Mory Kanté, le griot voyageur
Au début était le voyage, rappelle Mory Kante à propos de son nouvel album Tamala - le voyageur. Né en Guinée-Conakry, il a commencé sa carrière à Bamako, vécu à Abidjan, s’est installé en France, a sillonné et continue d’arpenter le monde avec comme boussole sa kora, l’indispensable compagne qui lui permet de ne jamais oublier d’où il vient.
Interview
Au début était le voyage, rappelle Mory Kante à propos de son nouvel album Tamala - le voyageur. Né en Guinée-Conakry, il a commencé sa carrière à Bamako, vécu à Abidjan, s’est installé en France, a sillonné et continue d’arpenter le monde avec comme boussole sa kora, l’indispensable compagne qui lui permet de ne jamais oublier d’où il vient.
RFI : Le titre de votre album, Tamala , signifie Le voyageur . Est-ce en référence à votre parcours, vous qui avez quitté la Guinée-Conakry pour aller à Bamako, puis à Abidjan, avant de vous installer à Paris ?
Mory Kanté: C’est effectivement un titre qui résume ma vie car j’ai beaucoup voyagé. Le griot voyage toujours. Qu’il se déplace d’un village à l’autre, de sous-région en sous-région, de pays en pays, c’est un communicateur, un informateur. Le mot « griot » est la traduction en français du terme mandingue « jali », qui signifie en fait « le sang » circulant dans notre corps qu’il connaît donc parfaitement. Le griot – le jali – est effectivement celui qui connaît le mieux notre société mandingue. Il en perpétue les réalités historiques, culturelles et économiques.
RFI : Le rôle des griots n’a-t-il pas perdu de son importance depuis quelques années ?
M.K. : Les pays mandingues sont vraiment attachés à leur culture et à leur civilisation et ont toujours accordé une place privilégiée aux griots. Aujourd’hui encore au Mali, les griots sont consultés à l’Assemblée Nationale et en Guinée également pour tout ce qui concerne les grandes décisions. On sait que ce sont eux qui sauvegardent la mémoire du passé et celle du présent. Ils ont également leur place dans les grands mariages coutumiers. Ils ne sont pas des profiteurs comme on l’a entendu dire parfois, leur but n’a jamais été de s’enrichir sur le dos des gens.
RFI : Quelles sont les vertus du voyage ?
M.K. : Du voyage, on tire toujours de belles leçons, c’est une grande école de la vie.
RFI : Qu’est-ce qui vous a amené à vous installer à Paris en 1984 ?
M. K. : Je suis venu d’abord pour y enregistrer un album (qui s’appellera Mory Kanté à Paris ). Mais, une fois arrivé ici, j’ai senti qu’il y avait un potentiel pour moi, d’autant que j’ai été accueilli très chaleureusement par les communautés africaines qui m’avaient connu en Afrique. Mon premier concert à Paris, je l’ai donné la même année, à la Mutualité. Dans la salle, le public était déjà très mélangé. Il y avait des Africains, mais aussi beaucoup d’Européens. C’était le début de l’engouement pour la world music. J’ai été invité par Jacques Higelin à Bercy et ensuite un producteur de chez Barclay, Philippe Constantin, m’a fait enregistrer 10 Cola Nuts , suivi en 1987 par Akwaba Beach (contenant le titre Yéké Yéké ). Je ne me suis jamais produit en foyers mais toujours dans le contexte de concerts s’adressant à tous les publics.
RFI : Votre premier instrument a été le balafon, puis vous êtes passé à la kora, un instrument qui jusqu’à votre succès sur la scène internationale n’était guère familier au grand public.
M. K. : Toute ma démarche depuis le départ a été de tendre vers la communication inter-culturelle et de positionner les instruments africains dans l’arbre de la musique universelle. Cela a marché. Maintenant tout le monde connaît le balafon ou la kora, qui sont parfois intégrés dans des groupes pratiquant une musique de fusion. Aujourd’hui la musique traditionnelle africaine est reconnue et appréciée dans le monde, alors pour moi, le but est atteint.
RFI : L’engouement pour les musiques africaines en France semble quelque peu retombé par rapport à ce qu’il fut dans les années 1980. Quel constat faites-vous de la situation actuelle ?
M. K. : Ce n’est pas aussi catastrophique que cela. Mais c’est vrai qu’en ce qui me concerne, je me produis maintenant davantage en concert dans d’autres pays européens qu’ici. La Scandinavie, l’Angleterre, la Hollande, par exemple, semblent plus réceptives aujourd’hui. Les choses se sont un peu déplacées. La France a été un des premiers pays occidentaux à vraiment accueillir la musique africaine et Paris en particulier fut un foyer intense. Après, d’autres mouvances sont arrivées, comme le reggae, le rap, le raï par exemple, encore que celui-ci, il ne faut pas oublier, vient aussi du continent africain.
RFI : Paris mérite-t-elle encore son titre de « capitale de la world music » comme on l’a souvent entendu dire ?
M. K. : Je crois que les choses ont changé. En ce qui concerne les musiciens africains, beaucoup sont partis. Il n’y a plus la même effervescence que lorsque je suis arrivé ici.
RFI : Où en est votre projet de cité musicale à Conakry ?
M.K. : Je ne l’ai pas encore ouverte. Ce sera un centre culturel, un endroit où l’on pourra apprendre à jouer des instruments traditionnels et à connaître la musique africaine. On y avait installé un studio, où j’ai enregistré mon album Nongo Village , mais on l’a démonté pour continuer les travaux. Lorsque ce sera terminé, il y aura plusieurs studios d’enregistrement, des salles de spectacles, des logements, etc…
RFI : N’avez-vous jamais eu le sentiment d’être prisonnier de votre titre fétiche, Yéké Yéké ?
M.K. : Yéké Yéké continue à marcher encore aujourd’hui, ce qui évidemment me satisfait. Leonardo di Caprio en a utilisé un remix pour la B.O. de son film The Beach . Mais je n’ai pas fait uniquement cela et Yéké Yéké n’illustre que l’un des aspects de ma démarche qui est la valorisation des instruments traditionnels. C’est cela mon vrai but et ce que je vise encore à travers Tamala, mon nouvel album, en construisant un pont entre la tradition, la musique authentique et le monde moderne.
RFI : Le 14 juillet 1990, vous avez représenté la France aux côtés de Khaled dans un concert donné à Central Park. Ce rôle d’ambassadeur culturel de la France n’était-il pas paradoxal pour un musicien africain soucieux de valoriser avant tout sa propre culture ?
M.K. : C’est le métier, le show-biz qui choisit de présenter un artiste de telle ou telle façon. Si la France pense que je peux la représenter, étant résident en France, pourquoi pas ? J’étais un produit français signé sur un label français, Barclay. Toute ma famille est française, mes enfants sont français, mais moi, pour le moment, je conserve encore la nationalité guinéenne.
Propos recueillis par Patrick Labesse
ALBUM : Tamala (Le voyageur) / Sono - Next Music