Jaojoby

Jaojoby, roi incontesté du salegy sur son île, signe un quatrième album, Aza Arianao. Rencontre avec la star, venue présenter ce nouvel opus à Paris, à l'occasion d'un concert le 10 novembre au festival Musiques de Madagascar, à la Villette.

Le roi du salegy

Jaojoby, roi incontesté du salegy sur son île, signe un quatrième album, Aza Arianao. Rencontre avec la star, venue présenter ce nouvel opus à Paris, à l'occasion d'un concert le 10 novembre au festival Musiques de Madagascar, à la Villette.

Si on dénombre une multitude de rythmes aux noms différents à Madagascar, le salegy est sans conteste un genre fédérateur. Avec son roi, Jaojoby, l’une des stars de la Grande Ile. Pas un taxi brousse qui n’ait sa dernière cassette, et pas un passager qui ne connaisse les paroles par cœur ! Dans les discothèques d’Antananarivo, de Tamatave ou d’une quelconque ville de province, les banquettes se vident et la piste se remplit instantanément dès que sa musique se fait entendre. Vingt cinq ans après avoir enregistré ses premiers 45 tours, Jaojoby sort son quatrième album, Aza Arianao, qu’il vient présenter à Paris lors du festival Musiques de Madagascar.

Sur le livret du CD, il est écrit « Merci à mes musiciens qui se sont surpassés, même si c’est dans la fatigue que nous avons enregistré cet album ». Que s’est-il donc passé ?
On est arrivés de Madagascar et on a animé un bal à Paris le 24 juin 2000. Le 25, on prenait le train pour Amiens. On est arrivés là-bas fatigués et on a commencé à enregistrer le 26. Il fallait y aller parce que c’était le début des vacances - et les vacances pour les Français, c’est sacré. Soit on enregistrait, soit c’était remis aux calendes grecques. On avait cinq jours en tout et pour tout. Ce sont surtout les chanteurs qui ont encaissé, mais les musiciens se sont quand même surpassés. C’est pour cela que je les ai remerciés, car heureusement on ne s’en est pas trop mal sortis.

Cet enregistrement était prévu ou cela s’est fait au pied levé ?
Il était prévu qu’on enregistre, mais la date n’était pas fixée. Je croyais que l’on allait faire ça aisément. Pas du tout. Je crois que si on avait été au meilleur de notre forme, on aurait fait mieux que ça.

En si peu de temps, vous n’avez certainement pas eu le temps de faire beaucoup de prises pour les enregistrements ?
C’était un faux live. On enregistre toujours comme cela, quand tout est réglé, que la balance a été bien faite. Sauf les voix pour lesquelles on a fait après d’autres prises. Si vous écoutez tranquillement cet album, vous remarquerez qu’on pouvait faire mieux. Il arrivait qu’en une prise, on ait la basse, la batterie, le clavier et les guitares. Presque tout. Dans la fatigue, on était nerveux. Il y avait même de la dispute. Une fois, j’ai claqué la porte, j’ai dit merde à tout le monde. Et pourtant, ça ne m’arrive pas souvent de me laisser emporter quand on fait des choses sérieuses. Mais j’étais fatigué et mes nerfs n’ont pas résisté.

Pourtant vous êtes habitués à jouer longtemps, à la fatigue, lorsque vous vous produisez pendant toute la nuit à Madagascar ?
Oui, mais un album, ça doit se soigner. Ça ne devait pas se faire à la va vite. On a fait les prises en quatre jours, pour douze chansons. Le cinquième jour, c’était la finition. C’était dur. Sur une scène, ça passe. Mais un album, ça reste. Ce n’est pas pareil. Si on avait eu plus de temps, on aurait mieux chanté. Il y a des voix cassées sur cet album.

Dans le cadre des Musiques de Madagascar à La Cité de La Villette, vous donnez un concert intitulé « bal poussière ». A quoi cela fait-il référence ?
A Madagascar, il y a des groupes populaires qui font danser les paysans, les cultivateurs, et ça se passe en plein air sur des sols battus ou dans des salles communales. Le salegy, on le danse en tournant en rond autour de la piste. Un peu comme un zébu qui piétine les rizières. Donc la poussière s’élève facilement. C’est ça, le bal poussière. Ça n’a rien à voir avec le bal des aristocrates, des bourgeois bien habillés dans des salles propres. Non, c’est populaire, il y a les paysans avec les pieds sales... Je ne vais pas dire du mal de mes compatriotes, mais les bals dans la brousse à Madagascar, sont comme cela. La poussière peut même altérer la voix des chanteurs. Il nous est arrivé de chanter dans la brousse et de mettre des mouchoirs pour essayer de nous protéger. Le bal fini, tout le monde devient blond avec la poussière sur les cils, les cheveux. En tout cas, ces genres de soirées, ça me plait. Les paysans n’ont pas la grosse tête. Ils sont gentils. Ils se laissent aller. Après les travaux des champs, c’est le défoulement. Comme lumière, on a les étoiles, la lune. Parfois aussi il pleut. Avec nos pieds, on tourne en rond et à la fin, la boue est damée.

Le sega, qui est la musique populaire dans les autres îles de l’océan Indien comme Maurice et La Réunion, trouve ses racines dans les chants des esclaves qui ont été amenés. Madagascar, qui a été colonisé par la France après l’abolition de l’esclavage, n’a pas eu la même histoire. Est-ce que cela explique que l'ïle ait sa propre musique, le salegy ?
Le sega, on l’a adopté à Madagascar. Il y a des musiciens ou des musicologues, comme nous, qui estimons que le sega descend du salegy, même si nos cousins de La Réunion ou de l’île Maurice ne pensent pas comme nous. La mesure rythmique est la même, c’est du 6/8. Comme beaucoup de Réunionnais ou de Mauriciens ont des origines malgaches, ceux qui étaient déportés à La Réunion ou engagés tout simplement par les colons ont certainement amené avec eux leur musique, le folklore 6/8. Ce sont souvent les segatiers qui ont des origines malgaches qui sont les meilleurs. Mais dans cette musique, il y a aussi l’apport de l’Inde, de l’Afrique continentale et de l’Europe. C’est pour ça que je dis que le sega est le salegy créolisé.

Beaucoup d’artistes font du salegy à Madagascar. Qu’avez vous de différent ?
Le meilleur instrument de musique, c’est la voix. Ce qui fait Jaojoby, c’est sa voix.

On dit de Jaojoby qu’il est « le roi du salegy » et de Tianjama qu’il est « le grand maître » du même genre musical. Quelles ont été les relations entre vos deux groupes?
Ça dépend des gens. Moi par exemple, je m’entends avec tout le monde. Etre jaloux d’un collègue, ça me fait sincèrement honte. On n’est pas aimé par Dieu si on est jaloux de son frère et je crois en Dieu, c’est lui qui dispense la chance. Si je veux son aide, sa bénédiction, je dois être bon. Grand maître Tianjama et moi, on s’entend très bien. Mais par contre, je fais des jaloux. Modestie mise à part, je crois qu’à Madagascar, on est entré dans la légende. Si tu parles du salegy, si tu parles des chanteurs à Madagascar, on cite mon nom.

Sans jalouser, est-ce qu’il peut y avoir une rivalité créatrice ?
Quand mes collègues sortent un bon album, j’essaie de faire au moins comme eux ou de les surpasser. Il faut être le meilleur. Mais il faut que j’avoue que je ne suis pas le meilleur salegy-man. Certains sont meilleurs que moi, seulement ils peuvent ne pas voir ma chance. Je fais seulement partie des meilleurs.

Madagascar est aujourd’hui une destination plus prisée par les touristes. Est-ce que cela influe sur votre carrière ?
Bien sûr. Les touristes qui arrivent achètent nos cassettes et nos disques. Le nombre d’étrangers qui connaît ma musique augmente. Je crois qu’à Madagascar, je suis l’artiste le plus connu des étrangers.

Dans « Sitrany tsy Manano » sur le précédent album, vous mettiez tout de même en garde « l’étranger »...
Je dois expliquer : l’étranger, ce n’est pas les Occidentaux, ce n’est pas l’Européen. C’est le nouveau venu, l’inconnu, qu’il soit malgache ou qu’il vienne d’ailleurs. La chanson sensibilise au problème du sida. Je mets surtout en garde nos femmes qui, pour de l’argent ou pour d’autres raisons, déroulent leurs nattes pour l’étranger. Comme le VIH se promène, il faut faire gaffe face à l’étranger, au nouveau venu. Parce que tu n’es jamais sûr. Qui est contaminé, qui ne l’est pas ? Il faut faire attention. Sitrany tsy manano : il vaut mieux s’abstenir.

Vous êtes depuis 1999 l’ambassadeur de bonne volonté pour le FNUAP (Fond des Nations Unies pour la population).
Ils m’ont sollicité pour être leur ambassadeur. Bien sûr j’ai accepté parce que je suis conscient du problème et il est de mon devoir, étant leader d’opinion, de sensibiliser mes compatriotes, mes enfants. Et je l’ai fait avec tout mon cœur.

Etre leader d’opinion, cela a presque un côté politique ?
Il y a un côté politique. Quand tu es célèbre, quand tu es aimé et écouté, tu fais mieux passer les messages que les politiciens. Donc si je dis « votez untel », je crois qu’il y a une partie de mes fans qui vont suivre ce que j’ai dit. C’est ça être leader d’opinion.

Avez-vous déjà lancé un tel message à vos fans à l’approche des prochaines élections présidentielles prévues au mois de décembre, ?
Pas encore. Je vais le faire quand la propagande va arriver. Ça ne va pas tarder.

Jaojoby Aza Arianao (Label Bleu/Indigo) 2001