Zazie

Zazie râle, Zazie rit, Zazie chante La Zizanie. Son nouvel album, où elle manie avec toujours autant de dextérité ironie, tendresse et rage, vient de sortir et ravira les fans tout en séduisant ceux qui ne le sont pas encore.

Les raisons de la colère

Zazie râle, Zazie rit, Zazie chante La Zizanie. Son nouvel album, où elle manie avec toujours autant de dextérité ironie, tendresse et rage, vient de sortir et ravira les fans tout en séduisant ceux qui ne le sont pas encore.

Votre single Rue de la Paix est sorti quasiment en même temps que les attentats du 11 septembre. C’est curieusement prémonitoire, non ?
Sincèrement, je ne dirais pas que ce qui est arrivé était dans l’air car personne ne pouvait prédire un truc aussi immonde, mais le monopole du capitalisme qui n’arrive pas que des Etats-Unis, mais en tout cas qui est symbolisé par ce pays, est quand même très impressionnant et peut susciter une telle haine. Moi, je le vois en musique où l’on est de plus en plus dans une logique de résultats, de ce que va rapporter tel ou tel artiste, que dans la valeur de ce qu’il va créer. Lorsque je faisais des concerts à mes débuts, j’ai pu m’apercevoir que lorsqu’il y avait deux personnes dans la salle, mais où tout le monde s’éclatait, c’était un mauvais concert pour ma maison de disques. Par contre un concert très, très mauvais avec une salle pleine c’était un bon concert pour ma maison de disques.

Cela arrive t-il un très mauvais concert de Zazie ?
(Rires) Le moins souvent possible mais personne n’est infaillible ! En même temps cette chanson Rue de la Paix est pleine de paradoxe parce que j’accepte de faire partie de ce monde où l’on pense : rendement, ventes, chiffre d’affaire… Mais je suis assez cynique par rapport à ce monde-là. Je vois où ça peut nous mener et ce n’est pas cela qui va définir ma vie à moi. Je ne crache pas dessus, je suis ravie de gagner des sous, mais c’est ce que je chante : "Ma réussite ne fait pas mon bonheur", elle le fait peut-être pour d’autres, moi je me suis aperçu que ça n’allait pas faire de moi quelqu’un de formidablement heureux, ni de formidable tout court d’ailleurs !

Est-ce que cela signifie que si un jour Jean-Marie Messier (propriétaire d’Universal Music) entre dans votre studio et vous dit de chanter ceci et pas cela, vous pourriez renoncer au chant ?
Je pense que j’écrirai toujours des chansons mais je ne les chanterai peut-être pas… Je pense que lorsqu’on est interprète, il ne faut pas se leurrer, on accepte le côté exhibitionniste que l’on a en soi. Pour le moment, ça me fait toujours rire de me montrer mais je pense qu’à un moment donné cela me fera peut-être moins rire. Peut-être que cela fera moins rire les autres quand je serai plus "tapée" (sa voix chevrote) et que je ressemblerai à une mémé… Mais il y a plein d’autres moyens de faire ce qu’on envie de faire.
Ceci dit, c’est vrai que le ton s’est un peu durci dans le milieu de la musique. Moi je suis très contente d’avoir commencé ce métier il y a une dizaine d’années et pas aujourd’hui. A l’époque, c’était déjà assez dur, mais chacun avait au moins son espace artistique. Il n’y avait pas un diktat de ce qu’il faut faire, ni de comment il faut le faire. J’ai l’impression que maintenant, le ton est plus dur pour les jeunes sauf peut-être pour ceux de ma génération qui réussissent encore à faire quelque chose de plus personnel, mais à quel prix !
Beaucoup de journalistes me disent que je suis rebelle. Je n’ai pas l’impression du tout d’être rebelle ! J’ai l’impression de faire quelque chose de personnel. Et déjà, dans les circonstances actuelles faire quelque chose de personnel, c’est faire un acte de punk ! (Rires) Alors que j’en suis loin !

Ce paradoxe de la belle rebelle tient peut-être au fait que vous présentez l’image d’une jeune fille plutôt sage, réservée, ancien mannequin etc.
Oui, malheureusement les gens s’attendent, par rapport à une fille, à des choses un peu superficielles et artificielles. Ce qui d’emblée, pipe les dés. Soit on naît PJ Harvey ou Björk et l’on est déjà un peu en lévitation, un peu barrée ; soit, on a eu une forte éducation qui suscite une réaction… Moi, j’ai eu les deux. C’est-à-dire que j’ai appris à être polie et en même à être moi-même. Donc je dis poliment le fond de moi.

A propos de femmes, Aux armes citoyennes pourrait être reprise par beaucoup d’entre elles…
J’ai mis longtemps à écrire cette chanson parce que je ne voulais pas du tout que cela soit un hymne MLF. Je voulais y inclure les hommes qui sont d’accord avec ce point de vue et c’est pour cela que j’ai écrit "aux hommes qui nous aiment, ensemble marchons". Je ne voulais pas dire : "les femmes sont toutes formidables, les hommes sont tous des salauds". On a la chance de vivre dans un pays où les droits de la femme sont à peu près corrects. Les Chiennes de garde¹, je les trouve ridicules. Je pense qu’il y a des problèmes notamment concernant la parité salariale où certains mouvements féministes peuvent être efficaces de nos jours. Mais les Chiennes de gardes, je trouve cela affligeant ; une caricature de femmes qui essaient de ressembler à des hommes qu’elles ne sont pas.

Est-ce qu’une chanteuse gagne moins qu’un chanteur ?…
(Rires) Non !!! Je crois que la musique est un territoire un peu épargné par cela. Mais c’est vrai que de temps en temps, j’ai besoin de taper un peu plus fort du poing sur la table que si j’étais un garçon. Cela doit plus tenir au fait que je ne suis pas du tout carriériste et que parfois la gentillesse ou le manque d’ambition passe aux yeux du camp d’en face pour de la bêtise. Ceci dit, si je sais qu'untel est payé tant, à travail égal, il n’est pas question qu'unetelle soit payée moins !

La Fan de sa vie est une très jolie chanson sur l’idolâtrie du public pour les artistes. Vous-même, de qui avez-vous été fan ?
J’ai longtemps rêvé de Mel Gibson et de Brad Pitt étant petite, mais en même temps, je n’avais même pas la notion de ce qu’était un autographe. J’ai découvert le concept en devenant chanteuse. Si ! Si ! Je vous assure ! Plus jeune, je n’allais pas à des concerts où les gens demandaient un autographe, je ne savais même pas ce que c’était avant de commencer ce métier. Pour moi, les fans sont des gens qui sont peut-être en manque de repères ou bien qui sont dans l’adolescence ou qui ont besoin d’un grand frère, d’une grande sœur. De quelqu’un à qui ils peuvent s’identifier. C’est le même morceau d’eux-mêmes qu’ils voient chez moi. Souvent, on me demande pourquoi je ne veux pas monter de fan-club. Je suis contre. Il y a une espèce de récupération du fanatisme des gens que je trouve malsaine, sans parler de l’aspect commercial derrière.
Je préfère passer même ne serait-ce qu’un tout petit peu de temps à discuter avec eux en étant présente plutôt que de passer par le prisme de vingt personnes membres d’un club qui vont régler cela, financer cela et… profiter aussi de cela.

Vous qui avez écrit Allumer le feu pour "l’idole des jeunes" (Hallyday), vous n’étiez donc pas fan ?
Si ! J’ai été très impressionnée, je suis fan de lui. Pas fan forcément de tout ce qu’il chante. Mais quelqu’un qui, après je ne sais pas combien d’années de carrière et de dizaines d’albums me regarde angoissé, presque timide et en me demandant si la voix qu’il avait posée sur mon texte me plaisait, je trouve cela extraordinaire ! J’avais l’impression d’être plus vieille que lui, en terme d’humeur, d’innocence et d’envie de chanter surtout. Il a cette faille que j’aime chez les gens, j’aime bien ses reliefs.

Un des rares textes que vous n’avez pas écrit dans cet album c’est Adam et Yves qui traite du regard des autres sur l’homosexualité.
C’est Joëlle Kopf, une femme, qui avait écrit, il y a longtemps Femme libérée de Cookie Dingler qui en est l’auteur. Elle est copine avec Maxime Le Forestier. Et de temps en temps avec Maxime, on a un rituel qui est de se faire écouter nos albums avant les autres. En allant chez lui, un jour je suis tombée sur ce titre Adam et Yves qui traînait sur une feuille, et je lui ai dit "Quel salaud ! J’aurais vachement aimé avoir eu l’idée de ce titre". Et lui me répond qu’en fait il avait pensé à moi lorsque Joëlle lui a présenté ce texte et je suis repartie avec dans ma besace. On parle toujours de l’homosexualité avec un côté caricatural, ils sont soit drag queen ou coiffeur, c’est comme lorsqu’on dit que les Noirs dansent très bien. C’est une autre forme de racisme que de dire cela. C’est le sens de cette chanson vue par le regard d’une femme.

Propos recueillis par Frédéric Garat

La Zizanie (Mercury / Universal 2001)
Zazie en ligne

¹ Association contre la violence sexiste envers les femmes.