LES ARTISTES CONTRE LA PEINE DE MORT

Paris, le 6 octobre 2001 - Le 9 octobre 1981, la loi 81-908 proclame l'abolition de la peine de mort sur le territoire français. Ce week-end, Paris célèbre cet anniversaire par des débats et des lectures. Mais hier soir, c'est un grand concert qui a ouvert le feu. Beaucoup de conviction et d'émotion de la part des artistes présents autour de l'instigateur de cette loi, l'ancien ministre de la justice Robert Badinter.

Un concert a célébré les 20 ans de l'abolition en France

Paris, le 6 octobre 2001 - Le 9 octobre 1981, la loi 81-908 proclame l'abolition de la peine de mort sur le territoire français. Ce week-end, Paris célèbre cet anniversaire par des débats et des lectures. Mais hier soir, c'est un grand concert qui a ouvert le feu. Beaucoup de conviction et d'émotion de la part des artistes présents autour de l'instigateur de cette loi, l'ancien ministre de la justice Robert Badinter.

Ce fut une longue et difficile bataille.
En septembre 1981, alors que quatre mois plus tôt vient d'être élu François Mitterrand à la présidence de la République, une majorité de Français¹ se déclare encore pour la peine de mort. Pourtant, quelques jours plus tard, après d'éprouvants discours devant l'Assemblée et le Sénat, Robert Badinter, avocat et ministre de la justice d'alors, obtient le vote de son abolition. Date historique s'il en est dans un pays qui, depuis la Révolution française, n'a eu de cesse de débattre de cette question. En dépit de partisans prestigieux tels Victor Hugo, Jean Jaurès ou Albert Camus, l'abolition a, en 200 ans, butté devant une quarantaine de propositions de loi.

Lorsque la loi est votée, les prisons françaises comptent encore six condamnés à mort. La dernière exécution eut lieu en 1977. Vingt ans plus tard, ce débat ne mobilise guère plus l'opinion française. Un sondage IFOP de janvier 1998 indique qu'une majorité de Français (54%) est hostile au rétablissement de la peine capitale. C'est une majorité faible mais récente dans l'Hexagone. Donc, la lutte des opposants ne s'est pas forcément terminée en 1981. D'autant plus que désormais, si la France semble avoir définitivement tourné la page, le combat est vivace de par le monde puisque encore 87 pays maintiennent et appliquent le principe de la condamnation à mort contre 108 (sur les 189 représentés à l'ONU) qui l'ont aujourd'hui aboli.

Abolition universelle

Tel est justement le message que ces cérémonies d'anniversaire veulent transmettre : il s'agit de militer désormais pour une "abolition universelle". Et vendredi soir, sur l'esplanade du Château de Vincennes, en proche banlieue parisienne, les quelques artistes présents se sont succédés pour communiquer cette idée. L'Anglaise Jane Birkin, l'Algérien Cheb Mami, la Franco-Marocaine Sapho, le réalisateur serbe Emir Kusturica et son groupe No Smoking Orchestra ou les DJ Français Manu le Malin et Dee Nasty, tous ont accepté bénévolement, avec leurs cultures et leurs histoires différentes, de chanter, jouer ou lire des textes au nom de cette cause.

La soirée, organisée par Uweevents (organisateur d'événements) et soutenue par plus d'une dizaine d'associations abolitionnistes, se veut, comme le reste des manifestations du week-end², pédagogique et tournée vers une jeunesse née après 1981. C'est aussi comme ça que le DJ Manu le Malin voit les choses : "J'ai 30 ans et en 81, l'abolition m'est passée un peu au-dessus de la tête. C'est la même chose pour le public de la techno. Et ça, ça va peut-être leur rappeler que la peine de mort n'est pas abolie partout, qu'il faut mettre la pression." Mais les artistes techno dans un concert au profit d'une cause humanitaire, c'est peu fréquent. "Les associations concernées ne pensent pas aux artistes électro, répond Manu, parce qu'on assimile ça à de la musique du samedi soir, aux raves, etc. Et c'est pour ça que je n'ai pas hésité une seconde."

Transmettre à la jeunesse
"Il faut transmettre tout ça aux gens jeunes, en perte de repères et qui ont besoin qu'on leur redise des choses de base." C'est ce que pense de son côté Sapho, artiste au contraire très présente sur certains combats (la cause palestinienne, zapatiste). Pour elle qui démarre le "spectacle", "la violence est la maladie humaine et répondre à une violence par une autre, c'est une erreur, un raté." Elle chante (Maman j'aime les voyous, African complain ), elle lit certains textes, comme elle l'a fait ces derniers mois au cours d'un spectacle de seules lectures. Mais elle chante aussi un poème généralement lu : le Dormeur du Val d'Arthur Rimbaud "parce que la guerre est aussi une condamnation à mort."

Pour Jane Birkin, toujours prête à soutenir de multiples causes sociales et politiques (l'antiracisme, la lutte contre l'extrême droite, la Bosnie), participer à cette soirée est une évidence. Et elle connaît son sujet. "L'abolition est une chose acquise en France, en Angleterre, confie t'elle, pas ailleurs ! Heureusement que ça s'est passé ici, que Badinter a fait sa plaidoirie formidable pour Patrick Henry³, que Mitterrand a osé être impopulaire. Mais maintenant, il faut tout faire pour les autres pays. Tout le monde peut se mobiliser pour ça. Il me semble que c'est la moindre des choses." Sur scène, elle rappelle qu'à 15 ans, elle marchait déjà dans les rues de Londres avec son père contre la peine de mort. Aujourd'hui, Jane Birkin ne cesse d'allier combat et chanson. Ce vendredi, entourée de musiciens kabyles, elle chante Gainsbourg bien sûr, Elisa, Couleur café et Comment te dire adieu ?. Sa douceur opère au profit d'une cause autrement violente.

"L'époque où l'on coupait un homme vivant en deux"

La violence de la peine de mort, le public, malheureusement peu nombreux (environ 1000 personnes), la perçoit dans quelques clips d'Amnesty Internationale. Mais un en particulier marque les esprits ("C'est horrible !", entend-on parmi les spectateurs), commandé par ECPM, la plus jeune des associations abolitionnistes françaises. Celui d'un jeune Chinois en tenue de sport qui dans un stade, s'agenouille tel un athlète. Un homme en costume lève une arme comme pour donner le départ. Mais retourne l'arme contre la nuque du jeune homme. Ce spot, qui n'est pas sans évoquer les J.O. de Pékin, a été réalisé par le comédien Vincent Perez, présent ce soir, et produit par Luc Besson.

Mais la force de la soirée est en partie contenue dans le discours de Robert Badinter, qui paradoxalement, se voit plusieurs fois interrompu par des voix dénonçant les longues peines de prison. Il se souvient "le climat à peu près constant d'hostilité" à l'époque de l'abolition et rappelle, avec les mots du discours de l'époque, ce qu'était "une justice qui tue". Mais il précise qu'il "n'est pas question de revenir sur le passé". Il insiste sur le lien entre peine de mort et racisme, aux Etats-Unis actuellement, mais en France autrefois. Enfin il quitte le plateau en tonnant bien haut que désormais l'abolition doit être "universelle" mais reconnaît qu'il ne sera sans doute pas là pour le voir.

Le public, même en petit nombre (à mettre sur le compte d'un défaut de communication des organisateurs), est tout ouïe. Il danse sur le long set de Cheb Mami, applaudit l'acteur Samy Nacéri lisant un texte en tremblant de trac et ne se décourage pas sur la techno hardcore de Manu le malin portée par la voix de MC Youthman. La soirée finit dans la fête avec Emir Kusturica et les No Smoking Orchestra. Ce soir-là, une fois encore, la musique aura été un vecteur de message.

Texte et photos : Catherine Pouplain

¹ 62% dans un sondage SOFRES du 10 septembre 1981
² Le détail des manifestations sur le site des organisateurs
³ L'avocat Robert Badinter sauva la tête de cet homme jugé pour enlèvement et assassinat d'enfant en 1977.