Le Zénith de Thiéfaine
Aux alentours de 21h, le samedi 19 octobre, Hubert-Félix Thiéfaine entrait en scène au Zénith à Paris. La salle, sous l’emprise d’un déluge de sonorités électroniques qui n’auraient pas fait rougir les Pink Floyd à Pompéi, observait un silence religieux. L’éternel troubadour de nos hallucinations moites, dos tourné au public, silhouette adulée, accroupie au pied de colonnes illuminées supportant le feu de cinq projecteurs braqués sur la scène, faisait durer l’attente...
Atmosphère particulière pour un artiste inclassable
Aux alentours de 21h, le samedi 19 octobre, Hubert-Félix Thiéfaine entrait en scène au Zénith à Paris. La salle, sous l’emprise d’un déluge de sonorités électroniques qui n’auraient pas fait rougir les Pink Floyd à Pompéi, observait un silence religieux. L’éternel troubadour de nos hallucinations moites, dos tourné au public, silhouette adulée, accroupie au pied de colonnes illuminées supportant le feu de cinq projecteurs braqués sur la scène, faisait durer l’attente...
Une ambulance pour Primo Lewis : le show démarre en grande pompe sur ce titre phare de Défloration 13, treizième album studio du ”cas Thiéfaine”, auteur inclassable, unique en son genre depuis les fulgurances fondatrices de Tout corps vivant branché..., son premier album, surgi comme un ovni il y a vingt-trois ans, sur les décombres glorieuses d’errances rebaptisées par la grâce d’un verbe trempé de surréalisme, de piquouses et d’excès en tous genres.
Cette tournée 2001 s’inscrit dans un contexte très particulier puisqu’elle succède à un album-évènement (le premier depuis longtemps), largement salué, parfois décrié, qui mêle avec un bonheur certain une instrumentation rock “classique” (guitares, basse, batterie) aux samples, sonorités électroniques et ambiances aquatiques caractéristiques notamment, du trip hop né à Bristol dans le sillage de Massive Attack. Ces atmosphères électro, trash ou planantes, épousent en de sombres noces excitantes la poésie noire et décadente de l’auteur qui satisfait du résultat, a décidé de réarranger certains titres anciens. Dans le ”bain” de ce son renouvelé, ils ne dépareillent pas de l’ensemble. Où, dit autrement, c’est un peu comme si la boucle était (re)bouclée en direction de Soleil cherche futur (1982), le cinquième et peut-être le meilleur album de Thiéfaine, qui faisait suite à Tout corps vivant... (1978), Autorisation de délirer (1979), De l’amour, de l’art ou du cochon (1979) et Dernières balises avant mutation (1981), également excellents. Ensuite, l’artiste avait pu donner parfois l’impression de se répéter un peu, comme dépossédé de l’élan qui insufflait par le passé de la beauté et de l’émotion à ses délires poético-destroy.
Des années 1980 à aujourd’hui, la prestation est redoutablement homogène – comme si Thiéfaine avait reconnecté ses circuits – même s’il est permis de préférer certains titres à d’autres. On retiendra notamment Une ambulance pour Primo Lewis (pseudonyme de Brian Jones, guitariste des Rolling Stones noyé dans sa piscine en 1969), Demain les kids, spécialement introduite par le chanteur qui se souvient de son Zénith 91 : ”La dernière fois que je suis venu dans cette salle, c’était en janvier 91 et ça faisait 3-4 jours qu’ils avaient commencé une guerre, déjà, à l’époque. À ce propos, je me suis demandé l’autre jour, combien il fallait de tours de 410 m pour contenir tous les enfants qui chaque année à travers le monde meurent de faim et des conséquences des guerres”.
Beaucoup de plaisir également sur Eloge de la tristesse (”la tristesse est la seule promesse/ que la vie tient toujours”), sur Soleil cherche futur (”petite sœur soleil au bout du quai désert/ petite gosse fugitive accrochée dans mes nerfs... dans le dernier écho / de ton dernier silence/ j’ai gardé pour la route/ ma rage/ ma haine/ et ma folie”), balancée dans une jolie version électro-crépusculaire qui suscite un véritable délire au sein du public. Délire qui monte encore d’un cran sur la vague d’une belle intro aquatique dédiée au morceau les Dingues et les paumés, la chanson de Thiéfaine par excellence, sans doute la plus belle qu’il ait jamais écrite, qui résume à elle seule ses sources d’inspiration, ses fascinations, ses dégoûts et son univers halluciné (””).
Belle reprise également d’Alligator 427 dont Thiéfaine se serait pourtant bien passé : ”Parfois je voudrais qu’on oublie certains de mes textes ou de mes chansons précédentes, j’aimerais que l’histoire les rende à tout jamais obsolètes." (le public hurle, proteste, dément) "C’est le cas de celle qui vient maintenant, qui date de 1975-76 et que vous avez demandé. J’avoue qu’en ce moment, moi, je ne l’aurais pas choisie”. Mais il la chante et c’est tant mieux. Après tout un artiste est aussi l’esclave de son public. Il nous offre également une belle prestation solo sur Affaire Rimbaud en rappel, puis Camélia : huile sur toile, aux accents mortuaires, avant d’enchaîner, pour un second rappel sur l’émouvante Je t’en remets au vent – amour, égoïsme et vaches maigres – , suivie de l’inévitable Fille du coupeur de joints.
Hommage aux musiciens qui l’accompagnent enfin : Kurt Rust à la batterie, Roberto Briot à la basse, Sébastien Cortella aux claviers et programmation, Philippe Paradis, qui nous a gratifiés de beaux solo de guitare lyrique, et Xavier Géronimo à la guitare également. S’il fallait regretter quelque chose, ce serait peut-être la persistance d’un usage parfois facile et usé du vocabulaire rock (et du vocabulaire tout court), de ”murs du son” un peu systématiques, qui semblent parfois empêcher le déploiement d’atmosphères plus subtiles et intéressantes. Il y a comme un parfum de paresse là derrière, mais qui sait, sans elle, Thiéfaine ne serait pas Thiéfaine, le divin glandeur de l’obscur, alors...Vive la paresse.
Cécile Sanchez