FESTIVAL PLANETES MUSIQUES

Paris, le 12 novembre 2001 - Petit exercice de géo-musique traditionnelle. Prenez une carte d’Europe. Tracez-y le triangle suivant : Bas-Languedoc, Roumanie, Île-de-France. Définissez-en les sommets musicaux : Les Souffleurs de Rêves, Roberto de Brasov et son taraf francilien. Localisez-en le centre provisoire : La Maroquinerie, une salle de concert dans le 20e arrondissement de Paris.

Mélange des genres et vitalité des traditions

Paris, le 12 novembre 2001 - Petit exercice de géo-musique traditionnelle. Prenez une carte d’Europe. Tracez-y le triangle suivant : Bas-Languedoc, Roumanie, Île-de-France. Définissez-en les sommets musicaux : Les Souffleurs de Rêves, Roberto de Brasov et son taraf francilien. Localisez-en le centre provisoire : La Maroquinerie, une salle de concert dans le 20e arrondissement de Paris.

Créé l’an dernier par la FAMDT (Fédération des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles) et La Maroquinerie, le Festival Planètes Musiques s’est donné pour but de faire connaître les musiques traditionnelles de la France d’aujourd’hui. Les deux plateaux réunis en ouverture de sa deuxième édition, ont permis de donner le ton à une série de concerts où se retrouveront tous les amateurs du genre jusqu’à la mi-décembre.

Joutes nautiques à Sète

Choix idoine que celui des Souffleurs de Rêves pour ce concert inaugural. Ses trois musiciens, Alain Charrié (hautbois ; également membre du groupe Une Anche Passe), Bernard Toty (accordéon-piano) et Denis Fournier (percussions), jouent une musique parfaitement représentative du courant traditionnel contemporain, qui (s’) éclate depuis une grosse décennie. Faite de pièces traditionnelles et de compositions, sensible à l’occasion aux influences “nationales” du jazz et du musette, la musique des Souffleurs de Rêves est ancrée dans un terroir : le Bas-Languedoc, région littorale entre Montpellier et Béziers et son arrière-pays cévenol ou rouergat. Pour beaucoup, cette contrée évoque uniquement le vin (le petit) et les stations balnéaires (les grandes, pas les plus belles), ce qui est bien dommage car il y a tant à voir et écouter !

Nos musiciens viennent rappeler, par exemple, que le Bas-Languedoc a ses instruments privilégiés, auboi(hautbois languedocien) et tambornet (tambour languedocien), qu’il eut ses fêtes, bal des conscrits ou autres, et son répertoire de danses et de chansons. Lequel est imprégné par la Méditerranée et les étangs littoraux, car cette région est un pays d’ouvriers de la mer. Mais, s’il faut chercher un événement festif annuel et commun aux ports du Bas-Languedoc, les joutes nautiques paraissent s’imposer, les plus connues d’entre elles ayant lieu à Sète. Jusqu’au début du siècle, ces ajustas opposaient deux équipes, les célibataires (en rouges) et les hommes mariés (en bleus) : deux barques avec rameurs, sonneurs et deux jouteurs munis chacun d’une perche, pour “déquiller” son adversaire — le précipiter à l’eau.

Accompagnées de bout en bout par le auboi, le tambornet, les joutes ne résument pas à quelques combats sur barque et c’est là le cœur du spectacle des Souffleurs de Rêves. Car même les jours d’ajustas, les prétextes à la musique ne manquent pas : accueil musical des équipes en gare de Sète avec la Valse du chef de gare, défilé le long des quais sur airs d’opérette (ah, l’opérette ! loisir des ouvriers navals), défis et charges sur le grand canal de Sète. Enfin, le bal des aubois au café pour fêter la victoire, oublier la défaite : valses, polkas et mazurkas jusqu’au matin… Tout cela est rendu avec chaleur et bonhomie sur la scène de La Maroquinerie, à retrouver sur le CD Musiques traditionnelles en Languedoc (label Modal, 2000).

Taraf à Paris

Comment parler de musiques traditionnelles en France sans évoquer celles de communautés outre-mer ou étrangères qui y sont installées et y vivent (de) leur musique ? Le Festival Planètes Musiques, quoique centré sur les musiques autochtones de l’Hexagone, ne pouvait s’abstenir sur le sujet, d’où la présence de l’accordéoniste roumain Roberto de Brasov et de son taraf (orchestre traditionnel tsigane) d’Ile de France, ce vendredi soir.

Personnage rond à la faconde toute méridionale, Roberto a découvert l’accordéon sous la férule d’une grand-mère acharnée à vouloir faire de lui un Musicien : « je chante, tu imites, mon enfant ». Résultat, quand Roberto se présente au conservatoire à 13 ans, on n’a plus rien à lui apprendre, il a déjà tout vu tout seul ! La suite est commune à beaucoup de musiciens tsiganes dans la Roumanie de Ceaucescu, ce sont les restaurants où l’on ne joue que traditionnel et sans fantaisie. Un soir d’improvisation, Roberto se voit tancé par un inspecteur de la musique de passage… Après 1990, la pauvreté et l’ostracisme envers les Tsiganes s’avèrent à peine moins oppresseurs, mais vient le temps des tournées européennes puis l’installation définitive hors de Roumanie. Le hasard d’une femme fixe Roberto à Paris. Désormais, la nature de son travail change. Roberto mâtine sa musique de jazz manouche et de musette, rencontre des musiciens de tous horizons, se livre à l’improvisation en compagnie du cirque Romanès. Mais il se découvre ensuite une autre vocation : faire connaître son savoir musical fondé sur la tradition, l’oralité et l’improvisation aux aficionados du crû. Car « depuis que les Roumains ont annexé le territoire métropolitain », comme le signale un musicien du taraf, la musique tsigane de Roumanie est ici chez elle. Elle vit et se transmet aussi chez nous, le concert de La Maroquinerie nous en administre la preuve.

La présence du taraf d’Île de France sur scène, impose cependant une prestation en deux temps alternés et cela nuit un peu à l’homogénéité du concert. Impeccable, le travail en quintette tsigane (accordéon, cymbalum, violon, guitare et contrebasse) où l’on soulignera, pour n’en citer qu’une, la prestation d’une contrebasse très sollicitée et jamais prise de court. Malheureusement, le passage au taraf complet (treize personnes) déçoit ; l’ensemble d'un niveau inégal, est un peu poussif et pas toujours en place. Erreur de programmation ? Je ne crois pas. Ces amateurs de bon niveau seront meilleurs demain et leur présence était nécessaire pour montrer que de nouvelles traditions peuvent s’implanter en surface… Hors du métropolitain.

Alors, plus de Roberto ? Voyez son CD (L’Odeur du vent, label Al Sur, 1998). Plus de taraf ? pour les musiciens que le travail de Roberto de Brasov avec son taraf intéressent, répétitions les dimanches (18h-22h) et lundis (19h-22h) au 38, rue Sedaine, Paris XIe.

Jérôme Samuel

Festival Planètes Musiques
Le festival se poursuit jusqu’au 15 décembre 2001, au rythme de deux concerts par soirée :
- 16 novembre, le Grand Ouest : Duo Bertrand (Vendée) et Ôbrée Alie (Bretagne gallèse)
- 23 novembre, les Gascognes : Musiques pour Sonnailles et Les Manufactures Verbales
- 30 novembre, les découvertes : Ano Neko (Côte d’Ivoire) et Bugel Koar (Bretagne)
- 7 décembre, les anches : Doumka Clarinet Ensemble et Youval Micenmacher (Balkans) puis Une Anche Passe et Lambros Karaferis (Languedoc/Grèce)
- 14 décembre, les cordes : Les Violons de Chabanes (Poitou) et Arco Alpino (Alpes franco-italiennes)
- 15 décembre, les volcans : La Fabrique (Auvergne) et René Lacaille (Réunion)
Adresse
La Maroquinerie, 23 rue Boyer, 75020 (tél. 10.40.33.30.60). Prix des places : 60 francs.