La voix d'El Hadj N'Diaye
La musique parfois n'est qu'un prétexte pour rêver d'un monde meilleur où le partage avec son prochain est une nécessité. Ce n'est pas une parole d'évangile, c'est juste le résumé un peu succinct de la trajectoire d'un artiste sénégalais. El Hadj Ndiaye vient de sortir Xel, son nouvel album. Mais vouloir le réduire à ce seul champ d'expression serait une erreur.
Ou le parcours d'un homme polyvalent
La musique parfois n'est qu'un prétexte pour rêver d'un monde meilleur où le partage avec son prochain est une nécessité. Ce n'est pas une parole d'évangile, c'est juste le résumé un peu succinct de la trajectoire d'un artiste sénégalais. El Hadj Ndiaye vient de sortir Xel, son nouvel album. Mais vouloir le réduire à ce seul champ d'expression serait une erreur.
Membre depuis longtemps d'Enda Dakar, une ONG engagée dans le développement, il vient de lancer le premier studio à visage humain de la région. Une occasion pour nous de parler de l'industrie musicale à Dakar, avec un homme qui préfère miser sur le talent et la reconnaissance future de ses artistes, plutôt que de les dépouiller dans une perspective "mercantiliste". Le commerce n'est pas tout. Inventer une alternative pour une scène musicale complètement étouffée par la seule puissance du mbalax sur les pistes de danse est un enjeu qui l'intéresse davantage. Entretien.
Que raconte ce nouvel opus ?
Cet album traite du thème de la raison. De la raison d'une manière générale, mais il faudrait peut-être l'éclater, parce que Xel traite aussi de beaucoup d'autres sujets. Ainsi, il y a pleins d'adages de la société wolof qui sont là-dedans. Par exemple, il y a une phrase dans Xel où je dis "nax sa dolle tëcu ngi ci", c'est-à-dire : surestimer sa force peut parfois nous mener en erreur. Xel symbolise en fait une certaine maturité. J'aborde certains thèmes du quotidien. Mais c'est vrai qu’il est beaucoup plus spirituel. Peut-être que c’est une coïncidence mais mes différents albums suivent une logique.
J'ai d'abord sorti un premier album, dont le titre signifiait la solitude (Wéet). Le titre du deuxième voulait dire la voie (Yoon wii). Le troisième parlait de combat (Xaré) et le quatrième de relever la tête (Siggi). Avec ce sixième album, les titres donnent l’impression de dire que c'est dans la solitude qu'on peut trouver la voie et qu’il faut combattre pour relever la tête. Le cinquième album (Thiaroye) concernait le quartier populaire par excellence de Dakar. Quand on parle de Thiaroye, tout le monde frissonne, parce que c'est le repaire des brigands. Ayant grandi dans ce quartier-là, il est absolument évident que le vécu quotidien de ses habitants ne me laisse pas indifférent.
Le poète engagé veille toujours sur son monde. Sur le titre Xalé Bi par exemple, vous parlez de la dure condition des enfants de rue, avec des références au Rwanda ou à la Guinée Bissau…
En fait, la chanson Xale Bi est née un soir vers minuit. Je me suis arrêté dans une station d'essence et des enfants sont venus autour de moi. De tout petits enfants, cinq à neuf ans maximum. Ils formaient un groupe. Certains venaient de la Mauritanie… Vous savez, il y a quelques années, il y avait un problème entre le Sénégal et la Mauritanie. Et la Mauritanie en avait profité pour faire une sorte "d'épuration". C'est-à-dire que toute la population noire a été déportée de l'autre côté du fleuve Sénégal. Ils étaient alors devenus des réfugiés. Avec des enfants et des familles qui vivent dans la misère la plus totale. Et ces enfants, il y en a qui disparaissent et qui se retrouvent à Dakar. Après la guerre en Guinée Bissau aussi, il y a eu des enfants qui sont partis… Ce sont tous ces enfants-là qui se retrouvent aujourd'hui dans les rues. Il y a même des enfants qui viennent du Rwanda. C'est quelque chose qui ne pouvait pas me laisser indifférent. Il y a aussi le fait que mon plus grand public est un public d'enfants. J'aime chanter avec les enfants et pour les enfants.
Votre musique chante en permanence contre l'oppression, contrairement à certaines tendances du moment qui privilégient les pistes de danse ?
Vous savez au Sénégal, il y a une forme rythmique qui s'appelle le mbalax, qui est le plus connu et le plus dansé. Pendant des années, on a favorisé ce type de musique parce qu'on oublie assez souvent les problèmes quotidiens quand on danse. Je pense aussi que les gouvernements ont utilisé les artistes pour étouffer parfois ce qui peut les déranger. Donc dès le début, j'ai, comme d'autres artistes, développé une autre forme de musique beaucoup plus calme, qui est plutôt une musique d'écoute et qui essaie de poser les vrais problèmes. Celui, par exemple, de la Casamance dans Xel. Il y a la guerre là-bas depuis vingt ans.
Vous voulez dire que le mbalax ou l'afro-pop serait plutôt commercial, avec des artistes qui se désintéressent du quotidien des Sénégalais ?
Jusqu'à une certaine époque, il est indéniable que cela s'est passé comme ça. Au début aussi, la plupart des artistes faisaient des chansons laudatives. Ils chantaient pour des gens qui leur donnaient des sous. Mais il y a une nouvelle tendance qui se dessine. On a entendu Youssou N'dour récemment parler de problèmes de coupures d'électricité dans sa musique… A tel point que j'ai même lu dans un journal : "Youssou N'dour, la voix des sans voix". C'est bien. Si des superstars comme lui commencent à poser les vrais problèmes de la société sénégalaise, ça ne peut que permettre d'aller de l'avant.
Parallèlement à la sortie de l'album, vous vous occupez d'un studio d'enregistrement…
Tout à fait. On a même eu la chance d'enregistrer ces derniers temps quelques têtes d'affiches. Des artistes qui ont toujours été engagés. Je pense au Sénégambien Moussa Ngom notamment. Son album a été justement l'une des meilleures ventes de Dakar depuis quatre mois déjà. Il y a aussi un autre jeune rappeur qui commence à faire parler de lui, Pacotille. Il y a surtout des jeunes talents.
Ce studio, nous l'avons créé pièce par pièce. C'est tout ce qu'on gagnait dans les concerts qui a permis son existence, une grande partie de l'argent a été réinvestie dans du matériel. Ça a été long, ça a été dur. Mais l'essentiel, c'est qu'on en arrive là maintenant. Et je suis absolument sûr que ça peut contribuer à faire connaître beaucoup de choses sur nos cultures. Il y en a qui font de la musique un véritable instrument de commerce. Nous, ce que nous voulons, c'est valoriser toute cette diversité culturelle. Ce n'est pas le volet commercial qui nous anime le plus.
Batou Siggi, le nom du studio, signifie "la voix de ceux qui veulent relever la tête". S'agit-il pour vous d’offrir aux jeunes artistes les meilleures conditions d'enregistrement au moindre coût ?
On a enregistré une quarantaine de groupes depuis que le studio existe. Les coûts d'enregistrement sont effectivement très bas. Mais on a aussi enregistré beaucoup de groupes gratuitement. Ce sont des jeunes qui n'ont pas la possibilité de quitter leur banlieue pour venir en ville, parce que le transport leur manque. Je me vois mal leur demander de payer. A Dakar, la journée de studio vaut entre 1000 et 1500 FF. Dans certains studios, cela peut aller jusqu'à 2000/ 2500 FF. Mais nous, on ne coûte que 200 FF francs la journée. Et personne ne peut plus douter de la qualité. Si Moussa Ngom, qui a enregistré des reprises, a vendu autant d'albums ces derniers mois, c'est aussi grâce à la qualité de nos enregistrements.
Est-ce une dynamique d’un genre nouveau pour le Sénégal ?
Je pense. D'autant plus que ce studio est beaucoup plus que cela. Il doit permettre de montrer toute la diversité culturelle et artistique du Sénégal. Il n'y a eu qu'une seule forme de musique (le mbalax) qui a été favorisé jusqu'alors. La production locale est centralisée au niveau du plus grand marché dakarois, le marché Sandaga. Et justement, les producteurs qui sont là-bas, eux, ne s'intéressent qu'à certaines formes de musique. Ces producteurs sont souvent des gens qui n'ont que l'expérience de l'argent. Ce qui les intéresse, c'est d'injecter vite des sous pour en tirer le maximum tout de suite. Donc ils s'en foutent de ce que ça peut apporter comme évolution sur la scène musicale. Ce studio va donc aider à mieux connaître peut-être le paysage musical sénégalais. Et ce sera d'autant plus facile que ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les intérêts immédiats, ni les sous que ça peut engendrer de suite. Mais c'est plutôt tout ce qu'on peut partager avec le reste du monde.
Xel /El Hadj Ndiaye (Siggi musique/ World Village/ Harmonia Mundi)