Petits nouveaux (bis)
Deuxième fournée des nouvelles têtes de la rentrée. Encore médiatiquement timides, ceux-ci sont enfin parvenus à décrocher une inscription au sein d’une maison de disques. Les maîtres se penchent de curiosité, les rumeurs et les langues galopent… Certains noms commencent déjà à circuler. Voilà l’appel des quatre dont on parle le plus dans les couloirs professionnels : Machinchose, Luke, Julien Ribot et Loeil.
Machinchose, Luke, Julien Ribot et Loeil.
Deuxième fournée des nouvelles têtes de la rentrée. Encore médiatiquement timides, ceux-ci sont enfin parvenus à décrocher une inscription au sein d’une maison de disques. Les maîtres se penchent de curiosité, les rumeurs et les langues galopent… Certains noms commencent déjà à circuler. Voilà l’appel des quatre dont on parle le plus dans les couloirs professionnels : Machinchose, Luke, Julien Ribot et Loeil.
Machinchose / C’est pas pour danser (East West/Warner)
Lui, c’est le plus indiscipliné. S’appliquant à collectionner les bêtises, il aime l’absurde et la provocation. Originaire de Nantes, le bonhomme passe par les beaux-arts avant d’animer une radio et d’entrer au conservatoire national (section composition électroacoustique). Il se fait d’abord appeler Eugène Lampion, puis Machin (dont toutes les chansons portent le titre Des choses), enfin Machinchose.
C’est Eastwest qui l’accueille en son sein, à la grande surprise de beaucoup. Il faut dire que son album C’est pas pour danser n’est ni simple ni mélodieux ni facilement abordable. Il suffit parfois de quatre notes et deux sons pour fabriquer l’une des 22 plages ! Guitariste, accordéoniste, claqueur de mains mais surtout trifouilleur de machines, Machinchose ne semble pas toujours s’embarrasser de nos oreilles. « Trop strident » n’existe pas chez lui, « harmonique » semble avoir une autre définition et « ce que je veux » doit être son adage. Un grand machin dans lequel on rajoute des choses, en secouant les bidules et on voit le truc que ça donne au bout.
Du côté des paroles, ce n’est pas mieux. Outre une appétence à parler de nourriture (J’avoue, j’aime bien les frites, les Nouilles au beurre, Marrons glacés, Radis petit pois, haricot vert…), les titres ne cachent pas un goût pour le jeu de mots (Foot pas d’ball, Un Nain gras…). Humour parfois lourd, aberrance pas toujours réussie, la recherche de l’inintérêt à tout prix tire vers l’ennui… Pourtant l’artiste s’explique assez clairement dans Chanson au rouleau : «Si vous ne comprenez pas mes mots c’est que vos oreilles sont dans le mauvais sens/ Il n’est pas question ici de mauvais goût mais de bon sens, c’est plus simple/ La peinture au rouleau, c’est pas du grand art, et jamais je ne me suis posé la question du bon goût pour cette peinture (…) Des mots utilisés comme de la peinture, pour les images c’est plus sûr… »
Restent tout de même certains titres plutôt réussis, comme Sandwich au poil, Samedi ou Un cheval des chevaux. Restent également les sourires et le livret humoristique nous livrant les recommandations d’usage de l’objet CD. Des croquis dont les légendes seraient : «Ne pas jeter à la poubelle », «Ne pas passer sous un tracteur », «Ne pas déposer sur une voie ferrée », «Ne pas mettre sous la douche» et «Ne pas danser». Evidemment !
Luke / la Vie presque (Le Village Vert/BMG)
Ils sont cinq en fait, joliment alignés dans le rang du rock français. BMG espère une mention avec ceux là, et on comprend. Rares sont les premiers albums aussi mûrs que la Vie presque. Certaines radios françaises ne s’y sont d’ailleurs pas trompées puisque les voilà déjà à diffuser allègrement le premier simple issu de l’ensemble : Se taire.
Au premier abord rien de bien original : une formation venue d’un peu partout, deux guitares, une basse, une batterie, un clavier. La voix oscille entre le parlé et le chanté, susurre indéfiniment avec des soupirs de fin de phrases déjà entendus. Malgré tout Luke est intelligemment ficelé, les programmations bienvenues, l’électrique gérée avec brio et les effets non abusifs. Quant aux paroles nourries des tourments de la jeunesse, elles arrivent à éviter l’écueil du pré-pubère. Les difficultés de rapport aux autres, à l’autre, à soi… Bref, sans être d’une poésie novatrice, le tout s’en sort plutôt dignement. «Car il faudra bien courir ces dames / il faudra bien s’ouvrir les veines / Pour dire les mots qui vous damnent / en oubliant les parents qui vous aiment / il faudra bien se construire /…/ on apprendra des phrases assassines / on sortira les soirs de malaise / et puis se noyer dans l’estime des gens qui vous aiment / Dans tous les cas en en fera des ratures / Et là on sera grand ». Ce texte de la Cour des grands a de fortes chances d’être prémonitoire dans le cas de ces jeunes gens. A suivre.
Julien Ribot / Hotel Bocchi (Ici d'ailleurs/Wagram)
Voilà bien le plus branché, et les milieux journalistiques du genre lui font déjà de l’œil. Assurément il est de bon ton dans certains salons parisiens de dire que l’on connaît et que l’on aime Julien Ribot. Mais pour rendre justice il faut avouer que le jeune homme est loin d’être inintéressant. Intelligent et doué, il écrit, compose, arrange, interprète, dessine ses livrets. Le label Ici d’ailleurs semble tenir là une valeur sûre.
Ribot est amoureux des sons, de l’ordinateur, des échantillons, des mariages complexes. Selon son bon vouloir il rajoute à cela son Historibocchi Orchestra (basse, batterie, guitare, trompette…). Le résultat fleure les analogies avec Beck, Katerine, Dominique A, parfois les Little Rabbits (Tu nous énerves). La famille est confirmée puisque la troisième plage (intitulée judicieusement ?) est chantée par Françoiz Breut. Les voix féminines ou enfantines, qu’elles babillent, rient ou fredonnent, sont récurrentes et entrent parfaitement dans l’univers d’Hôtel Bocchi.
Quelque part nichée entre l’onirique et le fantastique, l’ambiance de Ribot ressemble à un jeu effrayant, un dessin animé d’horreur, un parc d’attraction hanté. Les idylles deviennent des Sortilèges comestibles, les anges côtoient les fusées, on peut y voir au bar des vieux hôtels «Une horrible enfant qui boit un Martini… Sainte alcoolisée, rousse, à moitié nue…», et sept mille dollars peuvent sans aucun souci avoir forme humaine et applaudir l’univers. Drôle de personnage ce Julien, naïf et cruel, simple et complexe. Attention pourtant à ne pas tomber dans le piège du joli faiseur à la mode, sous peine de n’être plus que noyé dans les élitistes confidentiels.
Loeil / Bulles (Universal/Island)
Là encore ils sont cinq à former cet iris. Avignon est leur berceau, Island leur major d’adoption, rock actuel leur credo. Gilles Doyen, le chanteur, est certainement la meilleure voix présentée ici. Hybride de Bertrand Cantat (Noir désir) et de Bashung, elle n’est pas sans avoir son propre cachet. Et il n’y a qu’à écouter le refrain de Métropolitain pour en comprendre la puissance et les capacités. Les mots de ce même jeune homme sont bruts, entiers, empreints de la poésie des couteaux. Il y parle de sexe, de mort, de mystères… comme celui que pose le Ventre des femmes, titre à priori chargé des espoirs de succès : «Bulles abdominales / Où nos mains se posent / Comme des oreilles / à l’affût d’une onde / Gouffres insondables / Que nos sexes explorent / De la même manière / Depuis l’aube du monde». On regrettera tout de même l’idée des vocalises arabisantes peu réussies et relativement gratuites.
Les compositions faites à dix mains sont intelligemment tournées, arrangées subtilement, à la fois déchirées et jolies, rudes et délicates. L’électrique n’y a pas peur, les sampleurs sont au rendez-vous, les batteries sont lourdes, les percussions bien jetées, les idées souvent originales… Alors quoi ? Alors Loeil c’est bien. Juste que l’on a beau faire le tour des dix chansons qui flottent dans Bulles, aucune d’elles n’éclate comme le champagne, ne grise les hits-parades à marquer les mémoires. Malgré tout, on vous le répète, c’est bien. C’est même beau à certains moments (comme l’instrumental Phonographie qui clôture l’objet). Loeil mérite vos deux oreilles.