MUSIQUES DU SUD À BEYROUTH

Beyrouth, le 18 sept. 2001 - Dans le cadre du IXe Sommet de la Francophonie organisé à Beyrouth, le Liban a proposé du 5 au 15 septembre, le tout premier festival itinérant des Musiques du Sud. Afrique, Moyen Orient et même Québec étaient à l'affiche de cette fête qui s'est délocalisée dans diverses villes du pays.

Retour sur les temps forts du festival libanais

Beyrouth, le 18 sept. 2001 - Dans le cadre du IXe Sommet de la Francophonie organisé à Beyrouth, le Liban a proposé du 5 au 15 septembre, le tout premier festival itinérant des Musiques du Sud. Afrique, Moyen Orient et même Québec étaient à l'affiche de cette fête qui s'est délocalisée dans diverses villes du pays.

Le soir de l’ouverture du Festival des Musiques du Sud, sur le site des Thermes Romains au centre ville de Beyrouth, la lune était tellement proche qu’elle paraissait faire partie de la scène. Les membres du premier groupe programmé, les Soap Kills (qui remplacèrent les Gabonais Prosper Ze, accidentés), sont des enfants de cette ville défigurée qui porte un masque pour cacher ses plaies. Ils la dévoilent inconsciemment parce qu’elle fait partie d’eux. Yasmine Hamdane, chanteuse du groupe, prit le micro. Sans accompagnement, elle chanta les trois premières strophes d’une chanson d’Asmahane, légendaire figure disparue de la chanson égyptienne. Petit à petit, la musique se tissa. Une flûte, puis un saxophone et finalement le rythme électronique agencé par Zeid Hamdane derrière son ordinateur, donnèrent un trip hop très oriental.

Un peu plus tard, les Gangbé Brass band du Bénin, habitués à se produire en concerts ambulants se déroulant sur 2 km, ont été entendus avant d’être vus. Dans cette véritable caravane musicale qu'est ce festival itinérant, le Gangbé a une place de choix. Monté sur scène, chacun des dix membres du groupe joua d’une percussion métallique. Un rythme qui fit place aux cuivres, saxophones, trompettes, trombones et euphonium (le plus petit tuba). Jazzmen à la base, les Gangbé jouent une musique qui en reprend la structure, l’instrumentation, en y fusionnant rythmes traditionnels yoruba. Bien difficile de rester insensible à ces rythmes hypnotiques.

Improvisations

L’organisation du festival a permis que certaines rencontres musicales aillent au-delà du partage de la même scène, à des improvisations. Mais une rencontre entre le Gangbé Brass Band et Karika, puisqu'ils ont les percussions et le jazz en commun, aurait été une bonne idée.

En revanche, le groupe Karika, et son new age orientalisant, fut programmé en même temps que Secteur B, un groupe de rap libanais. Lors de leur concert au centre ville de Beyrouth (dans un ancien amphithéâtre criblé de balles et souvent converti en salle de spectacle), Karika et Secteur B ont été encouragés à improviser ensemble à la salle La Bulle de Beyrouth. Le résultat fut un bon rythme drum'n’bass portant très loin l’énergie débordante des rappeurs et de l’artiste du scratch de Secteur B. Malheureusement, ce concert eut lieu le 12 septembre, le lendemain des événements américains. Le public ne compta qu'une trentaine de personnes.

Mais Karika a aussi joué sur la place de la municipalité de Jounieh, au Nord de Beyrouth, le 13 septembre. Sur cette scène, la musique de Karika reprit une certaine liberté. Les quatre musiciens improvisèrent des solos. André Segone offrit un groove très funky sur sa basse. Nidal abu Samra insuffla imperceptiblement une âme mélancolique à travers son saxophone tenor. Kabalan Samaha joua de sa guitare électrique avec beaucoup de poésie, laissant presque entendre une flûte de pan soufflant par-delà la cordillère des Andes. Et lorsqu’on s’était bien installé dans ces mélodies aériennes, le percussionniste Ramzi Khattar nous ramena à la réalité, à l’origine, aux pulsions primordiales, le rythme ouest africain de son djembé entrecoupé par le son de sa derbaké – pour deux mains, deux instruments, et deux autres avec les pieds. Le public parut apprécier ce moment de virtuosité instrumentale.

Suivit le même jour, Secteur B (B comme Beyrouth) dont la voix fut portée par trois rappeurs, un scratcher et un break dancer. Avec une ouverture reprenant l’hymne national libanais en percussions vocales, l’attention du public fut vite saisie. Dans la foulée, le groupe lança un rap très politique, critiquant le manque de respect de la police envers les Droits de l’Homme et condamnant un système qui favorise et encourage la division d’un peuple qui n’y gagne rien. Indéniablement, Secteur B s'identifie à toute sa ville, Beyrouth, ses quartiers, ses habitants. La rue de Jounieh est bondée. Tous les passants, sans exception, s’arrêtent pour écouter ces jeunes gens exprimer si courageusement leur refus des injustices. Secteur B les encourage à s’exprimer, à “aboyer”, à lutter contre le silence, contre l’obsession de notre vie quotidienne par les conflits régionaux et les intérêts des super puissances. “On ne vit qu’une fois, il faut vivre uni”, tel est leur slogan. Une certaine réflexion politique mais un manque d’innovation musicale.

Entre Montréal et Dakar

De retour à Beyrouth, la soirée de clôture eut lieu en bord de mer, sur la terrasse de l’hôtel Riviera. Il est 21 heures et les Québécois de Lili Fatale ouvrent le concert. Sur la scène, perchée un peu au-dessus de l’eau, le souffle marin porta la voix chaleureuse de Nathalie Courchesne. Le public tomba vite sous le charme… Le bonheur semblait alors si simple et les paroles si vraies. Un prélude sur derbaké ranima le public, Nathalie dansa, nous en donnant aussi l'envie. Comment résister à une fusion si généreuse entre mélodies orientales et trip hop ?

Le groupe montréalais repartit avec un autre très bon souvenir, celui de leur concert à Nabatieh où l’accueil fut enthousiaste. Un public de 1000 personnes fut charmé par ces trois jeunes musiciens qui ont tellement fait pour partager leur culture avec eux, et sont venus de très loin jusqu’au sud du Liban récemment libéré, pour le faire. Ce public a su apprécier Lili Fatale et ce fut réciproque. Le bassiste Uranian Valcéanu déclare, à leurs hôtes de Nabatiyeh revenus les voir à la soirée de clôture, “On vous aime”.

La deuxième partie de la soirée de clôture, le 15 septembre, fut assurée par le Sénégalais Omar Pene. Une trentaine de femmes sénégalaises, travailleuses à domicile au Liban, se sont depuis quelques semaines, déjà procuré les billets du concert pour voir le chanteur et son Super Diamono (“génération” en wolof) de Dakar, issu de la génération qui, dans les années 80 revendiquait l’identité, la culture et la langue wolof. A leur tête Omar Pene, parlait du chômage, de la corruption, des méfaits de la polygamie, de l’oppression, et glorifiait les femmes, les mères. Vous pouvez imaginer l’enthousiasme de ces femmes, travaillant à l’étranger pour nourrir leurs familles au Sénégal, de retrouver ainsi leur frère.

Une belle clôture pour un festival où différentes inspirations, différents rythmes, différentes expériences musicales et instrumentales, différentes langues ont essayé d’exprimer le même message humain, humaniste, et qui montre que la musique est un langage universel, peut-être le seul qui puisse réunir une telle diversité.

May Kassem

Sommet de la Francophonie