Dominique A

Sixième album, déjà, pour Dominique A. Depuis La Fossette, il a y a dix ans, il est devenu une sorte de symbole de la jeune génération de la chanson en France – une chanson grave et détachée, soucieuse de forme et sans complexe devant ses aînés. Auguri, produit par John Parish (PJ Harvey), tranche avec Remué, l’album précédent : un éventail largement ouvert de sentiments et d’atmosphères, des arrangements plus spontanés et profonds à la fois. Le chanteur se penche sur son nouvel opus.

Auguri

Sixième album, déjà, pour Dominique A. Depuis La Fossette, il a y a dix ans, il est devenu une sorte de symbole de la jeune génération de la chanson en France – une chanson grave et détachée, soucieuse de forme et sans complexe devant ses aînés. Auguri, produit par John Parish (PJ Harvey), tranche avec Remué, l’album précédent : un éventail largement ouvert de sentiments et d’atmosphères, des arrangements plus spontanés et profonds à la fois. Le chanteur se penche sur son nouvel opus.

Plus que dans les précédents, vous chantez beaucoup dans cet album.
Ça fait un bien fou, c’est un plaisir retrouvé.

Etait-ce donc un plaisir perdu ?
Pour moi, Remué est un album chanté. Mais j’étais corseté, je ne me permettais pas grand chose. Alors j’ai eu envie de ne plus m’écouter absolument, de ne plus chercher à revenir sur ce que je n’aime pas dans ma propre voix. J’ai appris à accepter ce que je n’aime pas car, si je reviens systématiquement dessus, je risque de perdre sur d’autres plans, comme l’émotion d’une prise brute. C’est Remué qui m’a permis d’accepter ma voix en totalité. L’enregistrement avait été un slalom vocal et c’était pire sur scène, parce qu’il fallait s’exposer, assumer la position du chanteur avec tout le potin du groupe derrière alors que les chansons n’étaient pas adaptées à ça. Tout naturellement, j’ai eu envie de passer à des choses plus expansives, de chanter vraiment sans me poser de questions.

Auguri est un disque qui affirme avec netteté que vous n’appartenez pas au monde de la variété, contrairement à La Mémoire neuve, en 1995, qui laissait croire à une possible rencontre avec le monde de la chanson grand public.
La Mémoire neuve est un disque à part par rapport à tous les autres. Il me paraît plus logique de faire Auguri aujourd’hui que La Mémoire neuve à l’époque. La relation avec la variété a été un problème pour moi à un certain moment, mais ça ne l’est plus. L’essentiel est d’être en paix avec sa musique. Je ne mène pas de croisade à ce propos.

Ce nouveau disque n’est pas d’une tonalité générale très souriante...
Ça me fait plaisir ! D’un interlocuteur à l’autre, les gens ont des visions très différentes de l’album, d’une façon beaucoup moins monolithique que pour Remué dont absolument tout le monde me disait que c’était un album plombé. On m’a même dit qu’Auguri est un album solaire...

Il y a dans la chanson Les chanteurs sont mes amis une ironie très explicite envers votre métier...
Explicite, oui, mais vraiment très localisée. C’est une chanson en deux parties, qui ne parle pas seulement du métier. Dans Les chanteurs sont mes amis, je ne parle pas du show biz dans l’ensemble. Je parle de mes amis : nous avons grosso modo le même âge, nous avons commencé la musique en même temps. En prenant un peu de recul par rapport à eux, je constate des comportements qui ne sont pas si éloignés de ceux contre lesquels on s’insurgeait quand on était un peu plus jeunes. Puis, dans la seconde partie, cette chanson parle aussi de mon amour des voix, des chanteurs et chanteuses.

C’est le premier album dans lequel vous écrivez des chansons avec aussi peu de distance par rapport à vous et à votre vie.
Peut-être. Certaines personnes me parlent des chansons comme ayant un propos dur, sec ou brutal. En fait, je ne crois pas.

Ce disque prend parfois des allures de catharsis.
Toute chanson est cathartique, même la plus anecdotique, comme Ses yeux brûlent. En fait, c’est peut-être là une théorie a posteriori : je ne sais pas dans quelle mesure mes chansons sont réellement cathartiques lorsque je les écris, mais je pense que si elles le sont, elles le sont vraiment toutes.

A l’écoute de la chanson En secret, on imagine des choses très sombres dans votre vie...
Ça n’a aucun rapport avec quoi que ce soit que j’aurais vécu personnellement. C’est vraiment une fiction. Je m’en suis rendu compte après coup, mais cette chanson m'a été inspirée par le film Trois huit, que j’avais vu peu de temps auparavant. Trois huit est un film sur le harcèlement au travail, et les rapports très troubles entre le tourmenteur et sa victime. En travaillant sur la mélodie, les mots « en secret » se sont imposés à moi. J’ai brodé ensuite l’histoire en dix ou quinze minutes. Contrairement à beaucoup de chansons, je ne peux pas dire quelle était mon intention au moment où je l’ai faite. J’ai seulement pu constater qu’elle avait été inspirée par quelque chose, sans aucune préméditation.

On trouve le même mode émotionnel – désolé, attristé et indulgent – sur Où conduit l’escalier, par exemple.
Oui mais je trouve aujourd’hui cette chanson un peu forcée. Le titre et la chanson en elle-même m'ont été inspirés par un recueil de nouvelles d’Alexeï Remizov, Où finit l’escalier. Là, j’essaie d’aller le plus loin dans le réalisme pour aller au-delà, dans un supra-réalisme. La partie musicale assez longue, au milieu de la chanson, me semble permettre d’imaginer la scène après que les choses eurent été assénées, de revenir sur ces deux corps qui s’humilient l’un l’autre. Le langage est un peu fort - je ne peux pas m’en empêcher.

Etes-vous très critique vis-à-vis de vos disques ?
Oui, je crois. Mais, comme je suis déjà épaté de les avoir finis, je considère mes disques comme des victoires. J’ai beaucoup d’affection pour eux - même La Mémoire neuve -, je ne les regarde jamais comme des ennemis. En fait, je m’y implique assez pour ne pas pouvoir détester mes disques.

Ce qui est historiquement curieux dans le rock d’aujourd’hui, c’est que les artistes sont aussi cultivés et intellectuellement outillés que les critiques. Vous aussi vous livrez-vous à un travail critique sur vos disques ?
Je n’ai pas la prétention de comprendre ce que je fais. En revanche, je peux rapidement me désolidariser de ce que je fais, avoir le recul pour juger une chanson. Mais mon critère principal reste le plaisir que je prends à faire mes chansons, tout simplement, ce qui éradique tout problème de critique. Quand j’écris une chanson comme Antonia, où tout semble aller de source, je ne lutte pas, mon sens critique est un peu au placard. Je constate seulement que prendre du plaisir à faire une chanson est un garant de qualité.

Propos recueillis par Bertrand Dicale

Dominique A, Auguri (Labels)