Sergent Garcia
Alors que les fans se délectent encore de Un Poquito Quema'o (sortie en 99), Sergent Garcia revient avec un nouvel album Sin Fronteras (Labels) toujours aussi entraînant où son salsamuffin s'enrichit des quelques mélodies maliennes et gitanes. Toujours entouré de la même équipe de cinglés (Los Locos del Barrio), Bruno Garcia signe là son meilleur album à la pointe de son micro.
Il joue sans frontières.
Alors que les fans se délectent encore de Un Poquito Quema'o (sortie en 99), Sergent Garcia revient avec un nouvel album Sin Fronteras (Labels) toujours aussi entraînant où son salsamuffin s'enrichit des quelques mélodies maliennes et gitanes. Toujours entouré de la même équipe de cinglés (Los Locos del Barrio), Bruno Garcia signe là son meilleur album à la pointe de son micro.
Quand on écoute ce nouvel album, on s'aperçoit que tes influences musicales vont bien au-delà de la simple salsa et du raggamuffin.
C'est vrai, c'est lié au fait qu'il y a beaucoup de musiques qui se jouent aux caraïbes. C'est-à-dire le reggae, la salsa, le raggamuffin, mais aussi la funk et beaucoup de musiques noires venues d'Afrique. Avec Sin Fronteras, on a essayé de mélanger tout cela avec des influences africaines, de la salsa et des airs flamencos.
Toi qui es d'origine espagnole, tu expliques dans certaines interviews que cette musique a longtemps été mise sous l'éteignoir en Espagne.
C'est un pays qui a vécu pendant quarante ans sous la dictature franquiste et à la sortie de cette dictature, les Espagnols se sont jetés dans le rock. Ils avaient, je pense, besoin de cette énergie et de cette révolte que véhicule le rock. Et sous la dictature franquiste, on n'écoutait évidemment pas la salsa cubaine. C'était une musique qu'on écoutait dans les milieux dits progressistes.
Et toi, comment as-tu découvert la musique cubaine ?
Par mes parents qui passaient beaucoup de musique latino à la maison. Je trouvais ça pas mal. Mais c'est toujours la même chose, à quinze ans on a besoin de se démarquer des goûts de ses parents. C'est comme ça que j'ai acheté mes premiers disques de punk et de rock : les Clash, les Sex Pistols. Avec des potes, on a monté Ludwig Von 88 et en même temps que Ludwig, j'ai commencé à travailler avec des groupes de rap comme Timide et Sans Complexe ou des groupes de reggae. Ainsi, petit à petit, je suis revenu aux racines de la musique des Caraïbes et j'ai redécouvert la salsa. J'avais envie de retrouver la trace de mes origines hispaniques. Du coup, j'ai commencé à fréquenter un milieu qui était assez underground à Paris avec des groupes de salsa, en écoutant des émissions de radio spécialisées… C'est par la salsa que j'ai découvert qu'il y avait un métissage et une combinaison parfaite entre beaucoup de musiques. La musique américaine et les influences du jazz, la musique africaine et les rythmes funk, la musique espagnole très riche en mélodies. Cela m'a énormément intéressé. Et une fois que tu es pris là-dedans et ben… Crack ! Tu y passes en entier…
Il faut dire que depuis quelques années la musique latine connaît un succès énorme et international. Il y a des Japonais qui dansent sur Ricky Martin le samedi soir en boîte.
Avec le groupe, nous voulons montrer qu'entre Compay Segundo et Ricky Martin, il y a tout un monde qui s'intéresse et s'inspire de la musique latine. C'est ce qu'on appelle la fusion à Cuba. En France, il y a de plus en plus d'artistes comme Manu (Chao), P18 ou moi. C'est le même cas en Espagne avec des groupes comme Paranoïa. Et on se retrouve un peu tous dans ce même mouvement de fond.
On ne fait pas que de la musique cubaine. On la mélange avec toute la musique qu'on peut entendre aussi ici, en France. C'est le cas de ma génération et peut-être encore plus des jeunes qui ont été habitués à écouter de la musique venue d'Asie, d'Afrique, d'Amérique du Sud, des groupes de raï, des Tarafs de Haïdouk ou que sais-je encore ? On est aujourd'hui dans une société en pleine mutation au niveau de la population qui la compose. Nous sommes les enfants de gens qui sont venus travailler en France des quatre coins du monde. On porte leur héritage culturel et donc musical et on le mélange à celui de nos potes d'origine roumaine, kabyle, géorgienne ou chilienne. Cette double culture, on l'a en nous et on la revendique.
Vocalement, comment passe-t-on de la musique braillarde des Ludwig à une diction et un flow plus saccadés comme celui de Sergent Garcia ? La transition doit être difficile non ?
(rires) Ben, c'est vrai que mon style de chant vient clairement du sound system. Il vient de ce que je faisais avec Bawawa Sound System, avec Timide et Sans Complexe. Et cela m'a inspiré pour chanter sur de la salsa. Au départ, je faisais du ragga sur de la salsa. Ensuite, je me suis plus mis à chanter et à mélanger les deux styles. Si tu veux, au départ avec le punk, on sautait comme ça (il saute sur place), en pogotant et ensuite avec la salsa, on a plus travaillé le déhanchement et chaloupé du bassin (rires). Mais l'énergie reste la même.
Sur Sin Fronteras, il y a un très beau trio avec les Maliens Amadou et Mariam.
Je connaissais leur disque et j'avais vachement accroché à leur sensibilité, à cette manière si simple et en même temps si poignante de chanter. Ce côté blues rock pour un groupe africain, c'est assez surprenant. Et puis on s'est rencontré au Printemps de Bourges et on a pensé faire une collaboration. Au cours de nos essais, on s'est rendu compte que certaines chansons enfantines que chantaient mes musiciens cubains étaient aussi connues à Bamako. Cela date de l'époque de l'esclavage. Les mélodies ont traversé l'Atlantique et le temps. C'était marrant de voir un Cubain chanter la même chanson qu'un Malien, sachant qu'ils ne se connaissent pas et qu'ils vivent à des milliers de kilomètres de distance.
Il y a également un titre plus flamenco avec un guitariste qui t'est proche.
Resiste me est une chanson que j'ai faite avec Balbino qui est mon prof de guitare, un gitan. J'avais envie de faire une sorte de rumba gitane. On retrouve à Cuba cette influence gitane. Il y a un grand chanteur de rumba catalane, Peret, qui est une star là-bas. Toutes ses chansons sont connues et se chantent dans la rue. J'avais donc envie de faire une chanson qui s'inspire un peu de cela avec du son, du ragga et de la rumba gitane.
Tu as joué à Miami où il y a une forte communauté cubaine. Est-ce que ce n'est pas paradoxal de jouer devant des Cubains qui ont été obligés d'émigrer ?
Tu sais, on chante pour tous les Cubains, ceux qui sont dedans, ceux qui sont dehors. On joue pour les gens, on ne joue pas pour un système politique. On est un peu mal placé, nous Occidentaux, pour parler et juger ce qui se passe là-bas. Et quand tu discutes avec les gens à Cuba, tu réalises que les opinions sont extrêmement variées. C'est comme en Afrique, on est mal placé après ce qu'on a fait dans les anciennes colonies pour maintenant juger du système politique de tel ou tel pays. Il faut faire attention au poids des mots et à leur signification. Je chante pour la dignité humaine, pour la liberté de tous. Le propos de notre musique, c'est d'apporter de la joie pendant nos concerts mais aussi d'exprimer une part de notre rage. Là aussi c'est universel. Ça fait du bien de voir lors des tournées, que ce soit en France ou à l'étranger, qu'on n'est pas tout seul dans ce cas et qu'on est sans frontières.
Le problème de Babylone, il est à Cuba, mais il est dans tous les pays…
Sergent Garcia Sin Fronteras (Labels) 2001