Nuits Atypiques de Langon
Sur les bords de la Garonne, en pays viticole, il y a des manifestations qui savent se bonifier avec le temps. C'est le cas des Nuits atypiques de Langon. Un rendez-vous estival où militantisme rime avec musiques du monde. Morceaux choisis de ce festival citoyen qui vient tout juste de célébrer sa 10ème édition.
Un festival citoyen
Sur les bords de la Garonne, en pays viticole, il y a des manifestations qui savent se bonifier avec le temps. C'est le cas des Nuits atypiques de Langon. Un rendez-vous estival où militantisme rime avec musiques du monde. Morceaux choisis de ce festival citoyen qui vient tout juste de célébrer sa 10ème édition.
Ciel de pleine lune, légère brise dans les branches verdoyantes d’une nature généreuse. Telles étaient les conditions climatiques pour les quelques 20.000 festivaliers venus en pèlerinage à la 10ème édition des Nuits atypiques de Langon, bourgade de 6.000 âmes à quelques kilomètres de Bordeaux. Comme chaque été, ce festival champêtre se déroulait dans le Parc du verger, site boisé protégé par un minaret centenaire, seule trace d’une mosquée construite au début du siècle par un orientaliste. Symbole de l’atypisme en pays girondin, ce minaret -menacé de destruction par les élus locaux - abritait la grande scène qui, cette année, a vu défiler quelques « prophètes » des musiques du monde. A commencer par l’incontournable Franco-espagnol Manu Chao, dont on a parlé récemment dans ces mêmes colonnes, et qui naturellement assurait le plein en ouverture avec son puissant mix latino.
Autre personnalité très attendue cette année : le célèbre réalisateur de l’ex-Yougoslavie, Emir Kusturica. En dehors de la projection durant la manifestation de Chat noir, chat blanc, film primé à la Mostra de Venise en 1998, cette figure internationale du cinéma n’avait pas effectué le déplacement à Langon pour nous enfermer dans les salles obscures. Le 6 août dernier vers une heure du matin, il éteignait les projecteurs de ce cru atypique 2001. Guitariste du No Smoking Orchestra, groupe fondé il y a une vingtaine d’année à Sarajevo, Emir Kusturica jouait, avec sa formation, une partition à son image, provocatrice à souhait : riffs de guitares néo-punk sur fond d’accordéon, de violon et de cuivres puisés dans le patrimoine balkan. Un style bien déjanté aux textes satiriques servi par Nelle Karajic, dandy électrique avec chemise de soie que le parterre féminin s’arrachait.
Entre ses deux performances extrêmes, les spectateurs des Nuits atypiques se devaient de reprendre leurs esprits avec des têtes d’affiches moins surprenantes. Comme par exemple, l’Orchestre National de Barbès (ONB). La joyeuse bande du Maghreb, pourtant rodée à la scène depuis plusieurs années, n’arrivait pas vraiment à transmettre cette magie de sons d’obédiences raï-chaâbi-gnawa, à laquelle on était habitué. De son côté, Manu Dibango confirmait, si besoin était, sa suprématie avec un show bien réglé en terre bordelaise. Après un passage en 1997, « Papa groove » souhaitait revenir plus longuement au cœur des vignes pour mieux s’imprégner de l’esprit de ce festival. Car les « Nuits », comme on dit maintenant à Langon, c’est aussi cela : un rendez-vous à taille humaine qui privilégie la rencontre des cultures tant pour les artistes que pour le public. Pour cela, il fallait flâner dans les allées du Village atypique, véritable poumon de la manifestation. Vaste marché composé de 70 stands, ce lieu coloré et parfumé incitait au dialogue. Mis à part les inévitables exposants « post-baba » d’artisanat du monde, les échoppes de dégustation de produits du terroir d’ici et d’ailleurs et autres buvettes salutaires sous un soleil voilé, bons nombres d’associations militantes avaient naturellement leur place.
Comme par exemple Attac, l’Association pour la Taxation des Transactions Financières pour l’aide au citoyen (soutenu par quelques 30.000 adhérents), co-organisait, pour l’occasion, avec les Nuits atypiques un forum intitulé « Un autre monde est possible ». Une manière pour ce rendez-vous artistique de réaffirmer son identité de festival citoyen. Ici, les musiques du monde ne sont qu’un vecteur de sensibilisation. «Même si socialement ou culturellement le public n’est pas forcément préparé à écouter ces musiques qui viennent de partout, nous essayons de donner des clefs de réflexion en incitant les gens à ouvrir grand leurs yeux et leurs oreilles», soulignait Patrick Lavaud, directeur du festival.
Avec une trentaine de groupes issus d’une quinzaine d’horizons différents, les spectateurs promeneurs n’avaient que l’embarras du choix pour satisfaire leur curiosité. Au "rayon" des artistes occitans, l’accordéoniste Michel Macias, chapeau noir vissé sur la tête, transformait vite, à l’heure de la sieste, le devant de la scène en bal poussière... Même sans parquet de bois, jeunes et vieux ne résistaient à l’appel des traditionnels rondeaux gascons et sympathiques valses musettes. Plus tard dans la nuit, c’est Rageous Gratoons qui mettait le feu au Parc des vergers. Mené par Olivier Olivero, autodidacte du piano à bretelles, cette bande de joyeux lurons alternatifs de Bordeaux revisitait en version Clash la musique des gens du voyage. Sans nul doute, l’une des révélations du moment.
Cette sélection régionale ne saurait faire oublier, la place de choix réservée aux authentiques sonorités tziganes. Roumaines, hongroises, bulgares, les formations venues par la route depuis l’Europe de l’Est prouvent que la libre circulation de ces artistes est en marche. Parmi celles-ci, le Taraf de Haïdouks crée l’enthousiasme avec ses mélodies nostalgiques que procurent les violons et le cymbalum. Tout comme la fanfare Ciocarlia, également débarquée de Roumanie. Composé de douze musiciens gitans, cet ensemble de cuivre a l’art d’enivrer le public avec son jeu frénétique. Ou encore Ökrôs, quintet à cordes qui fait figure d’ambassadeur de la tradition hongroise. Une belle leçon de musique gypsy pour tous ceux qui se donnent la peine de ne pas taper du pied bêtement sans faire la différence entre Bucarest et Budapest...
Mais la réussite de cette 10ème édition des Nuits atypiques aurait semblé partielle si Mamar Kassey, les poulains de l’écurie langonnaise n’étaient de la fête. Révélé ici même en 1998, cet ensemble de Niamey faisait son retour pour transformer, le temps d’un concert, la Garonne en fleuve Niger, grâce aux sons hallucinants de la flûte sahélienne de Yacouba Moumouni, leader de l’orchestre. Idem pour Rakotoh Frah, un fidèle depuis plusieurs éditions avec son groupe Feo-Gasy. Figure emblématique de la musique des hauts plateaux malgaches, ce vétéran aux allures de petit lutin rieur jouait "l’agitateur culturel" en créant une rencontre improbable entre son piccolo et la flûte de son homologue nigérien. N’est-ce pas la preuve que l’esprit atypique existe ?
A écouter :
Michel Macias : CaïCaïCaï (Daqui)
Rageous Gratoons : Mali Covecinja (MSI)
Taraf de Haïdouks : Band of Gipsies (Crammed Disc)
Fanfare Ciocarlia : Baro Biao (Piranha records)
Mamar Kassey : Alatoumi (World village)