UZESTE MUSICAL 2
Uzeste, le 19 août 2001 – Quelques orages ont bouleversé le programme du festival d’Uzeste qui se déroule dans les Landes girondines. Mais le public en général très motivé, a pu tout de même, profiter de spectacles de grande qualité dont Chansons pour éplucher les légumes de la famille Phillips ou Chants Manifhestes d’André Minvielle.
Spectacles sous les chênes centenaires
Uzeste, le 19 août 2001 – Quelques orages ont bouleversé le programme du festival d’Uzeste qui se déroule dans les Landes girondines. Mais le public en général très motivé, a pu tout de même, profiter de spectacles de grande qualité dont Chansons pour éplucher les légumes de la famille Phillips ou Chants Manifhestes d’André Minvielle.
Dans le parc Lacape, sous les chênes centenaires dans la fraîcheur du soir, les festivaliers sont venus jeudi soir pour entendre résonner la voix grave d’Arthur H. qui doit passer vers 23 h. Mais la soirée a déjà commencé avec un conteur pyrénéen René Martinez et s’est poursuivie avec un récital insolite Chansons pour éplucher les légumes interprété par Claudia Phillips au chant, Barre Phillips et David Phillips à la contrebasse. Entre chanson et musique contemporaine, ces douze morceaux ont pour auteur un poète jardinier biologiste, Claude Gudin. Grand amateur de jazz, c’est à Barre, rencontré sur un tournage d’un film de Robert Kramer en 96 qu’il a demandé d’écrire la musique.
Interviewée un peu plus tard, Claudia, fille de Barre et chanteuse nous explique cette démarche particulière qui les a amenés à interpréter ces poèmes. «Nous étions Barre, Claude et moi en résidence artistique au château de la Napoule dans le Midi pour deux sessions d’une semaine. Nous avons travaillé tous trois ensemble à adapter ces textes. Moi, j’avais beaucoup aimé le poème le Phœnix sur les flamands roses que je chante au début du spectacle.» Et la magie opère car Claudia avec sa voix chaude et enlevée, se délecte des mots qu’elle prononce : le mambo du menteur (« il ment, il ment, il ment beau »), le blues de l’aubergine ou les microbiologistes. On la sent prendre un malin plaisir à donner du « Nique la botanique ».
«Ce qui est drôle, dit-elle, c’est que ce n’est pas du tout ma culture. Je suis américaine, mon père aussi. Nous sommes loin de nos références habituelles avec ces poèmes. Et c’est justement ce qui fait l’intérêt de cette aventure.» A la fin du concert, Claude Gudin monte sur scène. Ce septuagénaire fringuant mais un peu intimidé par le public s’excuse presque : «J’ai la maladie de la page folle et la tremblante du porte-plume». La poésie que certains trouveraient un peu ringarde (« Ah ! vous écrivez des poèmes ? »), est ici magnifiée par des compositions de grande qualité. A Uzeste où l’on pratique la diversité artistique sans complexe, on fait la part belle à ce genre de spectacle.
La Compagnie Lubat n’est évidemment pas en reste dans ce domaine. C’est pourquoi nous attendons avec impatience la Nuit des Pères Manants (re-fondateurs tauliers associés) le samedi 18 août avec l’omniprésent Lubat, le maître artificier Patrick Auzier et André Minvielle, les trois associés de la Compagnie. Avec plus d’une demi-heure de retard sur le programme (ce qui en soi est peu, par rapport à ce que nous avons déjà vu !), la soirée démarre donc avec Les Chants Manifhestes d’André Minvielle. Son album Canto ! sorti en 1998, nous avait déjà mis l’eau à la bouche. Béarnais d’origine, Gascon d’adoption, Occitan de cœur, l’homme se dit « vocalchimixte ». Palabreur, tchatcheur, amateur d’onomatopées, chanteur en somme, Dédé Minvielle vocalise, rappe, joue de la batterie. Il cite Monk (Ounba’s) et son ami accordéoniste Marc Perrone. Avec le guitariste qui l’accompagne, Patrick Vieira, il nous concocte un duo délirant avec caisse claire et haut-parleur. Avec lui, la création vocale explose dans tous les sens.
Avant le concert, dans l’après-midi, nous lui avons donné rendez-vous afin qu’il nous explique un peu ses activités. Mais attention ! l’homme dégaine les mots et les idées plus vite que son ombre en citant son grand-père ou Deleuze, au choix. A l’entendre, on l’imagine bien enseigner et transmettre ses connaissances. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans les stages de l’Uzeste Musical, sessions organisées avant le début du festival. «Je m’occupe dans les ateliers de ce qui concerne la pratique vocale.» Avec des expériences atypiques, il amène ses stagiaires vers des espaces artistiques différents. «Nous partons en forêt. Je sépare alors le groupe en deux. Il y a ceux qui écoutent et ceux qui vont se cacher derrière les arbres et chantent. On fait travailler la voix et l’oreille. Pour moi, c’est la mémoire orale. Il faut apprendre à s’écouter les uns les autres.» Et l’environnement devient partie intégrante de la création.
André Minvielle évoque alors les odeurs, les insectes et la flore comme ingrédients de base de cuisine artistique. «Dans les bois, il faut être attentif, comme un animal aux aguets. Dans l’improvisation, il y a cette dimension par exemple. L’anticipation. Travailler sur une partition qu’est la forêt, ça permet de redécouvrir quelque chose qu’on a oubliée, de se perdre et de se retrouver. On se perd, on y va avec son identité, sa culture et on en ressort toujours un peu différent car on se confronte à un écho. Alors que sur scène, on est en représention. Pas dans la forêt.» Dans le Parc Lacape sous ces chênes centenaires qui font office chaque soir de grands protecteurs, Minvielle tente de recréer ses expériences dans la forêt landaise avec le public du festival. L’interactivité fonctionne à merveille et le Minvielle artiste et pédagogue remporte tous les suffrages.
La 24ème Hestejada de las Arts d’Uzeste musical touche à sa fin. Lors d’une conférence de presse publique, Bernard Lubat rappelle que l’avenir de la Compagnie est en péril ainsi que celui d’Uzeste Musical. On se souvient de la grève menée l’an dernier par ses animateurs, soutenus par quelques amis (Agnès Varda, José Bové…) pour interpeller les collectivités locales sur la précarité de ce type de structure. Espérons que Lubat et compagnie parviendront à pérenniser cette manifestation emmenée par des «agitateurs culturels» agités.
Valérie Passelègue