Chao aux Vieilles Charrues

Ce lundi matin, les derniers campeurs/festivaliers ont quitté le site d’un festival qu’ils ont contribué à réussir. Un succès ? C’est un euphémisme. Avec 60 à 70.000 spectateurs par jour (trois), la fréquentation des Vieilles Charrues atteint un nouveau record. L’accueil, l’esprit et le programme ne recèlent aucune faille. Les artistes accourent. Le festival est désormais le plus important de France.

Bilan flamboyant pour le festival breton

Ce lundi matin, les derniers campeurs/festivaliers ont quitté le site d’un festival qu’ils ont contribué à réussir. Un succès ? C’est un euphémisme. Avec 60 à 70.000 spectateurs par jour (trois), la fréquentation des Vieilles Charrues atteint un nouveau record. L’accueil, l’esprit et le programme ne recèlent aucune faille. Les artistes accourent. Le festival est désormais le plus important de France.

Quand on arrive à Carhaix en milieu de journée pendant les Vieilles Charrues, la rue centrale est envahie de festivaliers qui se réveillent, émergeant des campings officiels ou sauvages. Les plus âgés observent d’un œil indifférent cette transhumance quotidienne vers le site de Kerampuil. Dès lundi, lendemain de fête, la petite ville devrait avoir une légère gueule de bois mais à part un grand ménage, elle retrouvera vite son rythme habituel. De plus, les récentes inquiétudes locales quant à la venue de 50.000 personnes pour une rave party géante en marge du festival se sont évanouies quand celle-ci s’est finalement posée dans le département voisin, à Paule, après un bref passage dans les mines de Locmaria-Berrien à une vingtaine de kilomètres de Carhaix. Le surplus de jeunes qui n’a pu trouver de billets pour le festival s’est d’ailleurs, pour certains, rabattu sur la rave.

Java sur les Charrues

Mais avant l’heure de passer le balai, le festival connaît encore quelques heures mémorables. Samedi, avant St Germain ou Noir Désir, le groupe Java chauffe la place. Ceux que Nougaro encense tant et plus lors de sa conférence de presse viennent présenter aux festivaliers leur heureux carambolage hip hop-musette.

Impressionnés de jouer pour la première fois sur une si grande scène, les quatre Parisiens, issus du circuit des bistros, mettent cependant en garde quant à la valse des étiquettes : "Les héritages du rap et de l’accordéon sont très lourds. Et nous, on a été soûlés des clichés qu’ils transportent." Sans nostalgie, le groupe, emmené par l’accordéoniste Fixi et le chanteur Erwan, crée donc un répertoire joyeux qui recycle deux genres en les sortant de leur carcan et y injectant du jazz, du funk et de la chanson. Et ça en jette ! Le spectacle tout simple, sans artifices, drôle et vivant, fait danser les fans de rap sur l’accordéon de leurs grands-parents. Java a réussi une belle mutation des stéréotypes.

Et Matmatah débarqua

Dimanche, les Strasbourgeois de Kat Onoma ouvrent la danse à une heure fort inhabituelle pour eux : 14h40. Une nouvelle fois, ce groupe à part, qui a toujours eu du mal à se faire comprendre du public comme de la critique, prouve que son image ténébreuse est un leurre. Issus du live où ils donnent toute leur dimension, Rodolphe Burger et ses acolytes sont plus que jamais un groupe de rock éclairé et passionnant (géniale reprise de Be Bop a Lula). Leur prestation diurne (sans doute la plus puissante en décibels du festival) sait séduire un public qui les découvre en grande partie.

Mais le vrai déclic de la journée est le débarquement de Matmatah, régionaux du tour. Les quatre Brestois, au look étonnamment similaire (tous ont la moustache, trois sur quatre les cheveux longs), jouent face à un public conquis d’avance et qui, contrairement à d’autres groupes, a le même profil que leur auditoire habituel : jeune, fêtard, vaguement révolté et sensible à son identité bretonne.

Avec les 700.000 exemplaires vendus de leur premier album, la Ouache, en 98 (et leurs démêlés avec la justice qui leur reprocha de faire l’apologie du cannabis), le groupe récidive cette année avec le bien nommé Rebelote (Trema/Sony). Mais l’habillage celtique du premier fait place aujourd’hui à un rock certes énergique mais somme toute assez banal. Avec le fantasme de toucher l’international (deux titres sont en anglais), ils sortent ainsi du créneau (carcan ?) bretonnant qui fit pourtant leur succès et dont, sur un festival comme les Vieilles Charrues, ils jouent encore. Mais sur scène, le rock l’emporte dans une débauche de riffs. Leur popularité fait le reste. En dépit de leur, déjà, troisième venue à Carhaix, le groupe se dira secoué par un public particulièrement fervent.

Manu Chao, petit mais grand

A l’instar de Vanessa Paradis quelques heures plus tard, la conférence de presse de Manu Chao fait le plein. Evoluant dans des sphères pour le moins différentes, ils ont tous deux le point commun de se faire rare. Mais dans le cas de Manu Chao, le dialogue de près d’une heure se révèlera autrement plus soutenu et plus captivant (même si la chanteuse reste indéniablement attachante).

Fatigué, vêtu d’un maillot de club de foot grec glané lors de son actuelle tournée qui depuis juin traverse l’Europe (avec un saut à New York et Québec), Manu Chao est un homme souriant et déterminé. Assailli de questions autant musicales que politiques, il répond sans détour et évite finement les pièges, prouvant une authenticité que certains voudraient mettre en doute.

Le G8 de Gênes et l’anti-mondialisation dont il est un fervent militant, ouvrent le bal. Il en profite pour raconter l’accueil musclé dont lui et son entourage firent les frais récemment en Italie. Les politiques, les mafias ("Le meilleur moyen de lutter contre la mafia ? Légaliser toutes les drogues."), le double discours des pouvoirs occidentaux ("Ils se foutent du monde quand ils critiquent les J.O. de Pékin"), tout y passe, les mots sont choisis, le discours choc. Quand on lui demande ce qu’il fait de l’argent généré par les ventes de ses deux albums (trois millions pour Clandestino et le dernier, Proxima estacion : esperanza (Virgin), est en tête des ventes européennes), il répond que c’est sa vie privée mais que chacun est invité à venir le visiter dans son Barrio Gatico de Barcelone où il a récemment posé ses valises. Idem, si on le titille sur le fait de se dire un artiste libre au sein d’une major (Virgin), Manu invoque un travail de syndicalisme au quotidien : "Je crois à mille et mille petites révolutions."

Rêveur ? Certainement. Mais sensible à un travail constructif, sans aucun doute. "Aller discuter avec des ministres, à quoi ça sert ?" Imperméable à toute récupération, Manu Chao est ému quand on lui demande de parler de ses tournées en Amérique latine : "Là-bas, si tu es sans espoir, ta famille ne mangera pas !"

Ce soir-là, sur la scène Glenmor, celui qui se fout "d’être français", est entouré d’une dizaine de musiciens, latinos, africains, transfuges de la Mano : son groupe Radio Bemba. Une famille pour Manu Chao qui se déplace de ville en ville avec un entourage élargi, un peu à l’africaine. Le staff privé, les business class et les loges de star, ce n’est pas son truc. Le «je» de Manu Chao est souvent un "on". Pas de repli sur soi, du partage avant tout. Même le cyber partage ne l’effraie pas : "Si t’es piraté, c’est que tu es populaire !" Pourtant, les photographes web n’auront pas le droit d’immortaliser le concert...

Si à la sortie de Clandestino, il avait un peu déçu en ne venant pas chanter en France, sa tournée actuelle risque de marquer les esprits pour longtemps. "Ceux qui veulent retrouver le disque sur scène vont être déçus !" Effectivement, le cadre du CD explose, l’énergie est à son comble et les moins jeunes se rappelleront avec nostalgie de la Mano Negra, mais aussi de Los Carayos ou des Hot Pants, premiers groupes du chanteur, et dont l’ambiance sonore n’est pas si éloignée de l'actuelle. La touche punk est même étrangement présente derrière un ensemble essentiellement latino/samba/salsa/dub. Tout ça est avant tout du rock. D’ailleurs, le très drôle Marijuana Boogie ne serait pas renié par Chuck Berry.

Comme de nombreux artistes, Manu Chao clame sa joie de participer aux Vieilles Charrues et rappelle qu’à l’époque de ses premiers groupes, seule la Bretagne était preneuse de leurs concerts souvent non désirés ailleurs. Vanessa raconte combien Matthieu Chédid lui a fait un portrait flatteur du festival. Tous, Savador, Nougaro, Matmatah, Noir Désir, se disent bouleversés par la force du public. Et Rodolphe Burger pense que ce n’est pas un hasard si c’est un festival breton qui s’affirme comme le numéro un du genre. Et c'est un Alsacien qui parle !...