du personnage, c’est une intelligence suraiguë et un humour omniprésent. Pour preuve, ses deux albums Lo-Fi nu Jazz vol.1 et vol.2 (Platinum/dist.Chronowax), ce dernier ayant déjà été qualifié de potentiel "collector"².
Sur scène, avec ses acolytes (le contrebassiste Sylvestre, le trombonettiste Benoît et le Mr vidéo, François), Rubin Steiner danse, rigole, boit de la bière. Mais pour un tel groupe, plus adapté aux clubs et petits lieux, les limites d’une prestation dans un gros festival rock-chanson sont vite atteintes. La plupart des morceaux sont plutôt faits pour les dancefloors. Peu importe, tout le monde joue le jeu. Ce qui est certain, c’est que sa house accroche même ceux qui viennent de suer sur Noir Désir. Alors pourquoi Daft Punk ou Air et pas Rubin Steiner ? La question est posée.
' Manu Chao y chante ce soir, nous y reviendrons.
² Longueur d’ondes (Automne 2000)