Kadda Cherif Hadria chante le raï
Si Kadda Chérif Hadria n'est plus cheb depuis longtemps - d'ailleurs l'a-t-il jamais été ? - son raï, lui, est toujours éminemment jeune, frais et ouvert à l'image de sa ville natale : Oran. Rencontre.
Le blues algérien
Si Kadda Chérif Hadria n'est plus cheb depuis longtemps - d'ailleurs l'a-t-il jamais été ? - son raï, lui, est toujours éminemment jeune, frais et ouvert à l'image de sa ville natale : Oran. Rencontre.
En 95, dans le quotidien Libération, on pouvait lire au sujet de Diri Kitabri, le premier album de l'artiste, recommercialisé aujourd'hui par Naïve: "une musique entraînante qui lorgne vers les sonorités tsigane, salsa, flamenco ou le chaabi marocain et rappelle Blaoui Houari, modernisateur fondamental du raï dès les années 50 et père spirituel de tous les cheb". En quelques mots, le journaliste rendait un juste hommage à ce musicien et chanteur qui n'a jamais oublié que le raï, ce blues algérien, s'est toujours nourri d'influences extérieures.
Car, ne l'oublions pas, le raï que l'on connaît aujourd'hui n'est plus qu'un lointain parent de la musique des Bédouins de l'ouest algérien à laquelle il doit ses origines. Modernisé par strates successives, le raï est comme nombres de musiques, le fruit de généreux métissages. Cela, Kadda Chérif Hadria ne l'a pas négligé. Mais, à la différence des Khaled, Mami et autres cheb à la mode, ce natif d'Oran n'a pas souhaité s'enticher de cette modernité nourrie aux BPM's. Lui a préféré retrouver et fusionner tous les accents qui ont influencé le raï au cours du siècle dernier.
Votre deuxième album devait sortir au printemps dernier. Il n'est commercialisé que maintenant. Pourquoi ?
Tout simplement parce qu'entre l'enregistrement et le mixage de ce deuxième album, j'ai eu un grave accident. J'étais en Algérie pour le mariage de ma fille et j'ai perdu connaissance dans un escalier. Ma tête a heurté l'une des marches. J'ai été rapatrié dans le coma. Les responsables de Naïve, ma maison de disques, ont préféré attendre mon rétablissement pour finaliser ce projet. Je les en remercie. Ils ont été super. Dès que j'ai pu, je suis retourné en studio pour le mixage. Mon état ne me permet malheureusement pas encore de remonter sur scène pour défendre Djezaïr, mais ma rééducation va bon train et je suis plutôt optimiste, tout comme mon kiné d'ailleurs.
Vous êtes né à Oran. Pourtant à la différence de tous les autres chanteurs de raï du bled, votre discographie ne comporte aucune cassette (le support emblématique du raï en Algérie).
Effectivement. Il faut dire que mes parents ne souhaitaient pas que je m'engage dans cette voie. J'ai reçu une éducation assez rigoureuse. Mon père a d'ailleurs brisé ma première guitare pour que j'arrête de jouer. Alors en cachette, je me rendais dans les fêtes et mariages pour chanter. Plus tard, je suis parti à Alger pour continuer à chanter. J'ai fréquenté les cabarets, mais par respect pour mes parents, je n'ai jamais enregistré. J'ai fini par abandonner l'idée de faire une carrière dans la musique et me suis rabattu sur le football comme capitaine-défenseur et vice-président d'une équipe de 2ème division. Cela déplaisait tout autant que la musique à mon père, j'ai donc arrêté aussi et suis parti faire mon service militaire dans le désert saharien. Là, j'ai fondé un groupe avec d'autres bidasses. Nous sommes devenus les chouchous de la base, ce qui m'a considérablement facilité la vie durant ces deux années sous le drapeau algérien. Nous étions invités partout et jouions mêmes devant la nomenklatura russe qui sévissait à l'époque en Algérie. A la fin de mon service, je suis retourné à Oran travailler avec mon père et ne chantais plus que par plaisir dans les mariages. A 30 ans, ça a été plus fort que moi, j'ai craqué et je suis parti vivre en France.
Comment redémarrez-vous une carrière en France ?
Par l'intermédiaire de Dominique Colladent, un ami décorateur-metteur en scène de théâtre qui m'a proposé de chanter a cappella dans Othello de Shakespeare qu'il montait à l'époque à Nantes. C'est une expérience assez insensée, je parlais mal le français, mais le spectacle présente au Festival Les Allumés a eu un beau succès. Ensuite, j'ai continué, d'autant plus que j'ai rencontré Arthur Simon, un jeune garçon qui sortait du Conservatoire de Suresnes avec un Premier Prix de Trompette sous le bras. Arthur ne connaissait rien à la musique orientale. On a beaucoup travaillé ensemble dans le garage de ses parents. Il est d'ailleurs toujours à mes côtés, tout comme Mohamed Mokhtari, un violoniste soliste de l'Orchestre Symphonique de la Radio-Télévision algérienne. Il a plus de 60 ans aujourd'hui. En fait, c'est toujours la même équipe depuis 7, 8 ans, à l'exception de Mustapha Mataoui, un joueur de derbouka qui accompagne aussi Cheb Mami, qui nous a rejoint dernièrement. Le groupe s'appelle La case B depuis peu. Certains viennent de la musique orientale, d'autres du jazz, des musiques qui partagent le même goût pour l'improvisation.
Comment a évolué votre carrière ?
Ensemble, nous avons fait quelques télés, beaucoup de concerts ainsi que quelques musiques de films (Tigidi pour 1, 2, 3 Soleil de Bertrand Blier), avant de travailler sur le premier album. L'enregistrement a eu lieu juste après l'assassinat d'Hasni, ce qui a quelques peu tendu les séances. Diri Kitabri était peut-être un peu en avance sur son temps. Signé sur le label Al Sur et distribué par feu Média 7, il a été très bien accueilli, mais n'a pas fait des scores de ventes formidables. Nous avons placé des titres sur des compilations, mais rien ne s'est enchaîné comme il aurait fallu. Les tournées fonctionnaient pourtant bien. Nous jouions aussi bien dans des festivals world que jazz, ici en France mais aussi au Canada, Brésil, Allemagne, Espagne. J'ai également collaboré avec Steve Coleman pour le festival Banlieues Bleues. Bien évidemment peu à peu, nous avons composé des nouveaux titres. J'ai été approché par Warner, mais cela n'a pas abouti. Quoiqu'il en soit, nous n'avons jamais arrêté de tourner et l'on a bien fait, puisqu'un jour, invité par mon ami et ange gardien Alain Maneval, Patrick Zelnick, le boss de Naïve nous a découvert lors d'un concert au Théâtre Rutebeuf en juin 2000. Il a été séduit et la suite vous la connaissez.
La suite, c'est Djezaïr, ce deuxième album où souffle l'esprit du raï sans pour autant s'enfermer dans un registre prédéfini.
Le vent souffle toujours plus fort quand les fenêtres sont ouvertes. C'est un album en patchwork. Chaque morceau a son style. Il est plus oriental qu'algérien. Il y a des titres comme Echdek qui sonnent plus marocain, d'autres plus orientaux. Il est comme le raï, multiple et ouvert. Ce qui fait son unité ce sont ses accents jazz et fusion et ses paroles abominablement tristes, même sur les morceaux qui donnent envie de danser, mais c'est un peu une tradition dans le Maghreb. D¹ailleurs Maneval le dit fort justement : "L'arabe, c'est la langue des larmes". Les arrangements sont signés par La case B. Il y a quelques rares musiciens additionnels comme François Castiello à l'accordéon, Abdelhamid Hmaoui au ney ou Thierry Robin au oud et à la guitare. Par exemple, avec Thierry, on ne se connaissait pas. Mais ça a tout de suite fonctionné.
Kadda Cherif Hadria Djezaïr (Naïve) 2001