La nouvelle Arielle

Paris, le 14 novembre 2001 - Arielle n’est pas dupe de l’image conférée par Toute une vie à une (1996) et Mortelle (1999), les albums qui l’ont fait connaître. Son nouveau disque, Imbécile heureuse, la montre cette fois dans des humeurs assez nouvelles, pratiquant l'autodérision sur des rythmes capverdiens ou célébrant des plaisirs simples. Il n'en occulte pas pour autant son étrangeté de grande féline au timbre translucide. Rencontre avec l'artiste, la veille de son passage sur la scène parisienne à l'Européen*.

Le Cap Vert dans le spleen

Paris, le 14 novembre 2001 - Arielle n’est pas dupe de l’image conférée par Toute une vie à une (1996) et Mortelle (1999), les albums qui l’ont fait connaître. Son nouveau disque, Imbécile heureuse, la montre cette fois dans des humeurs assez nouvelles, pratiquant l'autodérision sur des rythmes capverdiens ou célébrant des plaisirs simples. Il n'en occulte pas pour autant son étrangeté de grande féline au timbre translucide. Rencontre avec l'artiste, la veille de son passage sur la scène parisienne à l'Européen*.


Cela vous fait-il plaisir de retrouver la scène ?
Je fais des concerts parce que je suis obligée d’en faire. Les radios et les télés ne passent pas assez les chansons, donc il faut faire des concerts. Quant au plaisir... Je suis introvertie, absolument pas exhibitionniste, c’est vraiment l’épreuve du feu. Heureusement, il y a des visages au premier rang qui ont l’air heureux. Si j’ai un public enjoué, ça va me donner des ailes. Si je prends du plaisir, c’est à cause du public. Je suis trop timide...

Cela ne s’arrange-t-il pas ?
J’étais déjà très timide quand j’étais gosse. Alors, adulte... Selon un régisseur qui travaillait sur l’une de mes tournées, je bats tous les records de trac connus dans le show biz. Mais j’ai fait des progrès - j’arrive à prendre le micro à la main.

Dans ce nouvel album, il y a beaucoup plus d’humour que dans vos disques précédents...
J’ai travaillé sur les deux albums précédents avec Mathieu Ballet, et c’était un peu l’histoire de Pygmalion et de Galatée. J’ai été à son image, avec mon univers. Après Mortelle et ma voix éthérée, les gens étaient surpris de me voir vivante sur scène. Ce nouveau disque, que j’ai fait sans lui, aurait pu s’intituler Galatée s’en va. Je ne dis pas que ce que j’ai fait avant n’était pas bien, mais c’était une parcelle d’Arielle. Arielle, dans la vie, est plus drôle, ironique, corrosive. Mes copines m’appellent quand elles n’ont pas le moral. Les gens qui m’ont le plus marquée dans la vie sont Michel Simon, Guy Bedos, Pierre Desproges, Françoise Rosay, Pauline Carton... Mais cela avait été occulté par Pygmalion.

Vous avez écrit une chanson avec Dominique A, L’Idiot du village...
C’est sans doute la chanson la plus autobiographique de l’album. Pour une fois, je me dévoile un peu. L’Idiot du village est une chanson sur la différence : je fais un mètre quatre-vingt, j’ai été mannequin, je suis astrologue, je suis chanteuse, et en plus j’écris des poésies. Cet été, la maison de disques m’a envoyée faire une thalassothérapie. Au bout de deux jours, les bains d’algues m’ont ennuyée. Et puis je n’ai pas besoin de mincir, je suis déjà mince comme un clou. Je suis allée tout près de là, à la Maison de l’âne, et j’ai passé des jours à faire de l’âne. Ça me faisait penser à l’idiot du village : la maison de disques avait payé pour que je revienne sans rides, avec les seins qui jappent au soleil - et je faisais de l’âne.

Vos disques précédents étaient très centrés sur la souffrance.
J’ai fait de mon malheur quelque chose. Maintenant, j’ai envie d’être moins dans la masturbation de la souffrance, d’avoir un peu de pudeur. Mais qu’on ne s’inquiète pas, je ne suis pas heureuse tous les jours. Il y a sans doute des journalistes qui espéraient que ce disque soit encore plus triste que les précédents et que j’en mourrais assez vite.

La structure de l’album est originale. Au début, il y a plusieurs chansons d’inspiration cap-verdienne, puis des morceaux plus « occidentaux », c'est comme une évolution du soleil vers l’ombre...

Il y a encore une chanson qui manque, une morna dont nous ne sommes pas arrivés à faire une version satisfaisante pour le disque, mais que je chanterai sur scène dans une version un peu kusturicienne. Elle s’appelle Ma chemise, c’est une chanson qui se passe dans un maquis en Amérique du Sud, et qui devait apparaître à la fin du disque.

Il y a une chanson de Manoel de Novas et trois de Teofilo Chantre : en effet, vous êtes marquée par le Cap-Vert ?
Quand je dis que la morna m’a sauvé la vie, c’est une phrase un peu péremptoire, mais c’est vrai. J’ai découvert un jour une compilation merveilleuse, qui s’appelle L’Ame du Cap Vert. Ce disque a changé l’angle de mon cerveau. J’ai retrouvé dans cette musique une mélancolie qui m’était propre et trouvé l’espoir dont je manquais. J’ai l’impression que c’est pour moi la musique la plus proche, alors que je suis blanche comme un cachet, que je n’ai pas connu les plantations et que le Cap Vert est à cinq cents kilomètres au large de Dakar. Sur l’album précédent, il y avait déjà Je tourne à tous les vents, qui est à l’origine une chanson un peu grivoise, et dont j’ai fait une chanson romantique. Je me dis que si j’ai un frère sur cette planète, c’est Teofilo Chantre, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur ce disque.

Propos recueillis par Bertrand Dicale

CD : Arielle, Imbécile heureuse, Island.
*Concerts à l’Européen (Paris) du 15 au 17 novembre.