Au bout du monde

Près de 20.000 festivaliers se sont pressés le samedi 11 août sur les landes sauvages et ensoleillées de la presqu’île de Crozon. Au sein du Parc Naturel Régional d’Armorique s’ouvrait la deuxième édition du Festival du Bout du Monde. Selon un principe de métissage entre musiques actuelles et cultures ancestrales, les têtes d’affiche «globe-trotters» ont emporté la scène au Sénégal, à Madagascar, au Pérou, à Cuba... Ambiance.

Festival à Crozon

Près de 20.000 festivaliers se sont pressés le samedi 11 août sur les landes sauvages et ensoleillées de la presqu’île de Crozon. Au sein du Parc Naturel Régional d’Armorique s’ouvrait la deuxième édition du Festival du Bout du Monde. Selon un principe de métissage entre musiques actuelles et cultures ancestrales, les têtes d’affiche «globe-trotters» ont emporté la scène au Sénégal, à Madagascar, au Pérou, à Cuba... Ambiance.

Embarqué sur bateau direction Crozon, le passage devant la base militaire de la rade de Brest est inévitable. Alors que le pilote se fait une joie de décrire en détail l’arsenal défensif de celle-ci, un panneau «Défense d’entrée» intrigue… « Pourquoi est-ce écrit en français? Parce que la France a toujours craint les attaques des pays francophones »... Humour noir par mer calme et temps ensoleillé. Mais sur la presqu’île de Crozon, la France rend le temps du spectacle, hommage aux métissages du monde entier et à César ce qui lui appartient.

Les quatre Normands de Mes souliers sont rouges ouvrent les festivités sur la grande scène avec leurs chansons à répondre héritées de la tradition québécoise... Et ce genre de chansons, les Bretons connaissent bien. L’ambiance qui règne sur l’immense camping du Festival – des champs aménagés où les tentes s’accumulent comme des champignons colorés depuis la veille – suffirait à en témoigner. Tandis qu ’Alain Lamontagne convertit de nouveaux adeptes à l’art de la podorythmie (néologisme créé pour désigner l’art de taper du pied), la fanfare du Kawa Brass Band, qui rassemble d’excellents musiciens du Rajasthan, explose sous le chapiteau ”cabaret du monde”. Clarinettes, trombones, tubas, des instruments adoptés en Inde dès le milieu du XVIII ème siècle, interprètent un répertoire qui mêle le folklore à la musique classique du nord de l’Inde, pour un résultat détonnant et sophistiqué. Retour à la grande scène avec les Tambours de Brazza, établis en France depuis un an: « On vient de Brazzaville, du fin fond de la forêt équatoriale ». Émile Biayenda, fondateur de la troupe, a promené son magnétophone dans la région forestière des pygmées, au nord du Congo, puis auprès des ethnies Beembé et Loango. Mariés à la batterie jazz et à la basse électrique, les chants et les percussions traditionnelles créent une ambiance du « feu de dieu », dixit un festivalier entré en transe. « On m’a dit que les blancs n’ont pas le sens du rythme. Moi je dis qu’ils ont le sens du rythme mais souffrent peut-être d’un petit problème de circulation. » Le public frappe le rythme en cadence, il fait beau et ça circule bien.

On change de continent avec la Familia Valera Miranda qui joue le son (prononcer ”sonne”) de Cuba, né à la fin du XIXème siècle de la fusion des cultures hispaniques, canariennes, africaines et indiennes. Sur scène, guitares d’antan (une Tres et le Cuatro traditionnel), contrebasse, bongos, clave et maracas. Pour reprendre les mots du ”papa”: ”Le son est un pur produit cubain. Il reflète la musicalité, la vitalité, la soif de vivre des hommes et des femmes qui vivent dans ce pays. Comme eux le son est chaleureux, sensuel, ardent”. A les entendre, on le constate : la France s’éloigne. Elle revient d’une certaine façon au travers du ”safari musical” du camerounais Manu Dibango. C’est le genre d’hommes, par et pour qui, ce festival existe, musicien anthropologue, l’auteur de «Soul Makossa» (1972), le légendaire tube africain, et inventeur de la world musique: ”Je me considère un peu comme un peintre. Les musiques sont mes couleurs et toutes m’appartiennent pour réaliser mes propres tableaux”. L’accueil du public est à la mesure de l’artiste et Denez Prigent cueille une foule très très chaude à la tombée de la nuit pour un superbe show de gwerz électronique qui vous balade entre le drame et la transe. ”Authentique, j’entends les éléphants barir”, commente un festivalier sous l’emprise d’une boucle technoïde dissonante (vision poétique, si, si...). Souad Massi, chanteuse algérienne contrainte à l’exil (elle vit à Paris) enchaîne au ”Cabaret du Monde” pour un très beau concert de rock châabi tandis que, sur la grande scène, la foule ovationne l’ONB (l’Orchestre National de Barbès), avant d’entonner Salam Aleikum (Que la paix soit avec toi. Vient le tour de Touré Kunda, la première formation africaine à s’être imposée en France à la fin des années 70. Leur quatorzième album, Terra Saabi mêle le français, le portugais, le mandingue, le wolof, les rythmes afro, pop ou latinos. Marcel et son orchestre, accoutrés d’étranges déguisements (notamment, un manteau de fourrure, il faut peut-être voir un lien avec leur première revendication scénique : «la suppression immédiate et absolue de la moquette murale») entonnent «On va se rentrer» et sautent dans la foule pour clore la soirée.

Le dimanche, les Bretons des Ours du Scorff – violon, Banjo, accordéon, gadulka, résonances celtiques et cajuns– ouvrent les festivités avec leurs chansons pour enfants qui séduisent aussi les parents. Puis Régis Gizavo (malgache), accordéoniste d’exception, envoûte le public avant le passage de Fania, nouveau symbole de la pop africaine et de Sansévérino, dont la voix cassée excelle dans le registre de la chanson réaliste.

La grande scène résonne sous les assauts de Wock (groupe franco-sénégalais, Lauréat du prix découvertes RFI 2001) – percus africaines, guitares pop, chanteur-griot placés sous les auspices de U2, Sting, Peter Gabriel et... des textes sacrés du Coran. Puis, la foule s’envole pour la Nouvelle-Zélande avec la troupe des musiciens et des danseurs (pagnes, jambières de paille, guirlandes dans les cheveux) de Te Vaka (percussions, batterie, guitares, chœurs), avant de retrouver le Français Tété (d’origine sénégalaise et antillaise), guitariste-chanteur folk aux textes bien léchés (en français et anglais). Le public reste calme durant la prestation de Ray Lema, artiste congolais établit à Paris, formé à la musique occidentale avant de s’intéresser à la culture africaine. ”Pardon d’avoir juste essayé de vous voler quelques sourires”: la world du Finistère Nord de Matmatah suscite en revanche un authentique délire et Kassav’ (à l’origine de la légende du Zouk), trouve un public très amène pour son ”jeu de la communication” (chaînes des mains tendues). Les onze rennais de Percubaba, le nouveau venu de la scène bretonne, ferment le bal sur une ambiance ”grosse teuf” afro beat, reggae, électro, hip hop...

C’est fini, la bruine jette un voile un peu féerique sur le site jonché de gobelets de plastiques blancs, les silhouettes s’éparpillent vers la sortie. ”J’ai vu trois lunes en rentrant au camping, je te jure, c’était trop beau, avec une lumière blanche un peu crépusculaire”. Parole de festivalier – au Bout du Monde, tout est possible.

Cécile Sanchez