Les Oiseaux de passage

Octobre 1981, Georges Brassens quittait la scène pour entrer dans la légende. A l'occasion de ce vingtième anniversaire, de nombreuses manifestations commémorent l'oeuvre de cet artiste. L'occasion aussi de découvrir Les Oiseaux de passage une compilation de nouvelles interprétations de ses chansons par des artistes de la jeune génération, de Noir Désir à Tarmac, en passant par Bénabar ou Arthur H.

Reprises des chansons de Georges Brassens

Octobre 1981, Georges Brassens quittait la scène pour entrer dans la légende. A l'occasion de ce vingtième anniversaire, de nombreuses manifestations commémorent l'oeuvre de cet artiste. L'occasion aussi de découvrir Les Oiseaux de passage une compilation de nouvelles interprétations de ses chansons par des artistes de la jeune génération, de Noir Désir à Tarmac, en passant par Bénabar ou Arthur H.

La scène rock française revisite le répertoire mythique de Brassens

Parmi tous les hommages rendus ces temps-ci à Georges Brassens, il est un disque qui fait couler une encre amère : Les oiseaux de passage. Cet album né au sein d'Universal, regroupe des titres du grand Georges, enregistrés par les Noir Désir, Miossec, Têtes Raides, Lofofora, Cornu... Une scène jeune, à tendance rock, qui fait grincer des dents les plus conservateurs. Sacrilège pour certains, bonne idée pour d’autres...

Le principal reproche asséné çà et là, est évidemment les orchestrations et arrangements de ces Oiseaux de passage. Si Georges Brassens aimait le dépouillement, le voilà bien bousculé. Les aficionados hurlent évidemment quand l’électrique de Noir Désir ou les programmations dépressives de Saez s’appliquent à reprendre ses chansons. Ce nid de volatiles ne se contente pas de la guitare sèche du maître, il fallait s’y attendre. Mais soyons honnêtes, l’ensemble est loin d’être raté.

Bien sûr Lofofora malmène allègrement les Passantes si délicates dans un rock peu sensible. Bien sûr encore, Magyd Cherfi de Zebda passe à côté d’une Supplique pour être enterré à la plage de Sète. Bien sûr toujours, Cornu ennuie dans un trop attendu les Copains d’abord. Mais à côté de cela, il y a de beaux haussements de sourcils. Tarmac par exemple (composé de la moitié de Louise Attaque) revisite de manière inattendue la Ballade des gens qui sont nés quelque part, Miossec propose La non demande en mariage de belle manière, Juliette explose dans une magnifique Complainte des filles de joie, Yann Tiersen s’abrite joliment sous le Parapluie... Alors oui, il y a des cuivres, des violons, des batteries et tout le bastringue de la scène d’aujourd’hui, mais y-a-t’il crime de lèse-majesté pour autant ?

Un nouveau public pour Brassens

"En fait, on s’est demandé s’il était judicieux de faire quelque chose qui permette à Brassens d’accéder à un nouveau public", explique Laurent Balandras, directeur artistique aux éditions Universal. "On s’est dit que si on le faisait, il fallait s’adresser à la génération née sans jamais avoir connu Brassens. Je me souviens m’être dit : cela fait 20 ans qu’il est mort ! Cela veut dire qu’il y a des mecs qui ont 20 ans aujourd’hui et qui ne l’ont jamais connu vivant. Il y a donc toute une génération pour qui c’est un ancêtre, comme Edith Piaf l’est pour moi! D’un seul coup, on prend conscience de cela. Cela fait 10 ans que Gainsbourg est mort, 20 ans que Brassens est mort, donc un tas de gens a grandi en ne les ayant jamais connus. On a réfléchi avec Jacques Sanjuan et Santi (respectivement D.A. et ancien patron des éditions Universal. Santi est aujourd’hui PDG de Mercury, ndlr). On s’est dit qu’il fallait déjà aller voir les petits-enfants légitimes de Brassens, ceux qui font partie de la scène d’aujourd’hui et qui aiment Brassens."

Et oui, ne vous en déplaise, tous ces Noir Désir, Keren Ann, Tanger et autres Têtes Raides ont bel et bien été chatouillés par les moustaches du monument. Malgré les apparences, Brassens fait partie de leurs références ou influences. "A une exception : Arthur H, poursuit Laurent Balandras. Il a été la première personne à nous dire que ce n’était pas sa culture et qu’il n’était pas du tout sûr de vouloir le faire au départ. Pour l’occasion, il s’est plongé dans Brassens et je crois qu’il en est content ! D’autres artistes n’ont pas souhaité le faire. La compilation est vraiment composée de gens qui ont grandi avec Brassens. D’ailleurs, les réponses sont arrivées très vite. Le premier groupe a été Tarmac qui nous a dit oui tout de suite. Noir Désir n’a pas traîné non plus. Les gens acceptaient spontanément, tant et si bien qu’à la fin nous avions trop de monde ! Même lorsque l’album était terminé nous étions contactés par des maisons de disques pour des artistes qui voulaient participer."

Résultat : 17 artistes retenus, 16 chansons interprétées (Keren Ann et Tanger ayant choisi la formule du duo pour Il n’y a pas d’amour heureux). Parmi les sélectionnés, il y a les incontournables têtes d’affiche. "C’est un projet qui était destiné à un public plutôt jeune et plutôt acheteur de disques. Il nous fallait forcément des artistes moteurs : la moitié de Louise Attaque avec Tarmac, Noir Désir, les Têtes Raides…Ces gens-là sont leaders en terme de vente sur le marché. Il ne faut pas être hypocrite, c’est aussi fait pour vendre… L’objectif est quand même que des mômes qui n’ont pas connu Brassens le découvrent. Les artistes phares de cette scène-là étaient nécessaires."

A noter également la présence de talents plus méconnus comme les Weeeper Circus, Subway (groupe féminin de Clermont-Ferrand) ou Géraud (ancien membre des Barons du délire). Tout ce beau petit monde a eu la liberté totale du choix du titre, de l’équipe de travail, des arrangements.

Noir Désir méconnaissable

Chacun s’est approprié sa chanson, l’a intégrée dans son univers et c’est bien sur ce point que les détracteurs se sont éveillés. Parmi ces derniers, certains sont même allés jusqu’à publier les termes d’"incongru", voire "ridicule". Or, à bien y penser, le ridicule aurait été de chercher à imiter le grand Georges. Qu’au bout du compte, le résultat soit inégal est le lot de toute compilation. L’écueil du pastiche a été évité. "Je reste convaincu que si les gens ne savaient pas que c’est du Brassens et si ces chansons figuraient dans les albums individuels des uns et des autres, ils les prendraient pour une des leurs. Pour nous, cela a été une vraie surprise ! Imaginez la tête que l’on a fait en recevant la version de Noir Désir par exemple ! Le cas est un peu atypique là, puisque c’est l’inverse : on ne les reconnaît pas du tout." Il faut bien avouer que le Roi de Bertrand Cantat surprend dans son traitement méconnaissable.

La dernière particularité des Oiseaux de passage réside en une plage fantôme (à 7’52’’ de la dernière plage) composée de la chanson de Géraud encadrée de deux lettres lues par le comédien Denis Lavant. Rédigées par Brassens en février 1949 et issues d’une correspondance inédite*, elles s’adressent à l’écrivain et philosophe Roger Toussenot. Une entreprise courageuse sur un disque destiné aux jeunes gens. "C’était très difficile d’insérer ces lectures sans casser le rythme du disque. Le fait de les avoir mises en titre caché est une façon de prolonger le disque dans une autre ambiance. Pour relier les deux lettres (qui font plus de 7 minutes), on a scénarisé un peu en y mettant la chanson Stances à un cambrioleur interprétée par Géraud. C’est moins lourd à digérer. Ce que l’on trouvait génial c’est que les lettres parlent de Brassens tentant de placer ses chansons, de rencontrer des gens de la musique. Il vient d’arriver sur Paris, il est chez Jeanne, il a de gros problèmes d’argent. Il est très embarrassé chaque fois qu’il est dans le show-biz, il se sent largué, maladroit. Il raconte tout cela. Pour nous, c’était le joli clin d’œil au type qui en a bavé, pour clore un album sur lequel les gens se battent pour le reprendre ".

Les oubliées Les Oiseaux ne sont donc que de passage, Messieurs les outragés. Et puis allez savoir, peut-être que Brassens rit plus de votre réaction que de la prestation de ces jeunes gens. Peut-être que l’orchestration 2001 ou l’interprétation spéciale de certains lui ferait dire que si les coutumes changent les bonnes chansons perdurent. Sans compter que si certains adolescents découvrent les mots du poète à travers cet album, de plus anciens redécouvrent des textes boudés. Laurent Balandras lui-même a vécu l’expérience. "Je remercie Tarmac pour La ballade des gens qui sont nés quelque part. Ce n’est pas une chanson que j’adore au départ et je trouve qu’elle se transforme totalement à travers le chant de Gaétan (Roussel, chanteur de Louise Attaque et de Tarmac, ndlr). La chanson devient du coup extrêmement violente ! J’ai adoré parce que cela m’a totalement dérangé. J’ai découvert que ce titre est très intolérant, très rentre-dedans, très méchant parce que Gaétan met tout cela dedans. Cela en fait une chanson militante dure !"

*Editions Textuel

CD CompilationLes Oiseaux de passage Mercury/Universal 2001