Sarclo à Paris
Au Sentier des Halles jusqu'au 8 décembre, pour y présenter son nouvel album L'amour est un commerce mais la décharge est municipale (EPM), le chanteur suisse Sarclo nous régale de son folk subversif. C'est lui qui le dit : "La chanson est là pour dégoupiller le drame"
Un Suisse malpoli
Au Sentier des Halles jusqu'au 8 décembre, pour y présenter son nouvel album L'amour est un commerce mais la décharge est municipale (EPM), le chanteur suisse Sarclo nous régale de son folk subversif. C'est lui qui le dit : "La chanson est là pour dégoupiller le drame"
Un chanteur qui ose avouer dans l'une de ses chansons que "l'on n'est pas assez beau pour les filles qui sont belles" ne peut être que forcément touchant. C'est ce mélange de rêverie et de réalité dont est fait le bonhomme qu'on a eu envie de rencontrer. "Paris, c'est bien mais c'est loin de tout et qu'on le veuille ou non, elle a ce rôle de gare de triage" avoue Sarclo. Aux antipodes du showbiz parisien, le chanteur de Suisse romande rejette la pression qui veut que la sortie parisienne de son dixième album studio soit forcément un enjeu. Mais il a le talent de relativiser tous les soirs sur la petite scène de la cave voûtée du Sentier des Halles. Deux soirs lui auront suffi pour prendre ses marques.
Sarclo est seul, entouré de quatre guitares, chacune d'elles différemment accordée. Le reste, ce sont des mots, des situations, ficelés adroitement par un Sarclo amoureux du langage, le tout baignant dans une large dérision. "La vague sur laquelle je suis; celle d'un Richard Desjardins, d'un Dick Annegarn ou d'un CharlElie Couture et Thiéfaine, première période, me satisfait. Ceux-là même qui me font dresser les poils sur les bras. C'est à ça que j'ai envie de ressembler" assure le chanteur helvète. Les présentations sont faites. Pour ce qui est de l'état civil, Michel de Senarclens, de naissance bourgeoise, voire aristo, est architecte de formation, vit à Genève avec ses quatre enfants.
Franc-tireur
Celui qui depuis dix ans se caractérise comme "chanteur engagé à pas faire chier", se réclame de l'écriture de Charles Cros et de Brassens pour ce qui est de la versification, de Boris Vian pour l'association d'images et de Gainsbourg pour la complicité avec la langue. "J'ai toujours voulu avoir un son qui ne faisait pas Colette Magny ou Michèle Bernard. Moi, le petit conservatoire de la chanson française de qualité, ça m'emmerde. J'ai pas besoin d'avoir un accordéon noir et blanc dans une lumière télérama. Je suis plus complice avec Dylan et Mitsouko qu'avec la vieille chanson" reconnaît l'artiste.
Pourtant, la réputation de Sarclo, chanteur, va bien au-delà de la confédération helvétique. De chez nos cousins québécois, il a ramené en 1999 le prix Miroir de la chanson d'expression francophone. Un prix qu'il partage avec Maxime Leforestier, Plume Latraverse, Richard Desjardins, Michel Rivard et CharlElie Couture. Pas une mauvaise équipe en vérité.
On peut s'autoproclamer de la branche armée de la chanson française de qualité et être convaincu d'avoir atteint, avec ce nouvel album et la complicité de Stéphane Blok et de Jean-Christophe Maillard, le grain recherché. A la fois du sérieux et de la déconnade. Aucun doute, il est à l'aise sur ce terrain-là. Et lorsqu'on évoque ses textes un brin égrillards, Sarclo n'en a que faire et enfonce même le clou : "Le cul est un kaléidoscope, le cul est un magnifique terrain pour jouer avec le langage. Ce qui m'intéresse, c'est tout ce débat entre les hommes et les femmes, les parents et leurs enfants, les profs et les élèves, les flics et les pédophiles, les occidentaux et les islamistes." On l'aura compris, pour le chanteur suisse, les vérités gnan-gnan ne sont pas très bonnes à dire : "Quand la chanson court après les bons sentiments, moi ça me gave très vite, alors que Souchon est plus fort quand il chante sous les jupes des filles".
Très à l'aise sur scène, Sarclo n'a pas son pareil pour tricoter des relances entre les chansons de son spectacle : "Mon école, c'est que j'ai fait la manche, je sais aller vers les gens et faire ce qu'il faut pour qu'ils soient contents. Une chanson, c'est prendre les gens dans l'état où ils sont et arriver à les faire monter dans un autre état, les secouer et les reposer ailleurs".
Logorrhée verbale
A l'âge de 13 ans, Sarclo lit Prévert, à 14 ans, il s'attaque à Céline et à 16, se passionne pour Antonin Artaud. "A cet âge là, je répondais aux questions que l'on me posait uniquement avec des phrases d'Antonin Artaud que je me suis administré à haute dose. Maintenant, je laisse pas John Irving faire un livre sans le lire". L'art est quelque chose de sérieux et il lui en reste des séquelles. La chanson lui inspirait déjà, soit de l'indignation ou de l'émerveillement. "Je suis un mec timide, plutôt embarrassé. Au contraire de France Gall qui fait des chansons pour adolescents qui s'ennuient, moi je fais des chansons pour adultes consentants". Sur scène, il égratigne, et jamais les mêmes. Entre un texte sur les nains de jardin ou les pédophiles, Sarclo raffole des aphorismes et de ces bouts de chansons connues de tous, rafistolés à sa manière : "C'est une poupée qui fait non rien de rien, je ne regrette rien", ou "C'est un fameux trois mâts adossé à la colline" ou encore "Les neiges du Kilimandjaro bientôt vont se refermer".
Architecte de métier, Sarclo cultive un certain talent pour la rénovation. Alors dans son ordinateur, il joue au puzzle avec des bouts de chansons, fait des copiés collés, exploite les coups de bol comme la petite insomnie à trois heures du matin ou ces quelques phrases réussies extraites du quotidien de l'observateur qu'il est. C'est dit, Sarclo fait chanteur vendredi et samedi ; les mercredi et jeudi, il trace des plans, fait quelques rénovations pour les copains. "Le reste, ce sont des moments peinards pour écrire".
Pascale Hamon