OL. LE MYSTERIEUX

Paris, le 20 août 2001 - Jeune compositeur de trente cinq ans, Ol. signe son premier album, Ce que je tutoie, chez EMI. Un titre peu banal pour cet opus farouchement tendance, qui correspond au parcours complexe de ce sang-mêlé. Une musique inclassable pour l'instant. Un joyau de chanson française, à suivre et à écouter…

Ce que je tutoie

Paris, le 20 août 2001 - Jeune compositeur de trente cinq ans, Ol. signe son premier album, Ce que je tutoie, chez EMI. Un titre peu banal pour cet opus farouchement tendance, qui correspond au parcours complexe de ce sang-mêlé. Une musique inclassable pour l'instant. Un joyau de chanson française, à suivre et à écouter…

Pour Ol., la musique se doit d'être authentique, vraie, soignée. Or, ce qui fonde aujourd'hui l'originalité, réside bien souvent dans la capacité chez l'artiste à se doter d'une image furieusement tendance. Olivier Ngog (son nom dans le civil) en a eu une d'office. Celle d'un poète écorché vif, sorti d'on ne sait où, avec une histoire complexe qui vire vers le Sud, en partant des pays du Nord. Voilà pour la légende, assortie à son physique de beau mec mystérieux au discours mystique et au regard légèrement en retrait. Trouvez plus tendance et on en reparle…

Ol. est un inconnu dans la jungle du beat parisien. Cela peut servir, surtout lorsqu'on a eu Françoise Hardy comme marraine de carrière. Celui que tu veux, duo enregistré sur le dernier album de cette dame 'au goût sûr' (dixit la maison de disques), a fait mousser la légende avant l'heure. Celle d'un jeune auteur-compositeur au talent prometteur, à l'heure du son monolithique, ardemment défendu par les traditionnels apôtres de la variété défraîchie. Les bons producteurs sont toujours à l'affût -on le sait- des bonnes vibrations qui surprennent. D'autant plus que la chanteuse française, complètement séduite, a tenu en plus à interpréter le dit morceau avec son protégé, histoire de mieux marquer le coup de pouce. Avec le temps, on peut dire qu'elle ne s'y est pas trompée, puisque le contrat de la maison EMI a aussitôt suivi. Reste alors le personnage, qui n'a pas l'air d'avoir forcé les portes à s'ouvrir, à cause de son attitude légèrement désintéressée et peu soucieuse de succès sans lendemains. Ol. Est en effet du genre à prendre son temps. Il travaille dans une entreprise de transport marchandises. Ce qui lui donne les moyens de mieux réfléchir à sa musique et de prendre son mal en patience. Le succès viendra à lui. Mais lui, ne lui courra pas après. Il trace cependant bien sa route. Pas une seule erreur de parcours. Toute son histoire d'individu exprime une relative confiance en lui-même, ce qui l'amène à opérer les bons choix, au bon moment.

Etape comorienne

Né franco-camerounais, Ol. baigne très tôt dans la musique. Cependant, il se rend vite compte que l'échec guette tous ceux qui ne bénéficient pas de la bonne connection dans le monde du show-biz. Passionné par les mythes du voyage, source de richesse inépuisable, il part rejoindre un ami aux Comores. Dans cet archipel au destin très peu médiatisé, il s'imprègne de son comme jamais auparavant. Sur place, le public accueille sa voix, mélancolique et douce, avec un certain plaisir. Ce qui finit par le surprendre. Artiste sujet au doute au départ de Paris, Ol. se découvre alors des certitudes et se bricole rapidement des racines de citoyen du monde. Mieux, il se découvre poète sans concessions, avec une petite touche de rebelle assagi qui accompagne l'ensemble de ses textes. Est-ce pour cela qu'on l'entendra chanter le 6 juillet 1995 contre la France impérialiste, lors d'un concert à Moroni, célébrant les vingt ans d'indépendance "inachevée" des Comores ? N'oublions pas qu'il fut rasta, avant de s'engager sur d'autres sentiers musicaux. Par ailleurs, on ne peut se laisser inspirer par la musique du lieu et ignorer la détresse des gens, leur histoire et leurs angoisses. Un point qui laissera le public comorien ému.

En retour, Ol. apprendra à semer de nouvelles graines musicales qui iront doper sa carrière future. A Paris, durant quelques années, il s'était exercé à trouver une âme à sa musique. En vain. Est-ce à cause du stress généré par cette ville, comme l'affirme certains de ses proches ? Ou bien lui fallait-il simplement se transplanter ailleurs pour mieux se retrouver ? Toujours est-il que sur cette terre indianocéane, Ol. trouve son bonheur. La légende dira qu'il a trouvée une âme à sa musique au détour d'une ruelle sombre de la médina moronienne, où il résida plusieurs mois durant à la recherche d'un souffle nouveau pour son répertoire à venir. Archipel aux milles sonorités, surtout situé entre les mondes africains, arabe et occidental, les Comores sont une sorte de laboratoire condensé des musiques de ce monde. Et lui, le sang-mêlé qui était parti du reggae jamaïcain pour nommer la vie, se met alors à ressembler à ce pays. Autrement dit, il finit par embrasser le monde d'une façon plurielle dans ses compositions. Pas de son ghettoïsant, plutôt multiplier les possibilités. Il en résulte dans un premier temps un blues à fleur de peau, résolument acoustique, à travers lequel Sir Ollivier (l'autre nom d'artiste qu'il s'était jadis attribué) n'ambitionne qu'une seule chose : jouer à temps plein son rôle de passeur d'émotions.

Un mélange déroutant

Depuis, il a fait le voyage dans l'autre sens. Il est revenu à Paris pour confronter sa nouvelle essence musicale au marché ambiant. Et de scène de café en séance de studio, il a construit son nouveau tour de chant. Avec cet album qui sonne chanson française, tout en refusant de danser la valse des étiquettes faciles. Il garde une dimension rasta à sa musique, où seuls règnent l'esprit et le combat en réalité. Il emprunte aux traditions musicales africaines, sans jouer aux filles de l'air qui s'abreuvent à toutes les sources pour mieux vendre. Il aligne Brassens, Fela, Billy Holiday sur la même grille d'influences, sans avoir l'impression de se dédire. Il revendique les filiations mais continue à tracer sa propre route. Sa nostalgie apparente ne l'encombre guère. Au contraire, elle lui donne une certaine force au chant. Appelé en renfort, Benjamin Biolay, manipulateur de son surdoué, déjà entrevu aux côtés d'Henri Salvador et de Keren Ann, l'a aidé à sculpter autour de ses mots une ambiance résolument folk, mâtinée d'authenticité urbaine, de bidouillage sadcore et de générosité world, bien que faussement minimaliste dans l'ensemble. Sa musique, autant le préciser, a des allures inattendues. Même lorsqu'il étire sa voix à l'orientale, il bouscule des idées reçues. On aime ou on n'aime pas. Mais il n'y a pas de juste milieu possible. Car Ol. semble globalement inclassable. Que ce soit sur une berceuse comorienne revisitée (Ngaya Duwaan ya Angu) ou sur la reprise d'un vieux tube de Joséphine Baker (J'ai deux amours), il est égal à lui-même, c'est-à-dire déroutant. Au risque de paraître un peu précieux sur les bords. Les textes sont plus que soignés, les refrains taillés au couteau, la rime entièrement soumise. Le message abonde dans l'amour, se veut mystique et cause de mémoire oubliée. Qui a dit que ce n'était pas tendance ? Ce n'est qu'un premier album après tout… Le plus dur reste à venir. En attendant, on recommande un passage de l'album plein de grâce brute et fraîche, qui s'annonce comme une promesse pour la suite. C'est à la toute fin de la plage 13.

Soeuf Elbadawi

Ce que je tutoie / EMI