Bojan de A à Z
A coup sûr, Bojan Zulfikarpasic (prononcez Zoulfikarpatchic) frôle de plus en plus l'entrée au club des grands pianistes jazz. Après trois albums en quartet ou en version plus large, le musicien né à Belgrade en 1968, s’exerce au solo avec Solobsession, un album de reprises, les siennes et celles des autres (Ornette Coleman, Sonny Rollins ou Henri Texier). Rencontre avec un artiste inspiré et captivant à l'avant-veille de son concert parisien au Café de la Danse.
Un jazzman obsédé
A coup sûr, Bojan Zulfikarpasic (prononcez Zoulfikarpatchic) frôle de plus en plus l'entrée au club des grands pianistes jazz. Après trois albums en quartet ou en version plus large, le musicien né à Belgrade en 1968, s’exerce au solo avec Solobsession, un album de reprises, les siennes et celles des autres (Ornette Coleman, Sonny Rollins ou Henri Texier). Rencontre avec un artiste inspiré et captivant à l'avant-veille de son concert parisien au Café de la Danse.
Le solo, est-ce vraiment une obsession pour un instrumentiste ?
(Rires) Oui et non, disons que j’ai mis pas mal de temps avant de trouver la formule satisfaisante. Effectivement, pour moi, c’est un cycle assez obsessionnel d’autant plus que j’ai fait l’enregistrement avec seulement l’aide et la présence unique de l’ingénieur du son Philippe Tessier du Cros et j’ai passé un mois à fouiller dans les six heures de bandes pour trouver les morceaux avec lesquels je serais en «accord». Le mois en question fut assez pénible à vivre pour moi et mes proches parce que j’avais vraiment la tête prise par ces morceaux. C’était un problème de distanciation entre le musicien et l’auditeur que j’étais, l’un ou l’autre n’étant jamais content au même moment. D’où le titre : Solo-bsession !
C’était votre premier exercice en solo ?
Abouti à ce stade, oui. Il y a environ cinq ans, je me suis trouvé sur un terrain inconnu et pas à l’aise en solo, lors du festival d’Amiens où j’avais carte blanche. J’étais extrêmement nerveux, mes jambes sur les pédales étaient comme du coton. Il faut dire que j’ai abandonné très tôt l’idée d’être un concertiste classique. J’étais un peu choqué lors de mon premier concert seul, mais c’est en pratiquant qu’on acquiert la maîtrise des silences, de l’espace.
Lors de l’enregistrement, la musique est un terminal dans lequel on peut envoyer et recevoir de l’énergie. Dans un cas comme dans l’autre, il faut qu’elle soit bonne. D’où l’importance pour moi de jouer de la manière la plus relâchée et relax possible.
Est-ce que, dans ce cas de l’enregistrement solo, l’absence d’autres instruments permet de juger de la qualité d’écriture, de composition d’un morceau ?
Quand je compose, je pense pas mal aux autres instruments. J’entends bien les lignes de basse, la rythmique de la batterie, les harmonies… Par la suite, la difficulté est de ne pas tomber dans le piège du piano solo qui est de tout matérialiser musicalement. C’est vraiment le piège de cet instrument qui peut remplacer tout un orchestre. Il ne faut pas tomber dans ce travers, parce qu’il ne reste guère de place à celui qui écoute pour saisir les nuances, les sous-entendus. Et moi, lorsque j’écoute un piano solo, ce sont ces enregistrements qui me plaisent le plus.
Justement, quelles sont vos références discographiques en matière d’exercice solo ?
Il y en a trop beaucoup trop. Le piano est sans doute l’instrument qui a suscité le plus d’enregistrements en la matière…
Vous citez régulièrement Duke Ellington dans vos références…
Duke Ellington est quelqu’un qui me fait énormément de bien lorsque je l’écoute. C’est tout simplement sa générosité, la simplicité apparente de son jeu mais aussi cette profondeur incroyable et toujours inégalée de son style qui m’émeuvent.
Vous avez joué avec énormément de musiciens français mais aussi le flûtiste bulgare Krassen Lutzkanov, le bassiste serbe Vojin Draskoci, le guitariste macédonien Vlatko Stefanovski. A quoi correspondent ces derniers choix ? A une affinité géographique, une complicité artistique ou une facilité linguistique ?
Avant tout, ce sont des affinités artistiques. Le prétexte et la raison pour laquelle, je les ai choisis, c’était surtout et avant tout pour leur qualité musicale et leurs capacités d’improvisation. Mais il est vrai qu’en plus, leur connaissance de la musique de l’Europe de l’Est facilitait les choses lorsqu’on y faisait référence dans notre jeu. Mais rassurez vous je ne suis pas à la tête d’une «yougoslave connection», je peux le jurer ! (rires)
Avez–vous néanmoins l’impression d’être une tête de pont pour les musiciens de jazz de l’Europe de l’Est comme le batteur Aldo romano a pu permettre a beaucoup de musiciens italiens de percer à Paris ?
Je ne sais pas très bien. D’autant moins que déjà beaucoup de musiciens d’Europe centrale étaient là avant moi. Ceci dit, à mon arrivée en France, j’ai reçu énormément d’aide de la part de musiciens tels que Julien Lourau ou Henri Texier. Par la suite, c’est certainement à moi de faire la même chose. Je suis tout à fait conscient de "l’image" du pays que je représente quand même un peu. Je l’assume, mais surtout j’espère que je l’assume bien. (Rires)
Pour finir pourriez-vous nous expliquez ce qu’est la sevdah qui baigne votre style musical ?
La sevdah, c’est l’émotion mélangée avec la nostalgie et une bonne énergie. Quelque part, cela peut me faire penser au blues. D’autres, la compareront à la saudade cap-verdienne... Elle rejoint la palette émotionnelle que j’essaye de communiquer par la musique et qui reste, dans un très large registre, une émotion forte, une colère forte une joie intense. Quelque part, je pense que c’est le rôle d’un musicien de bien « balancer » avec tout cela.
Frédéric Garat
Le 5 octobre au Café de la Danse
le 26 octobre à Bordeaux, du 2 au 4 novembre au Festival de jazz de Sarajevo, le 8 à Tourcoing (avec Julien Lourau), le 9 à Saint-Ouen-l'Aumône (Val d'Oise), le 17 à Commes (Calvados), le 21 à Reims en quintet.
Solobsession (Label Bleu / Harmonia Mundi)