Sergent Garcia enregistre

Ce n'est ni à Madrid, ni à Cuba, ni même à Kingston que Sergent Garcia est parti enregistrer Sin Fronteras. Pour réaliser la majeure partie de ce dernier opus, le soldat de la salsamuffin s'est isolé avec ses musiciens, le guitariste gitan Balbino et Amadou et Mariam aux confins du Pays basque. Perdu dans les Landes, le Studio du Manoir a vibré pendant deux semaines au son de leur salsa-reggae…

Jeux sans frontières en terre basque

Ce n'est ni à Madrid, ni à Cuba, ni même à Kingston que Sergent Garcia est parti enregistrer Sin Fronteras. Pour réaliser la majeure partie de ce dernier opus, le soldat de la salsamuffin s'est isolé avec ses musiciens, le guitariste gitan Balbino et Amadou et Mariam aux confins du Pays basque. Perdu dans les Landes, le Studio du Manoir a vibré pendant deux semaines au son de leur salsa-reggae…

Malgré sa renommée, le Studio du Manoir reste difficile à trouver. Après 45 minutes de route depuis Biarritz, il faut vraiment être guidé pour découvrir le chemin de terre qui serpente entre le tout petit village de Léon et ce manoir du XVIIIeme siècle. Perdu en pleine campagne landaise, loin de tout, et surtout des tracas de la ville, des pressions des maisons de disques et du show-business, cette vieille bâtisse attire néanmoins beaucoup d'artistes connus. Avant Sergent Garcia, Zebda, Tryo, Noir Désir, Dolly ou encore Faudel ont eux aussi choisi de jouer au milieu des pins, à deux pas de l'ancienne résidence d'été de feu François Mitterrand.

Si la perspective de disposer 24 heures sur 24 d'un immense studio équipé d'une table dernier cri séduit les producteurs, les 1500 hectares de jardin, la piscine, le billard, la salle TV, la Playstation, et surtout l'accueil de tradition basque, marquent aussi la mémoire des artistes… C'est donc dans l'atmosphère Euskadi de ses racines et à quelques kilomètres de son Espagne tant aimée que le Sergent Garcia a entraîné ses onze musiciens et l'ingénieur du son, Renaud Letang (réalisateur des albums de Manu Chao déjà présent sur le précédent opus de Sergent Garcia) pour concocter la plupart des titres de Sin Fontreras.

Pour le Sergent, le choix de ce studio particulier se justifie d'abord par sa grande superficie qui permet aux nombreux musiciens de jouer tous ensembles dans une seule et même pièce " car les arrangements se font souvent sur le vif " explique Bruno, alias Sergent Garcia. L'isolement landais du groupe permet aussi un travail plus rationnel. " Enregistrer dans ce cadre, c'est évidemment confortable et sympathique, mais c'est surtout l'assurance de trouver les musiciens au moment où on a besoin d'eux. Lorsque l'on réalise un album avec une quinzaine d'artistes, cela évite que l'un arrive en retard ou que l'autre ait rendez-vous avec son banquier ou le plombier ! Là, au moins on vit tous ensemble" sourit Bruno. Du coup, l'album prend forme dans une ambiance de vie commune, de convivialité et de complicité proches de celle des tournées. Après New York, Cuba, Madrid, Porto Rico, l'Italie, la France ou Los Angeles, dans ce manoir landais les musiciens se souviennent encore de leurs concerts en regardant défiler les images qu'ils ont eux-mêmes tournées au caméscope. Souvenirs, souvenirs de tant de frontières traversées.

Préparé et mitonné au fil des nuits et des jours, l'album se construit avec un autre rapport au temps qu'à Paris. Les chansons sont enregistrées entre joyeuses jam sessions, rigolades et discussions tardives. Logés dans une maison juste en face du studio, les musiciens ne se privent pas de prolonger les sessions jusqu'à l'aube, juste pour le plaisir ou pour perfectionner quelques accords. Vers trois ou quatre heures du matin, Bruno Garcia chante encore avec Ivan Montoya, Vincent Jogerst ou Pierre-Luc Jamain. Quelques mesures d'ivresse musicale en version rumba, son, ragga ou simplement un petit bœuf pour le plaisir de taper les percussions. Au fil de l'album, on ressent d'ailleurs "l'effet secondaire" de ces fiestas improvisées qui reflètent bien la spontanéité et l'énergie délivrée sur scène par Sergent Garcia et son groupe, Los Locos Del Barrio.

De l'Euskadi au bambara

Même si le manoir n'est situé qu'à quelques minutes de la mer, les pluies basques de ce mois de décembre attirent plus les salseros vers l'âtre de la cheminée que sur le sable landais. Mais Sergent Garcia oblige, le soleil musical est bien au rendez-vous dans le studio et dans les bagages des quelques invités de cet album.

Pour El Sergento, sans frontière rime avec sans manière. C'est donc véritablement en amis que Bruno reçoit ses invités du monde au Manoir. Plus guest que star, Balbino, un guitariste-chanteur gitan rencontré sur les routes, est venu apporter sa touche manouche et sa guitare enivrante. Le lendemain, le duo malien formé par Amadou et Mariam fraîchement débarqués de Bamako en boubous africains, parsème de jaunes et de bleus vifs le vert émeraude de la campagne basque. Bruno leur donne le bras et guide le couple d'aveugles dans le studio. Il leur décrit patiemment les lieux, leur montre les instruments et les installe devant les micros. Casque sur les oreilles, insensibles à tout ce qui se passe autour d'eux, Amadou et Mariam se lancent alors dans des vocalisent incantatoires en bambara et en français. " Donnons-nous la main " reprennent-ils en chœur avec Bruno. Un zeste de magie africaine s'installe alors dans le manoir … "On est vraiment content de jouer ici avec Sergent Garcia", résume Amadou entre deux averses. "Nous aimons beaucoup Bruno. Lorsque l'on s'est rencontré dans un festival en France, nous avons tout de suite eu un bon échange. Chanter avec lui, ça nous permet de toucher à d'autres styles, même si en Afrique nous avons toujours été bercés par le son cubain, le cha cha, la patchanka, etc. "

Entre deux sessions, la visite de quelques amis le week-end ou une séance photo, un des rituels du studio du Manoir reste le repas gastronomique assuré par Bernard, l'un des meilleurs "cuistot" de la région. " Bernard doit être le cordon bleu français qui a le plus de dédicaces sur des albums !" souligne Bruno en servant le plat du soir, des filets de perche au chutney de mangue. Magrets de canard, recettes basques et exotiques, lapin chasseur, et autres délices servis au Manoir sont d'ailleurs consignés quotidiennement sur le carnet du chef qui ne sert pas deux fois le même mets à un artiste. (Ce carnet témoigne de ce que les meilleurs musiciens français du moment ont pu manger pendant la genèse de leurs albums…)
Même si la maison de disques est loin, la table bonne et l'ambiance très chaleureuse, le sympathique Sergent et son régiment n'ont cesse de travailler pour graver quelques joyeux titres dans ce studio l'acoustique irréprochable, avec aux manettes Renaud Letang toujours frais et dispo. Encore une histoire ou la frontière entre amitié, musique et professionnalisme est difficile à cerner.

Elodie Maillot

Demain retrouvez l'interview de Sergent Garcia dans le Petit Journal

Sergent Garcia Sin Fronteras (Labels/Virgin)

Sergent Garcia Sin Fronteras (Labels/Virgin)