Bercy Youssou, an II

Perdue au coeur d’une des tribunes du Palais Omnisports de Paris-Bercy, Awa, 19 ans, contient à peine son émotion. Elle ne sait pas danser le mbalax, mais peu importe, avec ses copines dans leurs tenues branchées, elles essaient de donner de la voix, motivées par les "ola" du public qui depuis plus de deux heures, met le feu à Bercy.

Youssou N'Dour installe définitivement le Thiossane à Bercy.

Perdue au coeur d’une des tribunes du Palais Omnisports de Paris-Bercy, Awa, 19 ans, contient à peine son émotion. Elle ne sait pas danser le mbalax, mais peu importe, avec ses copines dans leurs tenues branchées, elles essaient de donner de la voix, motivées par les "ola" du public qui depuis plus de deux heures, met le feu à Bercy.

Quand à minuit trente, Youssou N'Dour, drapé dans un magnifique boubou blanc surgit majestueusement au milieu de la piste sur une plate forme et entonne Birima, Awa se libère complètement et la mine réjouie, elle regarde fièrement ses copines et nous lance un « c’est incroyable ! c’est plus fort que moi. J’étais très inquiète de décevoir mes copines en les invitant à un spectacle de chez nous. On dit souvent qu’ils manquent de magie et de tous ces effets que nous voyons à la télé. Elles venaient pour Assia et elles sont fascinées par You ! ».

En effet, c’est le père d’Awa qui lui a permis d’inviter ses deux meilleures amies de nationalité française, à ce rendez-vous que toute la famille prépare depuis trois mois et auquel elle tenait tant à assister.

On s’attendait à cette forte mobilisation de la communauté sénégalaise de France, mais de l’avis des habitués, pour cette deuxième édition du Grand Bal, Youssou a réussi un pari extraordinaire, en réunissant près de 17000 personnes au POPB. Un public varié, véritable melting pot culturel et racial, loin des clichés communautaires associés aux spectacles africains. Outre ses compatriotes de la région parisienne, ceux de province sont arrivés par centaines en voiture ou par train, avec pour projet de faire la fête jusqu’au petit matin. Et Dimanche, à l'aurore, ils traînaient encore leurs mines fatiguées mais épanouies dans les gares de Lyon et Montparnasse.

Dehors, après deux heures de spectacle, Bercy ressemble au Bercy des grands jours, celui des stars du Top 50 ou des têtes couronnées de la pop internationale. Ils sont encore plusieurs centaines sur le parvis, en quête du précieux sésame. Pour la plupart des jeunes de banlieues, reconnaissables par leurs codes vestimentaires et leur langage, ou des adultes qui s’y sont pris à la dernière minute. Issus de l’immigration sénégalaise, ces jeunes dont la moyenne d’âge varie entre 15 et 18ans, ont surpris plus d’un observateur par leur présence massive. Au marché noir, le billet d’entrée atteint la somme de 500 FF. Un montant qui a anéanti l’enthousiasme de N’Diaye fan du Secteur A, venu de Sarcelles pour voir You « la fierté de tout le continent. Il est cool, et pour lui nous avons un maximum de respect. Je tenais à voir ce spectacle car on m’a dit que ça se passe comme au pays. Et comme je n’y ai jamais été ! »

Consacré à l’échelle planétaire par le tube Seven seconds , interprété en duo avec Neneh Cherry, et par ses tournées à travers le monde notamment pour des causes humanitaires, Youssou N'Dour a développé dans son cheminement musical, un répertoire qui métisse très justement les sons tirés de la tradition musicale sénégalaise et les beat plus consensuels de la soul ou de la pop. Interprété en wolof et en anglais, ses tubes-fusion ont meublé la première partie du show de Bercy et enchanté un public presque hystérique.

Assia, chanteuse d’origine maghrébine et nouvelle coqueluche de la scène R’n'B française est la première invitée à monter sur scène, et, le temps d’un duo avec Youssou, elle est Neneh Cherry dans seven seconds avant d’exploser l’applaudimètre avec son tube Elle est à toi amplifié par les cris des plus jeunes. Sous la direction du très talentueux guitariste Jimmy Mbaye, le Super Etoile de Dakar, l’orchestre de Youssou enchaîne les tubes. Appuyé par Jean- Philippe Rykiel au clavier, il accueille Nuttea, le raggaman-crooner à la voix éraillée dont le succès Trop peu de temps enflamme les cœurs des teen-agers. Le spectacle dure depuis trois heures et Youssou rejoint sur scène Nuttea pour l’interprétation en duo du titre Bamba . Ensuite Koffi Olomidé fait son apparition quelques instants après la magnifique interprétation de My hope is in you par Youssou avec M’passi, la chanteuse franco-congolaise de Mel Groove et choriste du collectif Bisso Na Bisso.

Grand moment de tension, suivi d’une grosse ovation quand le roi du Mbalax, d’une voix profonde et chaude, lance a capella le titre Africa unite qui rend hommage à Cheick Anta Diop, Kwame Nkrumah, Steve Biko et d’autres chantres d’une Afrique militante, unie et fière de son histoire. La main sur le cœur, les jeunes dans le public approuvent. Dans la salle, un drapeau sénégalais fleurit. Les spots réfléchissent sur les larmes que laisse échapper DIT COMBAT, jeune chanteur de Reggae et militant d’une Afrique positive, venu de Londres samedi après midi pour applaudir « le grand frère ».

L’idée du grand bal de Bercy, Youssou la tient de ses nombreux fans en France qui souhaitent le voir transposer dans une grande salle parisienne, l’ambiance du Thiossane, sa boîte de nuit de Dakar. Ils sont largement servis dans la deuxième partie du spectacle ouverte timidement par Ndèye Marie Ndiaye, chanteuse très courue à Dakar. Ensuite, le grand maître Ndiaga Mbaye à qui Youssou rendait hommage dans un album parue en 1997, est vivement applaudi. Tout juste autant que les deux lutteurs Toubabou Dior et Manga II dont Youssou explique la présence par sa volonté de montrer à la face du monde cette discipline qui, plus qu’un sport ordinaire est un repère identitaire de la culture sénégalaise. Ils ne se battront pas comme prévu mais peu importe. Il est trois heures du matin. Awa et ses copines préférent se promener dans les couloirs du Palais Omnisports de Paris-Bercy car cette partie très traditionnelle et animée en wolof, ne les emballe pas trop . Elles se sont retirées. Tout comme l’essentiel du millier de spectateurs européens, sortis comme pour respecter « l’intimité » du public sénégalais plongé dans la grand messe du mbalax, avec pour officiant principal celui qu’ils appellent affectueusement « You ! ».

La grande réussite de cette édition du Grand Bal est d’abord celle de Youssou N'Dour, seul véritable star vivant sur le continent africain et dont l’intelligence musicale a réussi ce cross-over international qui rend sa musique accessible au public le plus large aux quatre coins de la planète.

Rendez-vous a été pris pour l’année prochaine, car comme l’a si justement signalé Mickael Soumah, animateur-vedette de la Radio-Télévision Sénégalaise, "Le Grand Bal est désormais une institution, une belle vitrine de la culture sénégalaise " .