Baobab en Palestine

Pour la plupart des artistes, été rime avec tournée. Pour la sortie du nouvel opus de Baobab, Reggae Social Club enregistré en Jamaïque, ceux-ci ont choisi de tourner mais dans une région inhabituelle : la Palestine. Après avoir fait danser les townships et les villages d’Afrique Australe en 1998, le groupe parisien a donc pris la route pour " jeter des notes là où les jeunes jettent des pierres". Direction Ramallah, Jerusalem, Hebron, Gaza, Naplouse…

Intifada Social Tour

Pour la plupart des artistes, été rime avec tournée. Pour la sortie du nouvel opus de Baobab, Reggae Social Club enregistré en Jamaïque, ceux-ci ont choisi de tourner mais dans une région inhabituelle : la Palestine. Après avoir fait danser les townships et les villages d’Afrique Australe en 1998, le groupe parisien a donc pris la route pour " jeter des notes là où les jeunes jettent des pierres". Direction Ramallah, Jerusalem, Hebron, Gaza, Naplouse…

3 juillet - Tel Aviv- Jérusalem - Ramallah

Pourquoi aller jouer dans une région en guerre alors que le tapis rouge de la promo tranquille pouvait se dérouler en France ? Les Baobab seraient-ils les derniers reggaemen gaulois tombés dans une potion magique immunisant contre l’Argent facile (titre de leur dernier single) ? Mis à part un Manu Chao à Gênes, quelques engagements en faveur de la légalisation du cannabis, de la libération du Tibet ou du condamné à mort américain Mumia Abu Jamal, on cherche encore les Peter Tosh français prêts à jouer dans des situations explosives… L’idée de ce voyage a germé après l’écriture du titre Algérie où Manu, le chanteur du groupe, clame "On devrait tous être en Algérie/Auprès de nos frères qu’on assassine/ On devrait tous être en Palestine (…) On devrait tous être en Côte d’Ivoire, même si ça n’est pas notre histoire".

Après une petite discussion entre copains fin février, cette tournée un peu particulière a pris forme avec l’appui d’Hervé, un ami qui avait déjà organisé le périple en Afrique. Grâce à son carnet d’adresses et avec l’aide des Centres Culturels Français et d'un certain nombre de municipalités françaises, le budget et les dates ont été bouclées quelques semaines avant le départ, le 3 juillet dernier… Avec tout de même quelques points d’interrogation.

Bien avant d’écrire la chanson Algérie, dont une version a été enregistrée à Paris avec Cheb Kader et un artiste palestinien, Manu, Ouafi, Benoît et Willy avaient déjà les yeux braqués sur la région. "J’ai 25 ans et cela fait à peu près 20 ans que j’entends parler de ce qui se passe ici" résume Manu, à son arrivée à Ramallah, première étape de la tournée. "On a vu tellement d’images à la télévision récemment qu’on ne pouvait pas chanter et rester sans rien faire. Les mots ne coûtent pas cher. Nous, on est venus pour voir comment les choses se passent concrètement sur place sans passer par la case média, et aussi pour dire que pour nous la Palestine est un pays à part entière."

Mais, en pleine Intifada, quand les pierres, les tirs de mortier et les bombes pleuvent de tous côtés, ce n’est pas à l’aéroport de Gaza mais à Tel Aviv qu’il faut atterrir. C’est donc via Israël que les sept musiciens rejoignent Jérusalem-est, la zone arabe de la ville. Impossible alors d’éluder la question : pourquoi cette tournée à sens unique, pourquoi aucune date dans l’Etat hébreu où les artistes jamaïcains et Alpha Blondy se produisent régulièrement ? Ouafi, le saxophoniste et manager du groupe, s’est déjà expliqué plusieurs fois sur ce point. Il précise à nouveau que ce n’est pas parce que Baobab milite pour la création d’un état palestinien qu’il est contre Israël. "Les défenseurs de la paix israéliens ont certainement besoin de soutien, et nous irons les voir aussi, mais aujourd’hui nous jouons vraiment pour les Palestiniens, pour dire que c’est un peuple à part entière et que l’on ne doit pas être sans cesse obligé de les accoler aux Israéliens ! Quand on part en Grèce, on ne va pas systématiquement en Turquie."

4 juillet - Ramallah - camp de réfugiés d’Al Amari

La journée commence par un petit bœuf avec des musiciens du Conservatoire National de Musique de Ramallah. Ils n’ont jamais entendu parler de reggae ni de Bob Marley mais sont ravis de pouvoir jouer avec des étrangers car pour l’instant tout voyage leur est interdit. Rendez-vous est donc pris pour un enregistrement avec le groupe Mawa à la fin de la tournée. L’après-midi débute par une visite du camp de réfugiés d’Al Amari où Baobab doit jouer le soir. Voici l’occasion d’entendre des histoires souvent bouleversantes, des bribes de vies brisées par la guerre.

Petite inquiétude de Manu qui constate que personne ne connaît le reggae ici et surtout qu’à priori, en période d’Intifada et de deuils, la musique n’est pas toujours la bienvenue… "En parlant avec des gamins du camp, j’ai vraiment ressenti la profonde violence qu’ils ont en eux. Ils ne parlent que des affrontements, des endroits où ils jettent des pierres, des morts. Dans ce contexte, je ne sais pas ce que la musique peut leur apporter", confie t-il avant de monter sur la scène improvisée dans la cour du camp. Finalement les jeunes réservent un accueil plus qu’enthousiaste au reggae métissé de Montreuil. La soirée se finit chez les hôtes du camp en musique, jusqu’au lever du jour…

5 juillet - Al Amari – Naplouse

Ce départ sur les routes contrôlées par l’Autorité palestinienne, permet au groupe de se frotter à nouveau à la réalité concrète des différentes artères du pays et des check points, de mieux comprendre les différences entre zones A, B et C dont ils ont tant entendu parler dans les médias.

Pour la première fois du voyage on entend Bob Marley. C’est le réceptionniste de l’hôtel de Naplouse qui a ramené une cassette d’Italie où il a fait ses études. Pendant le concert à l’Université Al Najah de Naplouse, Baobab invite un jeune joueur palestinien de oud à monter sur scène. Il chante une chanson pour les martyrs de l’Intifada dont les photos peuplent les murs de la fac. Lorsque le reggae résonne à nouveau dans l’enceinte de l’université, les jeunes étudiants s’approchent petit à petit de la scène et se défoulent en imitant Michael Jackson, Eminem ou d’autres stars aperçues sur MTV. Pas pour très longtemps, puisque cette débauche de garçons et de filles ne plait guère à certaines autorités religieuses qui ajournent le show. Le lendemain, une association islamique fait publier un article dans le journal national. Il condamne sévèrement la tournée de Baobab et le concert de Naplouse en particulier, pendant lequel des femmes ont dansé avec des hommes. Mais la tournée continue.

6/7/8 juillet - Naplouse – Bande de Gaza – Camp de réfugiés de Deir El Ballah

Après avoir encore goûté aux différentes formalités pour se rendre dans l’un des points les plus stratégiques du globe, les Baobab sont accueillis dans un des camps de réfugiés de la bande de Gaza. Là encore, musique et politique se mêlent. Après les visites d’hôpitaux, de familles ou de lieux de bombardement durant la journée, les soirées sont placées sous le signe des rencontres musicales avec des artistes palestiniens, mais officiellement, pas question de parler de concerts puisqu’on est en période de deuil. Et ici, le soir, quand les hommes chantent et dansent, les femmes restent à la maison.

9/10/11 juillet - Gaza-Hébron-Jérusalem

C’est sur Hébron que pesait la plus grande incertitude du voyage. Fallait-il prendre le risque de se rendre dans ce fief très sensible où se côtoient violemment Palestiniens et colons israéliens ? Finalement, vers 20h00, la question est tranchée : un taxi emmène le groupe vers l’un des points les plus chauds de Cisjordanie.

Là encore, l’idée d’accueillir un concert de reggae n’enchante pas toujours les partenaires palestiniens qui préfèrent que les Baobab se cantonnent à organiser des ateliers musicaux avec les jeunes, à jouer sans amplificateurs ou à partager la scène avec des enfants. Willy, le percussionniste, commence à se décourager. "Je constate qu’ici les enfants ne voient que des images de guerre, que même la musique a un sens particulier : elle chante l’Intifada. En tant que musiciens français, sommes-nous vraiment utiles ?". Manu le coupe et distille une dose d’enthousiasme : "Si nous n’avons plus d’espoir, qui va leur en donner ? Les jeunes Palestiniens ont besoin de notre musique. Les choses vont venir petit à petit. Aujourd’hui on joue dans des conditions un peu spéciales, mais il faut qu’on soit là et qu’on leur parle de paix. On est les premiers à faire ça, on plante une graine, c’est normal que ce soit difficile." Finalement, la joie des jeunes spectateurs finit de convaincre. Au-dessus des musiciens, le portrait d’Arafat veille tandis qu’au mur, les dessins des enfants ne parlent que de la mort du petit Mohammed, tué dans les combats. Petite victoire : un autre article publié par douze associations palestiniennes dans le journal soutient la tournée de Baobab.

Le soir, un concert a été organisé à la hâte dans le nouvel amphi en plein air de l’université Al Qds à Jérusalem-est. Le ciment et l’air sont frais. Derrière le groupe, au loin on aperçoit les colonies juives. Avant ce concert, les étudiants connaissaient Aïcha et Khaled, ce soir, ils découvrent le son jamaïcain et reprennent en chœur le refrain ska de Comment allez-vous ?

12/13 juillet - Hébron-Jérusalem-Ramallah

Premier dîner entre Français depuis le début du voyage. Entre deux plats de pois chiche, la discussion s’anime. Il est question du sort de Jérusalem, de la situation à Hébron, des religions monothéistes, du Coran, de la Bible, de Dieu, du communisme, des banlieues, de la guerre… En bout de table, Manu s’enflamme, ses dreadlocks volent. Loin des prêches rastas, sa conviction rappelle celle d’un Marley des années 70, mais ses confrères sont aussi de solides routiers de la joute verbale bon enfant. Tard dans la nuit, la discussion reste agitée sans jamais basculer dans la violence. Dehors, on distingue le bruit des balles qui s’échangent à quelques centaines de mètres.

Après quelques heures de sommeil, le groupe à rendez-vous dans un des studios de la célèbre université de Bir Zeit à Ramallah, pour enregistrer un titre avec Mawa. Le soir, pour la première fois depuis cette tournée en Palestine, des jeunes garçons et des jeunes filles dansent ensemble sur Algérie. La réputation libérale de Ramallah serait-elle fondée ?

14/15 juillet - Ramallah - Jérusalem - aéroport de Tel Aviv

Après avoir joué pour la cérémonie officielle du Consulat de France, le 14 juillet à Jérusalem-est, les Baobab retrouvent une dernière fois la résidence de Ramallah avant de s’envoler pour Paris, cette fois encore via Israël. Dernier stress avant de partir… Comment les services de sécurité de l’aéroport israélien verront-ils le passage de ces artistes français arborant fièrement le drapeau palestinien sur leurs bagages ? Finalement l’embarquement se fait sans fouille et sans souci. Cette ouverture ne suffira pas, bien sûr, à leur faire oublier ce qu’on appelle "la cause palestinienne".
Après quelques jours de vacances, le groupe s’apprête à témoigner de ce qu’ils ont vu avant de repartir ailleurs ou de s’impliquer dans des actions de quartier, puisque pour Baobab "la musique n’est pas faite que pour vendre du rêve, mais aussi pour s’ancrer dans le réel.

Baobab Reggae Social Club (Polydor Universal) 2001