LE PORTRAIT DU MARDI : MANU CASANA

Paris, le 28 août 2001 - Si la musique électronique française se porte aussi bien aujourd’hui, son succès est certes dû à certains artistes comme Laurent Garnier, Daft Punk, Air ou Bob Sinclar, mais aussi aux organisateurs, patrons de labels ou aux détecteurs de talents... Dans l'envers du décor, rencontre avec Manu Casana, un des pionniers de la techno.

Un nom dans le monde de l'électro

Paris, le 28 août 2001 - Si la musique électronique française se porte aussi bien aujourd’hui, son succès est certes dû à certains artistes comme Laurent Garnier, Daft Punk, Air ou Bob Sinclar, mais aussi aux organisateurs, patrons de labels ou aux détecteurs de talents... Dans l'envers du décor, rencontre avec Manu Casana, un des pionniers de la techno.

Manu Casana : ce nom est incontournable dans la courte histoire de la musique électronique française. Nul n’ignore son parcours, personne n’est indifférent à ce grand gaillard aux allures baba cool et véritable amoureux de toutes les musiques, qu’elles soient électro ou acoustique. Dans les années 70, comme tout fan d’expérimentations musicales, Manu porte haut la crête punk et préfère les guitares saturées à la variété ambiante. "Et puis au bout d’un moment, je ne me retrouvais plus du tout dans le punk qui devenait une musique de mecs qui prennent la pose. Moi, ce que j’aimais dans ce courant, c’était l’énergie et là on tombait dans les clichés genre virtuoses de la gratte. Alors je me suis intéressé au dub, le reggae instrumental. J’ai toujours été très curieux musicalement et en me plongeant dans cette musique, je suis arrivé aux prémices du hip hop donc à la base de l’acid house." Il ne faut jamais perdre de vue que le hip hop et la techno font partie d’une seule et même famille qui utilise les mêmes instruments : boîtes à rythmes, samplers et les fameuses platines vinyles. On parlera même à un moment d’hip house.

Fin 87, Manu Casana ramène de Londres les premières galettes électroniques dont le fameux House Syndicate, produit par le jeune producteur américain, Kenny Dope Gonzalès, qui deviendra plus tard l’un des deux Master At Work. "Un soir à Paris, je me rends sur une péniche à une soirée disco. Vers 4 heures du matin, je demande au DJ si je peux caler un ou deux disques. Il me laisse sa place et au bout de deux titres, tout le monde se lève et danse. Impossible de lâcher les platines. C’est là que j’ai eu le déclic. Un an et demi après, j’organisais ma première rave. Tout ça est très logique. J’ai toujours été attiré par des choses inhabituelles. C’est mon côté catalan, fils d’immigré politique espagnol. J’ai pas mal d’anarchistes dans ma famille, ça doit se ressentir. Quand le côté revendicatif s’est effacé dans le punk pour le côté commercial, j’ai retrouvé dans les acid house party ou les raves le "Do it yourself " qu’avaient oublié les punks. Ce mouvement s’auto-suffisait. Hormis la fabrication des vinyls, nous n’avions besoin de personnes pour organiser les fêtes et faire vivre cette culture naissante."

De soirées obscures, en rave party limitées à quelques centaines d’initiés, Manu Casana organise, défriche, invite les plus grands DJs de la planète. Puis en 1992, c’est le tournant : "L’équipe des Transmusicales de Rennes m’appelle pour me confier l’organisation d’une rave lors du festival. Je peux dire que j’ai vécu là un choc des cultures. Lors de la préparation de la première rave o’trans, les équipes techniques et l’ensemble du personnel du festival, assez rock’n’roll, me surnommait "le petit pédé qui organise une soirée disco". Le soir même de l’événement, j’ai failli en venir aux mains avec un technicien qui refusait de faire son boulot. Le responsable de l’époque a dû, quelques heures avant l’ouverture des portes, réunir tout le staff pour leur rappeler que j’étais l’organisateur et le boss de la soirée et qu’il fallait m’obéir." Ambiance…

"Et puis quand la fête a commencé, le personnel du festival a commencé à appeler ses potes pour leur dire de rappliquer, qu’ils n’avaient jamais vu ça de leur vie. Je crois que ce soir-là a marqué le début d’une autre époque, celle de l’avènement des musiques électroniques. C’est là que le public découvre le label mythique de Detroit, Underground Résistance en live, The Orb, 808 State ou l’année suivante les Nova Nova, Carl Cox et tous ceux qui deviendront les stars de la techno". Il y aura ensuite les 20 ans de Libération à la Grande Halle de la Villette, le seul quotidien à supporter alors cette musique.

Un vieil adage dit "on a souvent tord d’avoir raison trop tôt". Ce fut le cas avec Rave Age, le premier label français indépendant de musique électronique, que fonde Manu Casana. Le public qui n'est alors pas assez au fait de ces nouvelles formes musicales ne suit pas le développement du label. De plus, les majors refusent d’accompagner cette nouvelle scène, n’y voyant qu’une mode passagère. Bien vu, comme d’habitude… Pills, l’une des signatures de Manu Casana, vendra des centaines de milliers de disques, bien plus tard, sur une major.

"Vers 1997, j’étais vraiment dégoûté par le milieu musical français que je trouvais blasé alors que tout était à faire. Je suis parti en Espagne, du côté de Valence où j’ai continué à organiser des soirées techno, avec un public plus ouvert et festif qu’en France." Et voilà Manu Casana de retour en France. Pour l’instant, c’est du côté du jeune label parisien Le Maquis, qu’il apporte son savoir-faire en proposant aux DJs "maison" de jouer dans des soirées.

Après avoir tant fait pour la musique électronique, Manu Casana aimerait retrouver l’esprit d’ouverture et de tolérance présent au début des années 90. Sous quelles formes ? Nul ne le sait pour l’instant, mais ce qui est sûr, c’est qu’on n'a pas fini d’entendre parler de Manu Casana…

Willy Richert